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Le travail de la narration dramatique

par Danielle Chaperon (Université de Lausanne)


Cet article a été initialement publié dans: Arielle Meyer Mac Leod et Michèle Pralong (éd.), Raconter des histoires, Quelle narration au théâtre aujourd'hui?, Genève, MetisPresses, 2012, pp. 27-41. Il est ici repris avec l'aimable autorisation de ses premiers éditeurs.


Dossier Théâtre






Le travail de la narration dramatique



Quelle narration?


«Assiste-t-on, aujourd'hui, à un retour de la narration au théâtre?[1]» La question est à peine posée que l'invitation à penser le contemporain doit être différée au profit d'une interrogation portant sur la nature même du phénomène prétendument résurgent. De quelle narration parle-t-on, en effet? Gérard Genette avait souligné, il y a une quarantaine d'années[2], que le mot récit pouvait couvrir au moins trois notions différentes[3]. Une polysémie comparable frappe le terme de narration — ambiguïté aggravée par l'impropriété (au moins apparente) de son usage dans un contexte théâtral. Nous prendrons donc le temps de présenter trois variantes possibles du mot narration[4] avant de revenir aux modalités du retour de celle(s)-ci.



1. Raconter une histoire


Souvenons-nous! À l'apogée de l'«ère de la mise en scène»[5], pendant le dernier quart du XXe siècle, les conteurs autoproclamés furent légion. «Sans la fable, si je ne raconte pas une histoire, je ne peux rien m'autoriser» déclarait par exemple Jacques Lassalle[6]. Pour sa part, Antoine Vitez rappelait qu'au théâtre «il y a une histoire à raconter, un rêve, une fiction, quelque chose, un mythe qu'il faut lancer à des gens, à un groupe de gens, le public, et il y a un autre groupe de gens, les acteurs, qui doivent raconter, montrer cette histoire»[7]. Patrice Chéreau parlait encore récemment de «l'importance déterminante de la narration dans [s]on travail»[8]. De telles déclarations ne furent alors remarquables que d'être proférées par des metteurs en scène à un moment où raconter était encore l'apanage des auteurs. Si J. Lassalle, Vitez ou Chéreau — parmi d'autres — se sont parés du titre de conteur, c'est qu'ils estimaient avoir les moyens artistiques de raconter d'autres histoires que les textes, de les raconter avec et parfois contre les histoires attribuées à Shakespeare, à Molière ou à Marivaux. Dans la foulée de ces metteurs en scène «auteuristes», un théâtrologue pouvait alors affirmer: «ce qu'a voulu dire Molière, il faut l'affirmer sans gêne, ne nous concerne pas»[9]. Depuis les années 1960, le problème était en effet brûlant, de la concurrence des histoires et des droits des conteurs. François Regnault le rappelle en proposant un développement élégant: «Quelle histoire? Celle de l'auteur? Ou celle qu'on raconte à la place de l'auteur? Celle qu'on tire de lui ou celle qu'on lui prête? Ou celle que se raconte le spectateur? Je dis l'histoire. Elle résulte d'une intégration de la fable de l'auteur, de l'enjeu qu'y a mis le metteur en scène, et de ce que se raconte le spectateur pendant la représentation»[10].


Quelle que soit l'instance qui en prend l'initiative ou en assume la responsabilité, il n'est pas — a-t-il semblé longtemps — de texte dramatique ou de spectacle théâtral sans histoire (muthos, fabula, action, intrigue). Pour Aristote, le théâtre raconte, évidemment, puisqu'il représente des actions humaines qui se déroulent dans le temps et dans un monde de la contingence. Mieux: le théâtre tire toute sa légitimité philosophique de ce fait qu'il raconte. En effet, en l'absence d'un savoir théorique ou scientifique portant sur la vie des hommes, les représentations poétiques en fournissent des modèles[11] qui la rendent au moins pensable (en particulier du point de vue éthique et politique). Umberto Eco qualifiera cette fonction, parce qu'elle est une question de survie individuelle et collective, de «biologique». C'est dire qu'elle est le fruit de l'évolution et de la sélection naturelle. «Si raconter des histoires est une fonction biologique, ajoutait Eco, Aristote avait compris tout ce qui était nécessaire sur cette biologie de la narrativité»[12]. Dans le même esprit, Roland Barthes constatait l'universalité du phénomène:

[L]e récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés; le récit commence avec l'histoire même de l'humanité; il n'y a pas, il n'y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit; toutes les classes, tous les groupes humains ont leurs récits, et bien souvent ces récits sont goûtés en commun par des hommes de cultures différentes, voire opposées; le récit se moque de la bonne ou de la mauvaise littérature: international, transhistorique, transculturel, le récit est là, comme la vie.[13]

Barthes rappelait aussi que «toute matière était bonne à l'homme pour lui confier ses récits: le récit peut être supporté par le langage articulé, oral ou écrit, par l'image, fixe ou mobile, par le geste et par le mélange ordonné de toutes ces substances»[14]. Eco précisait qu'à l'occasion, contrariée, la «biologie se venge»[15]: lorsque la littérature ne veut plus raconter d'histoire (comme à l'époque du Nouveau Roman), le cinéma, la télévision ou le journalisme ont pris le relais. Ni la littérature, ni le théâtre, ni l'art n'ont donc le monopole de cette fonction qui est la mieux partagée et des plus anciennes.


