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"Le geste critique entre commentaire et théorie", entretien avec Dominique Rabaté réalisé par Laurent Zimmermann.

Dominique Rabaté est professeur de la Littérature française du XXe siècle à l'Université Paris VII - Diderot.



Le geste critique entre commentaire et théorie


Laurent Zimmermann: Vous avez commencé par un travail sur Des Forêts, travail de spécialiste d'une œuvre encore peu connue à l'époque, et vous avez ensuite publié des ouvrages portant sur des notions en général ou sur de grands enjeux (la voix, la distinction entre récit et roman, la question du sens de la vie), tout en laissant toujours une place déterminante dans votre démarche à l'analyse d'œuvres précises. Comment évoqueriez-vous le lien, dans votre travail, entre l'analyse d'œuvre et la théorie générale? Vous notez en effet dans votre dernier ouvrage que produire une théorie générale à la manière de Lukàcs ou Bakhtine est sans doute présomptueux (Le roman et le sens de la vie, p. 22), et pourtant une tension vers la théorie générale existe dans votre travail, tension qui souligne malgré tout la fécondité et peut-être la nécessité de la théorie générale.

Dominique Rabaté: Cette articulation est, depuis très longtemps, tout à fait essentielle pour moi, et je la décrirai volontiers comme une sorte de mouvement de navette de l'un à l'autre, sans point d'arrêt possible ou souhaitable. Cela vient, je crois, de mon travail initial sur des Forêts; je sais que je n'avais pas voulu m'enfermer dans cette œuvre pour elle-même, d'abord parce qu'une sorte de vertige mimétique me semblait guetter certains des commentateurs, mais aussi parce qu'il me semblait que le sens de cette œuvre – alors peu visible – devait se construire par rapport à tout un environnement dans lequel elle prenait sens et valeur. C'est ce cadre d'ensemble que j'ai appelé «littérature de l'épuisement», vers quoi certains textes parus dans le même moment tendent ou aspirent. D'une façon plus générale, j'ai du mal à lire des travaux critiques qui ne s'interrogent jamais sur la valeur de leur objet, sur la nécessité de tenir un discours second – que ce soit sur une œuvre majeure déjà très commentée, ou sur une œuvre encore peu lue. Il me semble que le geste critique est d'expliquer, de s'expliquer la nécessité de l'œuvre, ce qui en assure donc la force (force qui se dit dans une forme qu'elle excède). Or, cette nécessité n'existe pas exactement en elle-même, mais dans un paysage que l'œuvre contribue à changer ou à configurer.

Dans cette perspective, le commentaire n'est pas forcément une fin en soi, même si j'aime de plus en plus proposer ce que je nommerai des «lectures». C'est-à-dire rendre compte d'une lecture plus personnelle, plus singulière, écrire les impressions qu'un livre a déposées en vous (je pense à ce que j'ai pu écrire sur Le Dernier des Égyptiens de Gérard Macé, à une lecture de Villa Triste de Modiano, ou à mon analyse de Voyage au Phare dans Le Roman et le sens de la vie). Le commentaire tend idéalement à re-configurer la théorie, à la déranger, à la mettre en défaut, en la rendant à la conscience aussi bien de son «insuffisance» intrinsèque (pour reprendre à Maurice Blanchot cette magnifique formule). La singularité d'un texte, c'est bien de cela que le commentaire voudrait rendre compte, presque d'une façon amoureuse, quand il s'agit de dire une qualité entièrement spécifique et individuelle. Mais, de façon moins paradoxale qu'il n'y paraît, cette singularité n'apparaît vraiment que sur fond de différences et d'échos. Il faut donc construire, en même temps que les outils propres à parler du texte, les cadres de compréhension et de saisie de ces différences ténues.

Ce mouvement de navette joue donc dans les deux sens: une question théorique ou notionnelle aimante le désir de lire telle ou telle œuvre, mais cette lecture ne doit pas simplement illustrer la thèse. Le moment du commentaire est un moment de mise à l'épreuve, là où peut justement se renégocier le discours théorique, se compliquer ou se mettre en danger. En vous répondant, je me dis aussi que cette pratique de l'aller-retour vient de ma formation à la fin des années 70, années encore théoriques au sens où l'on pouvait croire à une «science de la littérature» ou à une «théorie littéraire». Théorie que je lisais avec passion mais avec le sentiment ou le souci de chercher ce qui pouvait enrayer ou faire dérailler de trop belles constructions, pour éviter que les textes selon le mot célèbre de Gracq, dans En lisant en écrivant, deviennent les serrures pour des clés préfabriquées.

