par Gérard Genette
(au Paradis des poéticiens)
Retrouvé par le plus grand des hasards (Google), cet entretien de Gérard Genette avec Daniel Bermond publié par L'Express en 2002, à l'occasion de la parution du cinquième tome de Figures et de la réédition de Seuils au format de poche, fait «le point» sur cet élément capital du dispositif péritextuel qu'est la « Quatrième de couverture ».
Dossiers Paratexte, Contrat, Genette.
Lire une quatrième de couverture n'a rien que de très banal aujourd'hui. Pourtant, il n'en a pas toujours été ainsi. La «quatrième» est une création somme toute récente. Peut-on en faire l'histoire?
GÉRARD GENETTE. L'histoire et même la préhistoire. On peut remonter au XVIIIe siècle, au temps de l'Encyclopédie, avec ce qu'on appelait alors le prospectus, un texte semi-publicitaire, semi-informatif, mis à la disposition de la presse. Il s'agit de la forme embryonnaire de ce qui sera au XIXe siècle le prière d'insérer, autrement dit un communiqué sur le roman à paraître destiné aux directeurs de journaux ainsi priés - c'est bien le sens littéral de l'expression - de l'insérer dans leurs colonnes. Après la guerre de 14, on commence à encarter ce texte dans le livre sous la forme d'une feuille volante mais uniquement à l'intention des critiques littéraires et non plus des directeurs de journaux. Ne sont donc concernés que les exemplaires du service de presse. On parle toujours de prière d'insérer même si le mot ne correspond plus à une demande de l'éditeur adressée aux gazettes. Telle est la situation qui prévaut pendant l'entre-deux-guerres mais dès avant la fin de cette période et tout de suite après 1945, on se met à encarter le prière d'insérer dans tous les exemplaires. Le critique n'est plus le seul destinataire, on élargit à l'ensemble des acheteurs potentiels le champ de cette lecture.
Comment arrive-t-on alors à ce texte publié au dos du livre?
G.G. Étant donné que tout le monde était censé pouvoir le lire, on s'est rendu compte assez vite qu'il était économiquement plus judicieux, en termes d'argent mais aussi de temps, de le reproduire directement sur un emplacement réservé de la couverture, cette fameuse page quatre qui nous est devenue familière, que de l'imprimer sur une feuille volante intercalée dans chaque exemplaire.
Cela dit, tous les éditeurs ne se rallient pas en même temps à cette solution...
G.G. Non, il en est qui l'adoptent plus ou moins tôt, il en est même qui s'y sont résolus très tardivement. Nous n'avons pas affaire à un mouvement d'ensemble engagé simultanément par toute la profession. Gallimard, par exemple, a supprimé définitivement le prière d'insérer encarté en 1969.
La quatrième n'apparaît-elle pas comme le principal argument de vente?
G.G. En concurrence avec le nom de l'auteur et le titre. Mais ne poussons pas le cynisme jusqu'à ne privilégier que la fonction de promotion de la quatrième de couverture ou du «rempli», pour reprendre le mot en usage au Seuil , il faut considérer aussi celle d'information. Valoriser un ouvrage ne dissuade pas d'en éclairer le contenu. Il existe un autre cas typique, à ce sujet, c'est la quatrième de Fils (1977) rédigée par l'auteur, Serge Doubrovsky, qui désigne le genre auquel appartient son livre, celui de l'autofiction, appelé à connaître une grande vogue. Voilà, que je sache, le seul cas de déclaration générique explicitée non dans une préface mais dans une quatrième de couverture.
N'y a-t-il pas précisément risque de double emploi entre une quatrième et une préface?
G.G. Je parlerais une fois encore de concurrence. Cela dit, la préface peut être absente et la quatrième de couverture en tenir lieu. Je me souviens que Sollers m'avait suggéré de faire une préface pour Figures I, mais je n'en avais pas senti la nécessité. «Vous vous rattraperez sur la quatrième, alors», m'avait-il dit. Ce que je fis. Donc, la quatrième, à mon sens, même si elle est placée sur le dos du livre, s'apparente davantage à une préface qu'à une postface. Par ailleurs, il convient de ne pas négliger un autre paratexte qui vise également à accrocher le futur lecteur, je veux parler du bandeau, lequel peut désigner un prix distinguant le livre mais peut tout aussi bien reproduire en gros caractères le nom de l'auteur ou porter une forme de slogan, quelques mots suffisamment frappants. Pour Figures V, j'ai demandé un bandeau reprenant le titre de l'une des séquences du livre, «Morts de rire». La jaquette compte aussi parmi les arguments de vente dans la mesure où elle se substitue à la couverture graphique qu'elle enveloppe, où elle joue sur un esthétisme alléchant, parfois un peu criard, et où elle permet de réaliser une autre présentation avec ses deux pages et ses deux rabats.