Les intuitions de ces philosophes et de ces sémiologues sont aujourd'hui confirmées par les neurosciences cognitives: la faculté de produire des scénarios est caractéristique de la manière dont un être humain raisonne, prend des décisions et planifie son action. Ces «narrations sont d'importance fondamentale pour que le processus de déduction logique se poursuive»[16]. Paul Ricœur (en dehors de toute référence aux sciences du vivant) parlait quant à lui d'une «intelligence narrative», essentielle à la construction de l'identité qualifiée elle-aussi d'«identité narrative»[17]. Le récit ou la narration serait à la fois une «médiation entre l'homme et le monde, entre l'homme et l'homme et entre l'homme et lui-même»[18]. Certains auteurs dramatiques contemporains, à l'instar d'Edward Bond, en sont du reste convaincus:

L'enfant qui ne raconterait jamais d'histoires serait une coquille humaine, vide. S'il n'imaginait pas, il ne pourrait pas raisonner. Les histoires structurent notre esprit. En fait nous sommes notre histoire, c'est ce que nous vivons. Et comme elle nous relie au monde, l'imagination qui crée l'histoire est logique et disciplinée — plus encore que la raison. Autrefois nous appelions cette logique destin, et pensions que l'histoire racontée était la propriété des dieux. En réalité c'est notre histoire et nous en sommes les conteurs.[19]

À la fin de l'«ère de la mise en scène», néanmoins, les metteurs en scène ne se sont plus contentés de multiplier et de croiser les histoires. Ils n'ont eu de cesse de déconstruire l'action, de dénoncer la fiction et l'imaginaire — ou de vouloir se passer de l'une et des autres. On aura reconnu le théâtre «postdramatique» défini par Hans Thies Lehmann[20], un théâtre:

qui se caractériserait par des mises en abyme, une réflexion sur ses procédés. Ce qui se déroule entre la scène et la salle et non plus ce qui se passe sur scène, la présence et non plus la représentation, une situation et non plus une fiction, la sensualité d'un corps et non plus l'incarnation d'un sens, le monologue ou le chœur et non plus le dialogue, tel serait le décentrement opéré par le passage du dramatique au postdramatique.[21]

Le «retour de la narration», serait-ce alors simplement le retour des histoires qui consommerait la fin, à son tour, de l'ère postdramatique?



2. Raconter une histoire en la narrant


Dans un sens plus spécifique que le précédent, la narration est le terme qui désigne traditionnellement l'un des deux «modes» par le truchement desquels une histoire peut être racontée: le mode épique (ou narratif) et le mode dramatique. La narration (mode épique) se définit par opposition à ce que les théoriciens du cinéma, comme André Gaudreault, ont proposé d'appeler la monstration (mode dramatique)[22]. Le terme de monstration paraît tout à fait approprié pour désigner le mode du spectacle théâtral[23]. Dans une narration, le narrateur s'interpose entre le monde raconté et le lecteur. En revanche, dans le cadre d'une relation de monstration, le lecteur/spectateur est confronté immédiatement au monde diégétique, aux personnages qui le peuplent et aux événements qui s'y déroulent. Le lecteur/spectateur devient ainsi imaginairement un témoin direct de l'action. Les théoriciens classiques y insistaient beaucoup: «[Le Poète] ne la leur fait pas connaître par un simple récit, comme un historien; mais il les en fait témoins, et la leur rend connue par elle-même» écrit le Père Le Bossu[24]; «[Le théâtre] ne nous fait rien savoir que par des gens qu'il expose à la vue» affirme Corneille[25]. Les deux modes distingués par Aristote n'ont pas été hiérarchisés par lui qui ne fonde sa préférence pour le théâtre que sur la densité de l'action représentée. Il détermine ainsi toute la réception classique des deux manières de raconter une histoire. On se souviendra, en revanche, que Goethe et Schiller ont clairement attribué des qualités différentes à chacun des deux modes. Le 23 décembre 1797, Goethe écrit à Schiller une lettre dans laquelle il rappelle que ceux-ci «se distinguent essentiellement par le fait que le poète épique rapporte l'événement comme parfaitement passé, alors que le poète dramatique le représente comme parfaitement présent». Il ajoute aussitôt ce commentaire étonnant: «Si on voulait déduire de la nature humaine les lois détaillées d'après lesquelles ils doivent agir, il faudrait imaginer un rhapsode et un mime, tous deux poètes et entourés, le premier du cercle tranquille de ceux qui sont à son écoute, le second du cercle impatient de ceux qui regardent et entendent»[26]. Schiller répond trois jours plus tard en glosant les deux adjectifs proposés par son interlocuteur, «tranquille» et «impatient»:

L'action dramatique se meut devant moi, dans l'action épique c'est moi qui suis en mouvement autour d'elle, elle-même semblant rester en repos. […] Lorsque l'événement se meut devant moi, je suis enchaîné entièrement au moment présent sensible, mon imagination perd toute liberté, une anxiété permanente naît et se conserve en moi, je suis obligé de me tenir toujours auprès de l'objet représenté, tout regard en arrière, toute réflexion me sont interdits, parce que j'obéis à une puissance étrangère. Lorsque je me meus autour de l'événement qui ne saurait m'échapper, je puis changer le rythme de mes pas, m'arrêter plus ou moins longtemps selon mon besoin subjectif, je peux me tourner vers l'arrière, me porter en avant et ainsi de suite.[27]

Schiller conclut en formulant un conseil dont se souviendra Brecht: «Dans le cas de l'épopée c'est la sensibilité qui est menacée, alors que dans la tragédie il s'agit de la liberté. Il est donc naturel que le contrepoids de ce manque soit toujours constitué par une caractéristique représentant la spécificité du genre poétique opposé. Ils se rendront ainsi l'un à l'autre le même service: défendre le genre contre l'espèce»[28]. Brecht baptisa sa propre pratique du «contrepoids» d'un oxymore qui devint célèbre: le «théâtre épique». Mais il ne faut pas oublier, comme le rappelait Brecht lui-même en commentant une «scène de la rue» que, dans la vie réelle, les conteurs que nous sommes mélangent allègrement les deux modes[29] et que les enfants passent sans sourciller d'un mode à l'autre quand ils jouent aux gendarmes et aux voleurs ou quand ils racontent leur journée. La quête d'une pureté modale est le fait d'un travail artistique basé sur la contrainte. On ne s'étonnera pas, comme le souligne François Regnault, que «l'histoire du théâtre [est] constamment retravaillée par le retour de l'épique. C'est quelque chose qui est congénital à l'essence du théâtre»[30].


Le retour de la narration, serait-ce alors un retour de l'épique? un retour après bien d'autres d'une hybridation des modes et des genres que Jean-Pierre Sarrazac, à propos de la fin du XIXe siècle appelait rhapsodisation, que Peter Szondi nommait épicisation et Mikhaïl Bakhtine romanisation? J.-P. Sarrazac rappelait, comme Szondi avant lui, que «l'inaptitude du modèle dramatique à rendre compte globalement du monde (et tant du macrocosme que du microcosme, tant du monde que du moi)» rendait inévitable le recours à l'épique et au lyrique[31].



3. Raconter des histoires qui ont «un début, un milieu et une fin»


La troisième acception du terme narration peut aussi désigner une manière «classique» ou «traditionnelle» d'inventer les histoires elles-mêmes. Cet art de la construction de l'action capta, on le sait, une grande partie de l'énergie théorique d'Aristote dans sa Poétique. Il a retenu aussi toute l'attention des Corneille, Voltaire, Diderot, Marmontel, Lessing, de tant d'autres qui furent les théoriciens de l'écriture dramatique depuis le XVIe siècle jusqu'à la fin du XIXe siècle (pour le moins). Les règles de cet art contribuent à la définition de l'«unité d'action» classique et correspondent à peu de choses près aux normes du plot hollywoodien enseignées aujourd'hui dans les écoles de scénaristes. L'action unifiée a «un début, un milieu et une fin», un nœud et un dénouement, forme un «arc narratif», combine plusieurs fils, enchaîne des faits unis par des liens de cause à effet. Le travail sur l'action aboutit à une intrigue intelligible qui place le lecteur/spectateur dans une position de maîtrise cognitive mais aussi dans une relation de dépendance émotionnelle grâce à un système de pronostics, de diagnostics et de surprises, c'est-à-dire de suspense[32]. Ce type de construction, qu'Aristote estime nécessaire à l'accomplissement de la catharsis, a souvent été menacé au cours de l'histoire du théâtre, soit par des usages réputés archaïques (le théâtre anglais pour les Français des XVIIe et XVIIIe siècles), des expériences de rénovation (le drame romantique) ou des retours à l'origine (à la commedia dell'arte à maintes reprises). C'est dans un esprit d'innovation moderniste (voire cubiste), par exemple, qu'au XXe siècle, Michel Vinaver oppose à ce qu'il appelle le théâtre-machine, son propre idéal d'un théâtre-paysage[33]:

Beaucoup du plaisir théâtral provient de l'apaisement qu'apporte cette mise en ordre du monde. […] Le théâtre, plus généralement qu'il ne paraît, est un instrument de sécurité. Il est cela dans la mesure où il résout les difficultés et les contradictions de la situation proposée, en la propulsant hors de l'histoire, dans cette zone imaginaire où nous pouvons respirer avec plénitude et nous libérer de toute appréhension, parce que, là, «c'est déjà arrivé»[34].