Cette prise de conscience incite sans doute à plus de modestie. Et même si je rêve de grande théorie du roman par exemple, ou que je ne renonce pas à penser l'énonciation lyrique comme une modalité propre, je butte rapidement sur l'infini du corpus dont il faudrait pouvoir effectivement rendre compte. Et la nécessité de l'historiciser à chaque fois de façon précise. Même si le mot «roman» semble recouvrir des textes de tous les siècles depuis l'Antiquité, je ne suis pas certain qu'il décrive forcément le même phénomène et ce que j'essaie de décrire comme «roman moderne» se sépare alors assez nettement de ce que Thomas Pavel avait analysé dans La Pensée du roman, plus nettement construit depuis une perspective valable pour les siècles classiques. Et il faudrait encore déplacer le point de vue, envisager le roman chinois, sortir d'un cadre général trop souvent européano-centré. La tâche est donc immense, mais c'est aussi la chance de ne jamais s'enfermer dans un savoir que l'on se contenterait de répéter.

LZ: Distinguez-vous des orientations différentes dans ce que vous avez proposé ou bien diriez-vous plutôt que votre travail s'inscrit dans une continuité? Plus précisément, de la question de la voix à celle du sens de la vie, comment les questions que vous posez à la littérature ont-elles évolué, ou changé? Le lien entre les différents concepts que vous proposez est très marqué, vous reprenez du reste, dans chaque ouvrage, certains concepts précédents pour les articuler avec les nouveaux. La cohérence est donc évidente. Pourtant, iriez-vous jusqu'à voir avec vos différents ouvrages un système se composer, ou des lignes de fracture existent-elles néanmoins selon vous, malgré cette cohérence?

DR: Il est toujours difficile de se prononcer sur la cohérence de ce que l'on fait, de ce que l'on a fait. On tend à majorer la nouveauté de certains questionnements pour soi, et on s'aperçoit, parfois avec un peu de dépit, que l'on continue de labourer les mêmes terres. Il me semble que, depuis le début, mon travail s'organise autour de ce que j'ai appelé dans la préface au volume collectif de Modernités, Dire le secret, un «personnage conceptuel». Par cette expression que je reprenais à Gilles Deleuze, j'entendais moins un outil théorique exportable et répétable, qu'une sorte de notion plus instable et mouvante, qui a aussi la vertu de proposer une dramatisation de la pensée qui cherche à s'en saisir, selon des figures changeantes et plurielles. C'est la raison pour laquelle je vois dans mon travail une articulation particulière entre les livres que j'écris seul et ceux que je dirige comme collectifs. Certains de mes personnages conceptuels nécessitent l'apport et le savoir d'autres critiques que je suis heureux de faire venir sur le même terrain que moi. Je pense par exemple au volume de Modernités intitulé L'Invention du solitaire qui était à la fois une intuition très personnelle (que la littérature dans son nom moderne est l'affaire des solitaires) et une enquête historique que je ne pouvais mener seul.

J'ai l'impression que mon travail dessine une sorte de ligne qui va de personnage conceptuel en personnage conceptuel, avec cet effet de continuité que vous soulignez, mais aussi d'infléchissement. J'ai commencé par la voix, qui ne cesse de me requérir dans tout ce que je lis, mais le secret ou le romanesque ont pu devenir des inflexions particulières de ce qui constituerait l'essence (s'il en est une) du roman. La notion nouvelle prend le relais des précédentes, en dessinant de nouvelles lignes et en déportant le regard vers d'autres corpus, d'autres prolongements. Et elle m'occupe ainsi un certain nombre d'années, sans pour autant perdre entièrement son pouvoir d'attraction durable.

