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Végéter. Une écologie des formes à partir du végétal – arts visuels, cinéma (Toulouse)

Végéter. Une écologie des formes à partir du végétal – arts visuels, cinéma (Toulouse)

Publié le par Romain Bionda (Source : Camille Prunet)

Journée d’étude

Mercredi 12 Juin 2019

Université de Toulouse, UT2J, Toulouse, France

Responsabilité scientifique :

Sophie Lécole Solnychkine / Camille Prunet, LARA-SEPPIA

 

Cette journée d’étude propose d’explorer le champ du végétal afin d’y repérer des formes, des processus, des modèles d’organisation qui permettent, en les transposant dans le domaine esthétique (écologie des images, théorie de l’art, réflexion esthétique sur les formes filmiques), d’identifier des « surfaces d’échange » (Francis Hallé) entre les disciplines du vivant et celles qui pensent les formes artistiques. Cette perspective se situe dans le mouvement d’un courant de la pensée contemporaine qui cherche à dépasser la césure qui s’est opérée progressivement à partir du XIXe siècle entre les sciences du vivant et les sciences humaines.

En 2016, s’est tenu un colloque intitulé « Puissances du végétal. Cinéma animiste et anthropologie du vivant »[1] (sous la direction de Teresa Castro, Perig Pitrou et Marie Rebecchi), qui, à partir des recherches cinématographiques sur la représentation du mouvement des plantes, questionnait les définitions du vivant au crible de la diversité des phénomènes biologiques spécifiques (morphogénèse, reproduction, photosynthèse, etc.) que les arts permettent de figurer.

Depuis plus d’une vingtaine d’années, le champ des « études végétales » (Critical Plant Studies) s’est développé outre-Atlantique et sur le continent. Il traverse de nombreux champs disciplinaires, dont la botanique, la biologie, l’anthropologie du vivant, la philosophie, l’ontologie, l’histoire des sciences, l’épistémologie. Michael Marder, au croisement de la phénoménologie, de la pensée environnementale et de la philosophie politique, propose de considérer les plantes comme des êtres possédant leur propre subjectivité (The Philosopher’s Plant : An Intellectual Herbarium). Emanuele Coccia envisage, dans une perspective similaire, de réinterroger la notion d’être-au-monde à partir de la vie végétale (La vie des plantes, Une métaphysique du mélange). Donna Haraway, dans Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene, refonde le terme de compost, en en faisant un modèle de compréhension de notre humanité à l’ère de l’anthropocène et de la capitalocène, qui dépasse les théories de la posthumanité en cessant de penser l’humain comme ontologiquement séparé des espèces compagnes (animales, végétales), avec lesquelles nous nous sommes co-produits, co-construits, et ce depuis les origines de la vie sur Terre.

Le premier sens du terme végéter désigne l’action de pousser, de produire des organes vitaux, selon les principes propres au monde végétal. Ce n’est qu’au prix d’un sens secondaire que le terme désigne l’amoindrissement d’une physiologie par l’effet de mauvaises conditions climatiques, ou, métaphoriquement, la diminution des facultés, dès lors que le terme s’applique à l’humain (état végétatif). Or, contrairement aux mammifères supérieurs dont la croissance s’interrompt lorsqu’ils parviennent à maturité sexuelle, dans le sens de la vie végétale (qui ne connaît pas de vieillissement) la plante produit en permanence de nouveaux organes et de nouvelles parties de son propre corps. La plante est, de ce point de vue, une « industrie morphogénétique qui ne connaît pas d’interruption » (E. Coccia).

Dans notre perspective, « végéter » invite à envisager des régimes de pensée de l’image « au-delà de l’humain », qui prennent acte des spécificités biologiques et des potentialités réflexives des plantes, pour renouveler le sens de l’activité créatrice tout autant que les discours qui la théorisent, formulés au sujet de la génération des images ou des relations qu’entretiennent, entre elles, les images. « Comment poussent les images ? » ; « Que végètent les images ? » sont les questions que nous souhaitons entreprendre dans le cadre de cette journée d’études, dans la perspective plus large de proposer des éléments pour une écologie des formes.