Aux yeux de M. Vinaver, le corpus dramatique du XXe siècle paraît en effet encore dominé par le classicisme. La logique de l'action, support de valeurs épistémologiques, ontologiques et métaphysiques périmées, devrait à son estime être abandonnée au profit d'une représentation à la fois moins arrogante et moins rassurante de la vie humaine. Loin de se placer «en surplomb», le lecteur/spectateur doit s'égarer et apprendre à se diriger lui-même:

Ce que je trouve dans cette notion de paysage, c'est peut-être ce qui me permet à moi, ce qui permet à l'individu, à la personne, de ne pas être dans un rapport hiérarchique par rapport à l'univers. […] Je crois que, chez moi aussi, quand je dis «être perdu dans le paysage», c'est à la fois l'angoisse, la réalité de l'angoisse du rapport au monde, le monde dont nous sommes, et c'est aussi une comédie; c'est aussi quelque chose de drôle, le rapport au paysage. Enfin! le fait d'être perdu quelque part c'est drôle ! Si j'oppose paysage à machine, eh bien la machine, c'est ce qui est contrôlé, ce qu'on peut contrôler, ce qui peut aussi bien sûr se disloquer[35].

Le retour de la narration serait-ce alors le retour à des histoires «bien construites», à de belles «machines» aussi efficaces que celles que l'on voit sur grand écran? Des histoires dans lesquelles on ne se perd ni ne se trompe?



Allers et retours


Raconter des histoires ou non (narration n°1)? selon un mode dramatique ou épique (narration n°2)? des histoires structurées ou non (narration n°3)? On devine que ces trois questions peuvent faire l'objet de trois chronologies historiques qui ne furent synchrones que sporadiquement. Il serait illusoire de tenter de reconstituer les épisodes de cette chronologie qui ressemblerait fort à l'histoire du théâtre tout entière. Contentons-nous de quelques constats.


Le désir de raconter des histoires ne se confronta pas toujours à la volonté négative de ne pas en raconter, mais avec des projets plus positifs comme celui de décrire le monde ou la société, d'exprimer des sentiments ou d'expliquer des idées. Il ne s'agissait pas alors de faire quelque chose en moins (ne plus raconter), mais de faire quelque chose en plus (raconter et décrire, raconter et exprimer, raconter et expliquer). Ce que Jean-Pierre Sarrazac appelle la «crise du drame» de la fin du XIXe siècle est en grande partie due à ces ambitions supplémentaires (lyriques, pédagogiques, politiques, métaphysiques) qui firent craquer les coutures d'une intrigue a priori destinée à les contenir. Force est de constater en effet que raconter une histoire (narration n°1) tout en poursuivant simultanément un autre but, a souvent pour conséquence de mettre à mal les règles traditionnelles de construction de l'action unifiée (narration n°3). Au XVIIIe siècle, par exemple, la volonté de peindre des caractères singuliers ou, un siècle plus tôt, le simple désir de faire rire, ont tous deux, à leur manière, porté atteinte à la structure de l'action classique: la discontinuité des effets comiques comme la présentation des différentes facettes d'une personnalité coïncidaient mal avec la mise en intrigue. Il n'est pas jusqu'au spectacle conçu par Diderot comme une suite de tableaux qui allait à l'encontre de l'unité et de la continuité de l'action. Il en fut de même de l'association avec des arts qui entretenaient avec le narratif (n°1) des relations traditionnellement tendues et bientôt rompues par la modernité (la musique ou la danse). Résulte de toutes ces rencontres tumultueuses l'évidence qu'il y a plusieurs manières de raconter des histoires et que celles-ci — factuelles ou fictionnelles — supportent assez bien de ne pas être continues, logiques, achevées, vraisemblables. Ainsi, les montages de scènes ponctués d'ellipses, les va-et-vient de la chronologie, la multiplication des fils et des personnages, l'expansion des parties lyriques et chorales, tout cela qui est caractéristique de la dramaturgie du demi-siècle écoulé — mais qui le fut pour partie de maintes périodes l'histoire du théâtre —, n'empêchent pas des histoires d'être le plus souvent racontées quand même.


Ce qui relèverait caricaturalement d'une «dramaturgie négative», qui aurait pour objectif de ne rien, ne plus, ne pas raconter, émerge cependant des turbulences du XXe siècle. Le théâtre de Dada, pendant la Première Guerre Mondiale, démonta minutieusement tous les mécanismes du récit, de la fiction et de la signification. Après la Seconde Guerre Mondiale, Samuel Beckett invalide apparemment toute tentative de donner sens et justification à l'existence humaine (il ne renonce pas, en revanche, à lui donner une forme). Plus récemment, la fin des grands récits caractérisant la postmodernité, a permis de relancer l'entreprise de déconstruction sur un mode plus ironique et ludique[36]. Aujourd'hui, le récit étant assimilé à une arme idéologique, on cherche, plus gravement, à en exhiber les rouages dans le but de le neutraliser. Les récentes dénonciations du storytelling (dans les domaines de la culture de masse, du marketing, de la politique et du management) encouragent, si besoin était, le théâtre dans ses rejets et ses refus[37].


