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La notion de contrat, par Emmanuel Bouju:

En dehors de l'usage juridique qui en est fait pour désigner l'accord formel liant l'auteur à son éditeur, la notion de contrat apparaît habituellement dans le discours théorique sur la littérature à travers l'expression « contrat de lecture » ou à travers la distinction généralement opérée entre contrat fictionnel et contrat référentiel. Il est plus rare de voir l'expression désigner comme « contrat d'écriture » un geste d'engagement de l'écrivain à l'égard de ses propres choix esthétiques. Tous les usages autres de la notion relèvent plus évidemment encore de la métaphorisation.

La mise à l'épreuve de la notion sur des exemples d'analyse littéraire permet d'en reconnaître l'efficacité pratique et théorique, mais aussi d'affirmer la nécessité de laisser un certain « jeu » dans son emploi (comme l'on dit d'une pièce qu'elle a du jeu) : selon son degré de métaphorisation, selon les liens qu'elle établit avec des notions proches, selon ses positions multiples dans l'échange, selon le niveau d'actualisation qu'elle atteint ou n'atteint pas (en restant parfois à l'état de traces ou d'absence).

Il semblerait en particulier que le contrat littéraire ne soit pas réductible au seul contrat de lecture – ou du moins qu'il est tel seulement à l'une de ses phases de composition. Des fonctions moins classiques du modèle contractuel peuvent être identifiées: là où il vient régler des échanges plus larges et complexes relevant de l'intertextualité et de la réception – appropriation et réfection des modèles, traduction, transmodalisation.

L'on sait par ailleurs que le partage entre fiction et référence souffre d'ambiguïtés multiples que la contractualité péritextuelle ou intratextuelle ne suffit pas à régler tout à fait.

Pour mieux régler l'usage de la notion, je propose de doubler l'idée d'un pacte liminaire par celle – complémentaire et différente – d'un contrat d'ensemble dont la signature ne s'inscrit vraiment – mais comme texte précisément – qu'au terme de l'échange littéraire : c'est peut-être la seule façon de penser une contractualité dont le fonctionnement repose, du côté de l'auteur sur une visée intentionnelle qui tient lieu, dans la solitude et le doute de l'écriture, de morale provisionnelle, et du côté du lecteur sur une expérience d'acclimatation de sa liberté aux règles de cette morale.

Si le contrat consiste à la fois dans la promesse d'un engagement mutuel et dans la forme écrite de cet engagement, c'est le processus entier de l'écriture et de la lecture qui édicte pour l'œuvre littéraire le contrat qui la fait exister comme telle.


Emmanuel Boujou

Revue Acta fabula:


Littérature sous contrat et Paratexte.


Changement de cadre pragmatique dans le discours savant: Présence de la fiction dans le discours philologique, par Sophie Rabau.


Lien: Qu'est-ce que le pacte autobiographique ? Par Philippe Lejeune.


Références:


Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique Éditions du Seuil, coll. “ Poétique ”, 1975 (Nouvelle édition, coll. "Points", 1996).

Gérard Genette, Seuils, Éditions du Seuil, coll. “ Poétique ”, 1987 (réédité en coll. "points").

Littératures sous contrat. Cahiers du groupe PHI, sous la direction d'Emmanuel Bouju, Presses Universitaires de Rennes, coll. " Interférences ", 2002.


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Emmanuel Bouju

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Dernière mise à jour de cette page le 9 Janvier 2009 à 19h08.