C’est donc la vie végétale qu’il s’agit d’examiner. Les plantes offrent des modèles qui permettent de sortir de la logique dichotomique (hiérarchies milieu/individu, monde/vivant, espace/sujet) : elles présentent des formes d’organisation qui réalisent une compénétration ou une symbiose entre organismes et environnements. Les populations végétales produisent leur environnement tout autant qu’elles sont produites par lui. En ce sens, elles épuisent toute ambition de partition hiérarchique. Les plantes sont autotrophes : elles n’ont pas besoin de se nourrir d’autres vivants pour croître. Elles utilisent la fonction chlorophyllienne pour produire de la matière. Elles sont immergées dans la matière même qu’elles façonnent, et elles coïncident avec les formes qu’elles produisent (E. Coccia). Les plantes sont aussi génératrices de milieu : elles produisent un monde à partir de lumière (photosynthèse grâce à laquelle notre atmosphère a pu se constituer). Les plantes sont des opérateurs amphibies : elles vivent dans deux milieux à la fois. Leurs racines plongent dans le sol, tandis que leur ramure s’élève dans les airs. Elles possèdent une fonction de médiation entre ces deux milieux hétérogènes. Enfin, l’action de l’homme sur les végétaux qu’il cultive pourra aussi être envisagée. Marcottage, bouturage, greffage, etc. sont des techniques qui permettent de reproduire les plantes ; à ce titre, il est permis de les employer comme opérateurs théoriques afin de qualifier des relations d’images.

Notre perspective est nécessairement écosystémique : elle ne peut se permettre de penser dans un sens unique, des arts vers le végétal par exemple. Il faudra alors s’écarter d’une réflexion qui viserait simplement à observer comment les arts plastiques et le cinéma, grâce aux possibilités intrinsèques de leurs médiums, peuvent représenter des phénomènes biologiques. Il ne s’agira pas non plus d’investiguer l’instrumentalisation de végétaux ou de motifs végétaux dans une perspective sémantique, intégrée aux récits que produisent les œuvres. Par contre, il s’agira d’interroger, à partir des plantes, la façon dont les modalités du vivant permettent de repenser l’écologie des formes, tout en ne perdant pas de vue le corollaire ou l’effet-retour d’une telle proposition : les théories de l’image produisent des régimes d’extension permettant d’amplifier la réflexion biologique.

Les propositions de communication doivent être envoyées aux responsables scientifiques de la journée d’étude, au plus tard le 1er mars 2019, aux deux adresses mail suivantes : sophie.lecole-solnychkine@univ-tlse2.fr et camille.prunet@univ-tlse2.fr

Elles comporteront les nom, prénom, et qualités de l’auteur ; le titre de la contribution assorti d’un argumentaire d’une quinzaine de lignes accompagné d’une courte bio-bibliographie.

Une réponse sera donnée le 15 mars 2019.

 

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

Afeissa, Hicham-Stéphane et Lafolie, Yann (Dir.), Esthétique de l’environnement, Appréciation, connaissance et devoir, Paris, Vrin, 2015

Coll., Penser le vivant, Paris, Maison des Sciences de l’homme, 2017

Coccia, Emanuele, La vie des plantes, Une métaphysique du mélange, Paris, Rivages, 2016

Drouin, Jean-Marc, L’Herbier des philosophes, Paris, Seuil, 2008

Durafour, Jean-Michel, Cinéma et cristaux. Traité d’éconologie, Sesto San Giovanni, Mimésis, 2018

Hallé, Francis, Éloge de la plante, pour une nouvelle biologie, Paris, Seuil, 1999

Hallé, Francis, Plaidoyer pour l’arbre, Arles, Actes Sud, 2005

Kohn, Eduardo, Comment pensent les forêts, Vers une anthropologie au-delà de l’humain, Bruxelles, Zones Sensibles, 2017

Haraway, Donna, Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene, Duke University Press, 2016

Mancuso, Stefano, Des Hommes qui aiment les plantes, Paris, Klincksieck, coll. « De natura rerum », 2016

Marder, Michael, The Philosopher’s Plant : An Intellectual Herbarium, Columbia University Press, 2014

Rubercy, Éric de, La matière des arbres, Paris, Klincksieck, coll. « De natura rerum », 2018

Tsing, Anna Lowenhaupt, Le Champignon de la fin du monde, Paris, La Découverte, 2017

 

[1] Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3.