Mais cette neutralisation n'est pas si simple. On l'a dit, les sciences cognitives mais aussi les sciences humaines et sociales[38] confirment aujourd'hui que la capacité narrative, fruit culturel de l'évolution de l'espèce, est inhérente à la réflexion sur nos actions et nos décisions, et nécessaire à l'exercice (ou à l'invention) de notre volonté et de notre liberté. Elles valident à leur manière l'intuition d'Aristote et de ses disciples. Les théoriciens de la littérature et de la culture en ont pris acte[39]. Ne savions-nous pas déjà que c'est par le récit que les prisonniers des camps de concentration ont parfois survécu et témoigné? N'avions-nous pas lu que les régimes autoritaires, tels qu'ils sont décrits dans de célèbres romans dystopiques ont toujours le souci d'éliminer ou de dénaturer la «capacité narrative» de leurs administrés (1984, Le Meilleur des mondes, Farenheit 451, etc.)? Ne constatons-nous pas aussi qu'aux grands récits périmés de l'idéologie moderne (le progrès, la lutte des classes, la croissance…) a succédé le grand récit écologique qui nous conte incessamment l'agonie de la Terre et l'extinction de l'espèce humaine afin de faire de nous des «catastrophistes éclairés» [40]?



L'acte de la narration


La narration se présente donc, aujourd'hui, plus que jamais, comme étant à la fois le remède et le mal. Comment croire que le théâtre puisse se contenter tantôt de distribuer l'un, tantôt de propager l'autre? Tantôt racontant, tantôt ne racontant pas? Ne lui revient-il pas plutôt — et d'une manière qui lui est propre — de problématiser la question? C'est ce qu'il fait de plus en plus aujourd'hui et c'est peut-être cette entreprise qui passe pour un «retour de la narration» en général. Le retour, si retour il y a, est donc un retour sous forme de problème. Cette problématisation expliquerait néanmoins un certain retour d'une certaine narration, en l'occurrence la résurgence de la narration n°2, qu'il importe de remarquer et de mettre en évidence. On peut même risquer l'hypothèse que ce retour est nouveau, plus nouveau en tous les cas que les seuls revivals de la narration n°1 et de la narration n°3 qui sont aussi courants, on l'a vu, que leurs vacances. Depuis une vingtaine d'années, nombreux sont en effet les textes et les spectacles qui posent la question de la narration par le biais des personnages eux-mêmes. Ceux-ci — fictionnels ou à demi-réels (comme dans le cas de spectacles autobiographiques ou documentaires) — sont les narrateurs de leur propre histoire, dans une forme renouvelée d'hybridation entre le dramatique et l'épique. Ces personnages ne prennent nullement en charge, comme dans le théâtre classique, des fonctions (fonction narrative, mais aussi idéologique, testimoniale, de régie, de communication[41]) qui leur auraient été déléguées par défaut. Ce qui frappe, ce sont au contraire les difficultés qui attendent les personnages engagés dans un acte de narration pour lequel ils ne se montrent en rien compétents. Ainsi en est-il, par exemple, des personnages de Wajdi Mouawad (Incendies), de Daniel Danis (Cendres de Cailloux), de Marius von Mayenburg (L'Enfant froid), de Roland Schimmelpfennig (Une Nuit arabe). Les personnages, narrateurs de leur propre histoire ou de celle des autres, ne savent où se mettre dans le temps, ni dans l'espace, ils ne savent pas non plus à qui ils s'adressent ou même s'ils s'adressent à quelqu'un. Alors, ils oscillent entre narration et monstration, entre passé et présent, entre profil et face (comme dirait Denis Guénoun[42]). Leur «identité narrative» se montre aussi fragile que leur «intelligence narrative» et que leurs capacités rhétoriques.


Si un «retour de la narration» particulier devait être aujourd'hui constaté — encore que le phénomène ne soit pas général — ce serait donc peut-être sous cette forme: la narration comme acte attribué à un personnage qui peine — tragiquement ou comiquement — à l'accomplir.