C'est vrai que, plus récemment, d'autres préoccupations, plus personnelles, moins académiques peut-être, sont venues au premier plan. Dans mes derniers livres, des notions comme le «presque rien» comme essence de la vie ordinaire et incommensurable,la question du sens de la vie comme question ont occupé le premier plan, dans un mouvement qui me donne l'impression de me rapprocher de ce que je voudrais vraiment dire. C'est-à-dire de parler de ce qui nous touche profondément quand nous lisons des romans. Ces perspectives m'amènent aussi à poser la question des rapports entre le plus personnel et l'absolument impersonnel, et il me semble que ce dialogue (plutôt que cette dialectique) touche enfin à quelque chose que je voulais exprimer depuis très longtemps. C'est peut-être le moment où la critique peut rejoindre quelque chose de moins secondaire, de moins méta-discursif pour se risquer à des propositions où, parlant des livres que nous aimons, nous essayons de dire quelque chose de notre rapport au monde, de notre façon d'être.

LZ: «La question du sens de la vie reste ainsi le centre du roman, mais le centre aveugle, comme le point tangentiel d'une révélation toujours repoussée». Comment rendre compte d'un centre aveugle dans la démarche critique? Plus largement, on peut constater que vous semblez être attentif à maintenir certaines questions ouvertes dans le cadre de vos travaux (on peut penser à la p. 21 de votre dernier ouvrage, Le Roman et le sens de la vie, ou à la 4e de couverture de Poétiques de la voix par exemple). Diriez-vous que le travail théorique a pour raison d'être, autant que de proposer des réponses et des résultats positifs, de maintenir des questions comme telles? Si vous acceptiez cette formulation, comment, néanmoins, trouver l'équilibre nécessaire pour avancer des positions, mais en restant fidèle néanmoins au questionnement?

DR: Votre question sur le «centre aveugle» me fait immédiatement penser à Maurice Blanchot, et à la très belle note liminaire de L'Espace littéraire où il parle du rapport qu'entretient un livre avec un centre à la fois fixe et mobile, dérobé et impérieux. Tout livre s'écrit en effet dans la recherche de ce centre qui bouge, avec l'impression d'y toucher plus dans certaines pages, dans le désir présomptueux de faire justement un livre, au sens fort du mot. Je crois que certains textes critiques (ceux de Bakhtine, Barthes, Blanchot, Starobinski, exemplairement pour moi) réussissent à donner ce sentiment, qui fait que le lecteur est conduit par la même recherche mobile d'un point de gravité ou de fixation. Et je souhaiterais qu'il en soit de même pour ce que j'écris.

Il s'agit dès lors d'aller vers quelque chose qui se dérobe à la formulation, dont on approche par vagues successives (selon un mouvement qui est celui de la littérature et que l'écriture critique redouble). En ce sens, et cela rejoint ce que je vous ai dit à propos de la théorie, il faut en effet moins proposer des réponses, établir des tableaux et des schémas, que maintenir une direction, en espérant que le balisage du chemin peut servir de repère plus général. Garder le questionnement me semble ainsi plus intéressant que durcir les réponses. Mais la réponse (car il ne s'agit pas plus de rester dans le flou ou de fuir les réponses, provisoires et provisionnelles) est une manière de déplacer la question. Elle fait partie de ce que j'ai appelé plus haut un peu emphatiquement la dramaturgie de la critique. Elle donne le rythme d'une relance, le rebond pour la pensée. Elle sert aussi à rappeler le point de départ et à mesurer le trajet qui y ramène après un détour.

Prenons une seule question, écrasante, celle de savoir en quoi consiste la littérature, question qui fut explicitement au centre de bien des essais des années 1940-50. Question à la fois futile (elle se prouve en existant, en produisant ce que nous nommons «littérature»), mais insistante, voire même agaçante car comment s'entendre sur ce que nous appelons «littérature»? On pourrait se dire qu'il est urgent de faire l'économie de cette interrogation, pont aux ânes des dissertations de khâgne. Reposer cette question a cependant pour moi plusieurs vertus: rappeler les débats de cette époque et en raviver le tranchant. Réfléchir au nom romantique et moderne qui a supplanté celui de Belles-Lettres. Se demander si ce nom est encore propre à désigner ce que nous lisons, écrivons. Comme dans un dialogue socratique, il ne faut pas se satisfaire des noms courants, et essayer d'en clarifier le sens. Mais je ne suis pas sûr qu'on puisse justement répondre à cette question, ni même qu'il le faille. Peut-être d'abord parce qu'alors la littérature, résumée à son essence, serait une activité accomplie et passée (ce que pouvait penser Hegel). Or ce qui se prépare d'avenir imprévisible dans la littérature est susceptible de déranger nos définitions ou nos certitudes. Si la réponse se dérobe (mais non l'insistance de la question), c'est aussi parce que la littérature est, pour moi, sans essence. Ou, pour le dire autrement, la littérature est elle-même à la recherche de ce qui la définit – recherche que la critique doit accompagner à son tour, en la décrivant et en la traduisant.

