Atelier

Histoires littéraires d'écrivains au XXe siècle

Journée d'études organisée par Marielle Macé et Philippe Roussin dans le cadre de l'ACI «L'histoire littéraire des écrivains»

2 décembre 2005
Maison des sciences de l'homme, 54 bd Raspail, salle 214, 9h-18h




Des généalogies orchestrées par Thibaudet aux âges littéraires configurés par Sartre dans Qu'est-ce que la littérature ?, en passant par les grands récits de la culture chez Péguy, les affiliations de Blanchot ou les « Ne lisez pas » des Surréalistes, l'histoire littéraire imaginée par les écrivains paraît essentiellement discontinue ; elle n'a pas de visée systématique et le temps qu'elle compose n'est guère homogène. Généralement indépendante de la conception de l'histoire comme processus continu et objectif, rarement orientée par un souci de périodisation ou d'unification du passé, elle semble toujours construire des ensembles incomplets et inédits.
Dans ces récits, loin d'être compatibles entre eux, dominent les décrets, l'insertion de l'inactuel dans l'actuel ou du contemporain dans le passé, les anachronies, les télescopages, les importations, les traductions, les changements de valeurs, bref les « déplacements ». En mettant l'accent sur l'hétérogénéité de ces constructions d'écrivains, et sur l'hypothèse de déplacements à la fois temporels, linguistiques, spatiaux ou disciplinaires qui supposent une rivalité, au moins imaginaire, avec l'histoire littéraire savante, nous nous proposons d'explorer quelle(s) histoire(s) de la littérature - considérée comme ensemble et comme récit - les écrivains construisent.

Matinée:


MARIELLE MACE (CNRS) : « L'histoire littéraire à contretemps »
BLAISE WILFERT (ENS-EPHE) : « La nation, la science, les belles lettres : sur les conditions de naissance d'une histoire littéraire "savante" à l'Université, 1850-1930 »
MARION SCHMID (Université d'Edimbourg) : « Proust et la décadence »
CHRISTOPHE PRADEAU (Université Paris-XIII) : « Le jeu de l'île déserte »

Après-midi:


MICHEL MURAT (Université Paris-IV) : « La grande actualité poétique. A propos des Chroniques du bel canto d'Aragon »
BENOIT DENIS (Université de Liège) : « Les fins de la littérature. Y a-t-il une histoire sartrienne de la littérature ? »
YVES PEYRE (Bibliothèque Doucet) : « De l'éboulement du sens au point d'équilibre. Le recours à une histoire personnelle de la littérature et de l'art chez C. Simon et A. du Bouchet »
PHILIPPE ROUSSIN (CNRS) : « Comment revenir à la littérature en France après 1945 : déplacements de la référence nationale et autonomie (Sartre, Blanchot) »


Argumentaire:

L'histoire littéraire des écrivains ou des groupes d'écrivains paraît essentiellement discontinue ; elle n'a pas de visée systématique et le temps qu'elle compose n'est guère homogène. Elle est généralement indépendante de la conception de l'histoire comme processus continu et objectif qui a longtemps permis à l'histoire littéraire savante d'expliquer l'évolution de la littérature et de dire de quelle totalité historique ou de quelle histoire collective singulière celle-ci était une partie. Rarement orientée par un souci de périodisation ou d'unification du passé, elle semble toujours construire des ensembles incomplets et inédits.

Cette histoire est en effet une construction ad hoc. À côté des entreprises globales, des anthologies ou des corpus de morceaux emblématiques, elle est souvent liée, d'un point de vue fonctionnel, à un projet artistique, individuel ou collectif, et recompose des ensembles historiques à cette fin, qu'il s'agisse de dégager des choix formels ou d'en justifier la pertinence esthétique en désignant une généalogie ou des antécédents. Il suffit de penser, pour l'espace littéraire français du vingtième siècle, au surréalisme, à la réinvention de Proust par le Nouveau Roman, ou, pour l'espace littéraire international, au rôle conféré à Cervantès, Sterne ou encore Diderot par Borges, Calvino, Kundera et par le roman américain depuis les années soixante.

C'est pourquoi, sur le fond d'une continuité et d'une vectorialité qui sont toujours supposées et rarement explicitées, ces récits configurent une « histoire de la littérature » plus qu'une « histoire littéraire ». Ils peuvent interférer avec les textes manifestaires, polémiques ou programmatiques, coïncider avec la constitution d'une Bibliothèque ou constituer une opération critique per se, et incarnent sans doute exemplairement l'arbitraire de la définition de la littérature.

Difficilement agençables selon un récit englobant, les histoires littéraires d'écrivains sont loin d'être compatibles entre elles. Dans ces récits dominent en effet les décrets, l'insertion de l'inactuel dans l'actuel ou du contemporain dans le passé, les anachronies, les télescopages, les importations, les traductions, les changements de valeurs, bref les « déplacements ». En mettant l'accent sur l'hétérogénéité de ces histoires, et sur l'hypothèse de déplacements à la fois temporels, linguistiques, spatiaux ou disciplinaires, on peut donc se demander quelle(s) histoire(s) de la littérature – considéré comme ensemble et comme récit – elles construisent.

L'analyse de corpus d'auteurs permettra d'identifier la pluralité des formes et des fonctions des histoires littéraires d'écrivains : quels types de configurations textuelles et intellectuelles composent-elles ? selon quels modèles, narratif, figural, cognitif, axiologique, ces déplacements sont-ils opérés par chaque auteur ? dans quels genres ? comment définir à l'intérieur d'une œuvre d'écrivain la place de ce geste ?

On pourra se demander en quoi ces histoires singulières concourent à l'évolution littéraire, que l'on pourrait par exemple décrire selon les modèles proposés par la poétique historique des formalistes russes : changement de dominante, processus d'automatisation ou de désautomatisation ; transformation du rapport entre les termes du système littéraire ; changements de fonction d'éléments formels dans un ensemble synchronique ; reconstruction historique du système de normes dominant à chaque époque… ?

Au-delà du cas bien connu des avant-gardes et de leur rôle de catalyseurs de transformation, on pourra aussi se demander dans quelle mesure les histoires littéraires d'écrivains participent à leur manière de la révision continuelle du canon littéraire, national ou non. De même qu'elle livre une histoire discontinue plutôt que continue, l'histoire des écrivains dessine souvent un espace faisant jouer, plus encore que l'international et le national, l'universel et le particulier. Elle est sans doute au vingtième siècle un des lieux où la littérature montre la fin de sa coïncidence avec une langue et une aire politique nationales (pour prendre deux exemples: le rôle du roman américain pour la littérature italienne du néo-réalisme après 1945, le Qu'est-ce que la littérature ? de Sartre).



Marielle Macé et Philippe Roussin

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Dernière mise à jour de cette page le 12 Octobre 2006 à 15h27.