Il n'est pas anodin que l'acte de narration soit confié aujourd'hui aux personnages, que cet acte puisse aussi être le seul ou le principal qu'ils accomplissent, que cet acte soit douloureux, «pathétique», voué souvent à l'échec. L'acte de raconter semble pour le coup basculer dans le champ de la praxis, de cette praxis qui est l'objet même de la représentation dramatique ou théâtrale (mimèsis praxèôs). Rappelons que dans le monde de référence d'Aristote, la praxis — l'action — se caractérise par la fragilité[43]; elle est à la fois absolument libre (dans son commencement) et totalement soumise à la contingence (dans ses suites). En effet, les gestes et les paroles en quoi consiste l'action humaine sont irréversibles, imprévisibles et interminables dans leurs conséquences puisqu'ils s'exercent parmi les autres, avec ou contre eux qui sont pareillement libres. Les intrigues des tragédies ne parlent que de cette fragilité. La poïesis — l'œuvre — est tout au contraire caractérisée par la durabilité, la solidité; de plus, elle est planifiable et maîtrisable dans son processus comme dans sa finalité. La Poétique explique ainsi comment le fait de raconter (dans le théâtre et l'épopée) a pour tâche de transformer l'«action» (praxis) en «œuvre» (poïesis), ceci afin de conjurer ou de purger (catharsis) ce que la contingence de la vie en société peut avoir d'angoissant. Le texte dramatique, et dans une moindre mesure (pour Aristote) le spectacle, doivent transformer la praxis en poïesis, la fragilité en solidité. Rappelons cependant, bien qu'Aristote n'en dise mot[44], que lors de la représentation théâtrale, devant le public de la cité grecque rassemblé pour l'occasion, l'œuvre était livrée sous la forme d'un acte politique: le résultat de la poïesis retournait alors dans le monde de la praxis. Le processus, tel qu'il est décrit ci-dessus, se présente donc comme une boucle: praxis, poïesis, praxis[45]. C'est ce processus que le basculement actuel de la narration dans le champ de la praxis altère. Car l'impossibilité de produire un récit, la difficulté de raconter qui frappe les personnages, on le devine, ne leur appartient pas en propre. L'auteur dramatique, le metteur en scène, le comédien, les partagent depuis plus d'un siècle. L'œuvre serait devenue aussi fragile que l'action, incapable de purger ou de conjurer quoi que ce soit.



Le travail de la narration


Une autre hypothèse se présente cependant si l'on se souvient que praxis et poïesis ne recouvrent pas l'entièreté du champ de la vie active telle qu'elle est pensée depuis l'Antiquité. En effet, sont distinguées par la philosophie grecque trois modalités — et non deux seulement — que Hannah Arendt décrit comme suit:

L'action [praxis], la seule activité qui mette directement en rapport les hommes, sans l'intermédiaire des objets ni de la matière, correspond à la condition humaine de la pluralité, au fait que ce sont des hommes et non pas l'homme, qui vivent sur terre et habitent le monde. Si tous les aspects de la condition humaine ont de quelque façon rapport à la politique, cette pluralité est spécifiquement la condition […] de toute vie politique[46].

L'œuvre [poïesis] est l'activité qui correspond à la non-naturalité de l'existence humaine, qui n'est pas incrustée dans l'espace et dont la mortalité n'est pas compensée par l'éternel retour cyclique de l'espèce. L'œuvre fournit un monde «artificiel» d'objets, nettement différents de tout milieu naturel. C'est à l'intérieur de ses frontières que se loge chacune des vies individuelles, alors que ce monde lui-même est destiné à leur survivre et à les transcender toutes. La condition humaine de l'œuvre est l'appartenance-au-monde[47].

Le travail [ponos] est l'activité qui correspond au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption, sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital. La condition humaine du travail est la vie elle-même[48].

Force est de constater que plus personne aujourd'hui ne pense sincèrement que le théâtre puisse être équivalent à un acte politique. Le théâtre compose-t-il, à défaut, des œuvres? Comment le croire, alors qu'il s'est écarté volontairement de la durabilité des œuvres littéraires pour se revendiquer de plus en plus comme un art de l'éphémère, un «art vivant». Les «écrivains de plateau» chers à Bruno Tackels, les «poètes» et les «artistes de la scène», parlent-ils de leur œuvre? Non. Ecoutons-les, ils parlent tous de leur travail! Serions-nous alors dans ce monde que Hannah Arendt dénonçait déjà, en 1951, dans La Condition de l'homme moderne? Aujourd'hui comme il y a soixante ans, l'action aurait-elle disparu, et les œuvres seraient-elles devenues des objets de consommation? Le travail aurait-il tout envahi? La politique et la culture sont-elles contaminées par la futilité et la fugacité? Pas de doute, en effet — et les revendications des intermittents du spectacle suffiraient à nous en convaincre — faire du théâtre est un travail. Il serait imprudent, néanmoins, de s'unir trop vite à la déploration de Hannah Arendt. Aujourd'hui nous constatons que le discours de l'œuvre — sous une forme dégradée — est idéologiquement et économiquement dominant, parce que c'est un discours de maîtrise. Ce discours dénie cyniquement la fugacité de la vie et la fragilité de l'action en faisant l'éloge du self made man sous la forme contemporaine de l'auto-entrepreneur. S'il faut en croire les gourous du développement personnel et du management, la vie individuelle relève de la poïesis et non de la praxis:

Vous devez reconnaître que vous seul êtes responsable de la vie que vous vous êtes faite. Vous devez reconnaître que c'est à vous seul que vous devez d'être dans un monde comme celui dans lequel vous vous trouvez. Votre état de santé, vos finances, votre vie amoureuse, votre vie professionnelle, tout cela est votre œuvre, et celle de personne d'autre.[49]