Par ce trop rapide exemple d'une (massive) question sans réponse, je voudrais souligner les bénéfices d'un questionnement qui ne cherche pas les réponses, mais qui entend privilégier le cheminement qui reste sous l'orbite de l'interrogation première. On comprend aussi que cela revient à s'écarter de toute prétention à une «théorie littéraire». Et je me souviens avoir été assez choqué d'entendre parler de Blanchot, lors d'un colloque qui lui avait été consacré, comme un «théoricien de la littérature». Cela me semble absolument contraire à ce qui a été sa méditation critique, et son peu de goût pour les réponses exactes ou positives. Disons que la prudence impose plutôt de mettre les termes au pluriel, et c'est pourquoi j'ai intitulé un de mes livres: Poétiques de la voix, afin d'indiquer qu'il ne saurait plus y avoir une poétique générale ou unifiée. C'est aussi rappeler alors le rôle du commentaire, comme auxiliaire indocile de la théorie…

LZ: Vous écrivez que la littérature de l'épuisement, que vous avez analysée dans un ouvrage, n'appartient peut-être plus tout à fait à notre époque. Pourriez-vous préciser la manière dont vous voyez l'époque moderne, et dire s'il existe selon vous des découpes plus ou moins nettes qu'il serait possible de faire? Y aurait-il un moment du roman, puis un autre du récit, et enfin un moment plus récent? Si vous n'acceptiez pas l'idée de cette découpe, diriez-vous à l'inverse que le récit (au sens que vous donnez à ce mot) vient à la fois après l'âge du roman et au cœur même de cet âge? Vous êtes également spécialiste de littérature contemporaine, vous avez notamment travaillé sur Pascal Quignard et sur Marie NDiaye. Quelles lignes de forces distingueriez-vous dans le champ du contemporain?

DR: Votre dernière question se situe à l'intersection, complexe et passionnante, de la théorie et de l'histoire littéraire. Avec la notion de «littérature de l'épuisement», j'avais en effet essayé de nommer et de décrire un pan à mes yeux considérable de la littérature moderne, celle qui avec Beckett, des Forêts ou Borges, vient après les grands modernistes, et entérine une sorte de déflation de la sacralisation de la littérature, travaillant dans le reflux des grandes ambitions totalisatrices de la génération précédente. Il me semble qu'on ne peut esquiver comme critique la nécessité de périodiser les époques, pour y repérer ce qui est inédit. Mais j'ai toujours scrupule à le faire, car j'ai le sentiment qu'on exagère les différences, ou qu'on magnifie des moments de rupture, toujours plus discrets en vérité. S'il faut le faire néanmoins, c'est parce que l'histoire que l'on propose n'est pas une simple description, mais une prise de position dans le champ littéraire. Car, même si la critique universitaire est heureusement détachée de la tyrannie de l'actualité, elle doit, à mes yeux, prendre parti dans et pour la littérature d'aujourd'hui, repérer les lignes de force et accompagner certaines œuvres dans le pari qu'elles dureront.