Oui, mais le texte de la quatrième de jaquette et celui de la quatrième de couverture diffèrent rarement.
G.G. Pas systématiquement. D'abord, il n'est pas obligatoire qu'une jaquette comporte une quatrième, sur laquelle est parfois reproduite une photo de l'auteur, et il peut se trouver que le texte dit de la quatrième soit reporté sur l'un des rabats, voire sur les deux. Plusieurs combinaisons sont possibles.
Dans Seuils vous citez Furetière: «Un bon titre est le vrai proxénète d'un livre.» N'est-ce pas le cas aujourd'hui de la quatrième de couverture?
G.G. Bien sûr, à ceci près qu'au temps de Furetière un titre était très développé, qu'il était déjà à lui seul un petit texte, qu'il faisait office à certains égards d'une de nos quatrièmes, et il n'était pas rare que le nom de l'auteur ne figure pas sur la couverture. Mais puisqu'on en est au titre, il est arrivé que des «remplis» en soient pourvus. Et je ne connais pas plus belle illustration de ce qu'est une quatrième de couverture que le titre proposé par Jean-Claude Hémery à celle de son Anamorphoses (1970): «Avertissement sans frais». C'est, en effet, bien de cela qu'il s'agit! Une quatrième, on la lit sans avoir à payer.
Mais comment la réussir? Il y faut beaucoup d'art...
G.G.Il faut du savoir-faire mais comme tout ce qui appelle un savoir-faire exige un art, alors, oui, parlons d'un art même s'il s'investit sur un petit objet. Un art qui évolue selon le genre de l'ouvrage, selon l'auteur, selon l'éditeur. N'oublions pas non plus que des livres paraissent sans «rempli» et que très longtemps Minuit, par exemple, s'est refusé à cette pratique, préférant s'en tenir au vieux prière d'insérer encarté. Alors, quelles qualités requérir? Tout repose en fait sur un difficile équilibre entre l'informatif et l'incitatif. Et le maître en l'espèce fut Zola qui à ses qualités d'écrivain ajoutait celles d'un grand professionnel de l'édition et qui rédigeait ses propres prières d'insérer.
Est-ce à un auteur de le faire? N'est-ce pas à l'éditeur?
G.G.La quatrième de couverture est en principe un texte éditorial même quand l'auteur en est le rédacteur. S'il n'existe pas de règle canonique, l'auteur, tout de même, m'apparaît comme le mieux placé pour savoir ce qu'il faut dire de son livre. Je ne laisse ce soin à personne pour mes propres ouvrages. Mais je sais que le débat est ouvert.
Vous parlez d'un art qui évolue. Même pour quelques lignes, pour un paragraphe?
G.G. Comment confondriez-vous un prière d'insérer de la NRF des années 1930 et une quatrième de Tel Quel des années 1970? Tel Quel, c'était un style, cette écriture avant-gardiste avec, il faut le dire, un zeste de prétention et une bonne dose d'hermétisme. La collection recherchait volontiers cette obscurité pour ses titres également, à charge de s'en expliquer dans la quatrième, voire par le biais d'une épigraphe. De ce point de vue, les finalités de l'une et l'autre, de la quatrième et de l'épigraphe, par rapport au titre, peuvent se rejoindre. La finalité du bandeau aussi. Pour Mimologiques (1976), j'en avais choisi un avec une citation qui, de prime abord, ne manquait pas de culot: «Un formidable dossier. Claudel.» C'est simplement ce que Claudel avait dit de l'imagination, le sujet que je traitais dans le livre. Mais cette citation aurait pu tout aussi bien se retrouver sous la forme d'une épigraphe.
Au fond, la quatrième de couverture, vous le suggérez assez, n'est qu'un élément de cet «appareil péritextuel» qui oriente nos lectures. Mais ne connaît-elle pas aussi des avatars d'une édition à l'autre?
G.G. Elle peut être soumise à des modifications, en effet, si le livre est réédité. En poche, par exemple, mais pas seulement. L'édition originale du Bavard de Louis-René Des Forêts (Gallimard, 1946) est vierge de toute quatrième. En 1964, 10/18 le republie avec un texte anonyme. En 1983, Gallimard le reprend dans sa collection Imaginaire, mais avec une autre quatrième, cette fois signée de Pascal Quignard. Tout varie dans la carrière d'un titre. Entre deux éditions, des accessoires du texte apparaissent ou disparaissent, il en est même que l'on se permet de jeter, comme un bandeau ou une jaquette. Si une quatrième reste forcément liée au livre, le prière d'insérer encarté pouvait aller également à la poubelle. À moins de faire le bonheur des collectionneurs.
Gérard Genette, 2002.
Mis en ligne dans l'Atelier de théorie littéraire de Fabula en février 2021.