Dans un tel discours, pas de place pour la contingence, la vulnérabilité physique, la fragilité des relations, la précarité de la situation économique. La sociologue Alain Ehrenberg a fait l'inventaire des conséquences psychiques de ces injonctions, ainsi que la symptomatologie de la culpabilité et de la dépression qui en découlent[50]. Le travail mérite dans ces conditions qu'on le reconsidère (autant que l'action, par ailleurs). N'est-ce pas à quoi le théâtre contribue par le travail de la narration quand il le reprend à son compte? Le travail de la narration consisterait à faire et à défaire les histoires que les hommes et les femmes de théâtre présentent sur scène. Il serait voué à raconter des histoires, à raconter des parcours de vie fragiles et à ne les terminer jamais. Que donne à penser ce travail si ce n'est qu'il faut sans cesse raconter des histoires, parce que celles-ci sont aussi nécessaires à la vie humaine que le pain que l'on mange, que l'eau que l'on boit, que le sommeil qui répare? Mais aussi qu'il faut recommencer encore et encore. «À l'instar de Pénélope, [l'art] défait pendant la nuit la tapisserie que des théologiens, des philosophes, des savants ont ourdie la veille», écrit Kundera[51]. En toute logique, il faudrait ajouterà la liste: «la tapisserie que les artistes eux-mêmes ont ourdie la veille».


Ainsi, à sa manière, le théâtre nous ramène à la biologie, à ce qui nous contraint l'être humain à se nourrir, à se reposer, à se reproduire, aussi à ce qui lui rend les histoires indispensables — à condition qu'elles soient sans cesse reprises, dans un travail de la narration sans fin.





Danielle Chaperon (Université de Lausanne)
(première édition 2012; texte révisé en mai 2017 pour l'Atelier de Fabula)


Pages associées: Théâtre, Narration?, Récit
Du même auteur dans l'Atelier: "Le Mensonge dramatique" et "Dramaturgie du pathos. Contribution à une analyse des émotions au théâtre"




[1] Le présent article est issu d'une contribution à une journée d'études dont le titre initial était Le Retour de la narration? (Plateforme de réflexion au Grü/Théâtre du Grütli, Genève en collaboration avec la Haute École de Théâtre de Suisse Romande (HETSR), 22 et 23 octobre 2010).

[2] Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p.71.

[3] On sait que G. Genette résout cette plurivocité en nommant différemment les trois aspects en question: Histoire/Récit/Narration. Nous ne pouvons adopter ici les termes de cette «triade», si pratique au demeurant, dans la mesure où notre problème terminologique est aussi un problème de mode, de genre et de médium. Dans d'autres contextes, nous avons proposé de distinguer Action/Drame/Présentation pour décrire les trois aspects d'un texte dramatique et Fable/Performance/Monstration pour décrire les aspects d'un spectacle théâtral.

[4] Précisons qu'a été écartée la possibilité d'un quatrième sens (ou d'un premier), celui qui ferait de la narration une simple synecdoque du texte. Le terme de narration semble en effet rarement utilisé par ceux qui opposent les champions du texte aux suppôts de l'image. Si nous l'évoquons, c'est que le texte serait susceptible aussi de «faire retour». Voir Théâtre: le retour du texte?, Littérature, n°138, Paris, Larousse, juin 2005.

[5] C'est ainsi que s'intitula le numéro 10 de Théâtre d'Aujourd'hui portant sur la période 1970-1980, qualifiée d'«apothéose» dans l'introduction (Paris, CNDP, 2005).

[6] Jacques Lassalle, «Un voyage partagé. Entretien», Registres, Revue d'études théâtrales, n°6, nov. 2001, pp.25-33.

[7] Antoine Vitez, «Le théâtre de quartier», La Scène 1 (1954-1975), Écrits sur le théâtre, II, P.O.L., 1995, Paris, p.216.

[8] Patrice Chéreau, Les Visages et les Corps, avec la collaboration de Vincent Huguet et Clément Hervieu-Léger, Paris, Skira Flammarion/ Louvre éditions, 2010, p.33.

[9] Michel Corvin, Molière et ses metteurs en scène d'aujourd'hui, Pour une analyse de la représentation, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1985, p.140.

[10] François Regnault, Théâtre-Solstices, Ecrits sur le théâtre, n°2, Arles, Actes Sud. 2002, p.74.

[11] Brecht, dans L'Achat du cuivre, a parlé de «maquettes».

[12] Umberto Eco, De la littérature, Paris, Grasset, 2003, p.315.

[13] Roland Barthes, «Introduction à l'analyse structurale du récit», Communications, n°8, 1966, p.7.

[14] Ibidem.

[15] Umberto Eco, De la littérature, p.311.

[16] Antonio R. Damasio, L'Erreur de Descartes, Paris, Odile Jacob, 2010 [1995], p.237.

[17] «Répondre à la question "qui?", comme l'avait fortement dit Hannah Arendt, c'est raconter l'histoire d'une vie. L'histoire racontée dit le qui de l'action. L'identité du qui n'est donc elle-même qu'une identité narrative.» Paul Ricœur, Temps et récit. 3. Le temps raconté, Paris, Seuil, 1985, p.442.