J'ai peut-être moins souci aujourd'hui des découpages par périodes qu'au moment où j'écrivais ma thèse sur des Forêts, ou plus tard, fatalement, le Que Sais-je? sur le roman du XXe siècle. Mais je ne renonce pas à l'idée d'un livre sur le récit moderne, en chantier depuis trop longtemps. Livre qui me pose précisément des problèmes de découpages, de linéarité historique contrariée par ce que je voudrais décrire comme des moments, comme plusieurs actes de baptême. Cette histoire serait certainement plus facile à écrire si je croyais à une sorte de téléologie de l'écriture, où, après le roman, viendrait le récit qui en prendrait la relève. Mais les choses sont heureusement plus mélangées et complexes. Le récit (au sens que je lui donne, proche de ce qu'en dit Blanchot) est nécessairement d'apparition tardive, pour une littérature très consciente de ses ressources écrites. Il se sépare en cela du conte romantique qui a dominé le XIXe siècle, même s'il hérite des formes excentriques de récit que Daniel Sangsue a analysées. Pour moi, le récit moderne s'écrit dans la marge ou l'ombre du roman, et souvent même dans l'opposition aux normes du roman, mais ces normes changent, sous la pression d'ailleurs des attaques de ceux qui le contestent. La plasticité du roman lui permet aussi bien de reprendre des formes ou des tours d'abord inventés contre lui. Il n'y a donc pas de schéma général qui verrait l'épuisement historique mécanique d'une forme mais, au contraire, le jeu des renouvellements et des transformations.

Je m'intéresse sans doute plus en ce moment aux formes de la subjectivation que la littérature moderne et contemporaine permet de penser ou de configurer. Les nombreux séminaires (qui ont donné lieu à des livres collectifs dans la collection Modernités que je continue de co-diriger avec Éric Benoit aux Presses Universitaires de Bordeaux) que j'ai organisés à Bordeaux 3 ont certainement élargi mon champ de vision, et j'ai maintenant du mal à penser ou à décrire les phénomènes littéraires sans les inscrire dans un cadre temporel qui part de la fin du XVIIIe siècle ou du XIXe siècle. Je crois qu'il est temps que l'université française se débarrasse de ses cloisons séculaires ridicules pour proposer des périodes plus amples où les phénomènes historiques, philosophiques et artistiques prennent un sens plus convaincant que dans les bornes arbitraires d'un siècle (dont on discutera scolastiquement à perte de vue les limites).

Mon travail actuel peut aller dans plusieurs directions en même temps. J'en mentionne deux: des études sur les formes du lyrisme moderne et son faire spécifique, et une enquête en cours sur le motif de la disparition dans le roman contemporain (motif qui place Georges Perec en figure tutélaire de ma recherche). Dans les deux cas, et dans la suite du Roman et le sens de la vie, ce sont les modalités de la subjectivation que je voudrais éclairer, et la façon dont la littérature les met en scène, en forme, en perspective. Cet angle de vue me permet aussi de reposer au roman contemporain des questions sur le devenir de «l'individu problématique» (pour parler comme Lukàcs) qui en est le centre. Voir par exemple comment cet individu est banalisé, effacé, pris dans le groupe et la norme sociale chez Georges Perec, Emmanuel Carrère ou Annie Ernaux. Comment, en tant que sujet, il oppose une certaine forme de résistance à la normalisation. C'est à ce titre que bien des œuvres contemporaines prennent sens et relief et que je relis Jean Échenoz, Marie NDiaye ou Patrick Modiano, mais aussi Pascal Mercier, Daniel Mendelsohn, Bret Easton Ellis ou Olivia Rosenthal. Je préfère éviter le catalogue (si vite démodé) des noms d'auteurs ici.

La question de la forme reste capitale, moins pour hypostasier un genre (comme on l'a fait et presque trop fait cette dernière décennie) que pour saisir les dynamiques nouvelles de subjectivation (mouvements qui impliquent toujours et nécessairement une part de dé-subjectivation) dont la littérature peut être un des lieux d'exploration ou de prémonition. C'est dans cette perspective que nous avons proposé récemment avec Pierre Schoentjes, pour lancer une nouvelle publication électronique,un numéro sur la microfiction aujourd'hui. Ce phénomène me semble en effet révélateur des façons d'être d'un sujet qu'il faudrait peut-être dire «sur-moderne». Qu'on me permette donc de finir en faisant un peu de publicité à cette nouvelle publication en ligne qui s'intitule: Revue critique de fixxion française contemporaine. On y vérifiera aussi combien il importe pour nous, pour moi, que la réflexion critique reste en prise avec la création vivante. Cet aller-retour doit nourrir et enrichir notre réflexion sur la littérature comme puissance toujours active, toujours vivante.



Laurent Zimmermann

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Dernière mise à jour de cette page le 22 Mars 2012 à 16h16.