[18] Paul Ricœur, «La vie: un récit en quête de narrateur» dans Autour de la psychanalyse, Ecrits et conférences 1, Paris, Seuil, 2008, p.266.

[19] Edward Bond, La Trame cachée, Paris, L'Arche, 2003, p.15.

[20] Hans Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique, Paris, L'Arche, 2002 [1999 pour la version allemande].

[21] Florence Baillet, «Lectures. Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique, L'Arche, Paris, 2002», in Registres, Revue d'études théâtrales, n°8, décembre 2003, p.77.

[22] André Gaudreault, Du littéraire au filmique. Paris, Armand Colin/Nota Bene, 1999, p.81.

[23] Ce n'est pas ici le lieu, mais il y aurait profit à conserver le terme de monstration pour le spectacle et à préférer le terme de présentation pour l'acte accompli dans le cadre du texte dramatique (qui, à proprement parler, ne montre rien).

[24] René Le Bossu, Traité du Poème épique. Paris, J. François Nyon, 1708, p.282.

[25] Pierre Corneille, « Discours sur la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable et le nécessaire » [1660], Trois discours sur le poème dramatique. Paris, Flammarion, 1999, p.122.

[26] Johann Wolfgang von Goethe, «Poème épique et poème dramatique» (Lettre à Schiller, 23 déc. 1797), Ecrits sur l'art, Paris, GF-Flammarion, 1996, p.134.

[27] Johann Wolfgang von Goethe, «Poème épique et poème dramatique», p.139.

[28] Ibidem.

[29] Bertolt Brecht, L'Achat du cuivre, Paris, L'Arche, 1970, pp.61-66.

[30] François Regnault, «Passe, impair et manque», in Registres, Revue d'études théâtrales, n°6, novembre 2001.

[31] Jean-Pierre Sarrazac, «Le drame en devenir», in Registres, Revue d'études théâtrales, juin 1997/2, p.53.

[32] Voir Raphaël Baroni, La Tension narrative, Suspense, curiosité, surprise, Paris, Seuil, 2007.

[33] Michel Vinaver, Ecritures dramatiques, essais d'analyse des textes de théâtre, Arles, Actes Sud, 1993.

[34] Michel Vinaver Ecrits sur le théâtre 1 (1954-1980). Lausanne, L'Aire théâtrale, 1982, p.87.

[35] Michel Vinaver, Écrits sur le théâtre 2 (1982-1998), Paris, L'Arche, 1998, p.101.

[36] Voir Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne: rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.

[37] Voir Christian Salmon, Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte, 2007.

[38] Voir Jérôme Brunner, Pourquoi nous racontons-nous des histoires? Le récit au fondement de la culture et de l'identité individuelle, Paris, Pocket/Agora, 2005.

[39] Voir Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction?. Paris, Seuil, 1999 et Nancy Huston, L'Espèce fabulatrice, Arles, Actes Sud, 2008.

[40] Le récit est dans ce cadre un instrument de mobilisation de l'opinion et des pouvoirs publics. Il s'agit d'élaborer des scénarios d'anticipation capables de convaincre que la catastrophe écologique est «inévitable, sauf accident»[40], ceci dans le but d' «[o]btenir par la futurologie scientifique un image de l'avenir suffisamment catastrophiste pour être repoussante et suffisamment crédible pour déclencher les actions qui empêcheraient sa réalisation» (Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé: quand l'impossible est certain, Paris, Seuil, 2002, p.164.)

[41] Gérard Genette, Figures III, p.262.

[42] Denis Guénoun, Actions et acteurs, Raisons du drame sur scène. Paris: Belin, 2005, p.13.

[43] Jacques Taminiaux, Le Théâtre des philosophes, Grenoble, Jérôme Million, 1995, p.24.

[44] Sophie Klimis le rappelle dans sa contribution au présent volume: «Un drame de la narration. Une invention philosophique?», Arielle Meyer Mac Leod et Michèle Pralong (éd.), Raconter des histoires, Quelle narration au théâtre aujourd'hui?, Genève, MetisPresses, 2012, pp.137-212.

[45] Cet enchaînement rappelle la triade «Mimesis I, Mimesis II et Mimesis III» que Paul Ricœur met en place dans Temps et Récit. Plus récemment, il est à la base de l'ouvrage d'Olivier Saccomano, Le Théâtre comme pensée, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2016.

[46] Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, Paris, Calmann-Lévy (Pocket -Agora), 1994, p.42.

[47] Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p.41.

[48] Ibidem.

[49] Mike Hernacki, The Ultimate Secret to Getting Absolutely Everything You Want, New York, Berkley, 2001; cité par Michela Marzano, Visages de la peur, Paris, Puf, 2009, p.137.

[50] Voir Alain Ehrenberg, La Fatigue d'être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 1998.

[51] Milan Kundera, L'Art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p.193.



Danielle Chaperon

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Dernière mise à jour de cette page le 26 Mai 2017 à 17h47.