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Un imaginaire politique : l’apocalypse

Un imaginaire politique : l’apocalypse

Publié le par Alexandre Gefen

 

 

Un imaginaire politique : l’apocalypse

Université Bordeaux 3, les 30 et 31 mai 2013

 

Ce colloque conclura le cycle « Utopie et catastrophe », issu d’un partenariat entre les laboratoires Telem (Bordeaux) et Forell B3 (Poitiers). Réfléchissant à l’articulation de deux notions centrales de l’imaginaire contemporain, tout en les resituant dans l’histoire longue de l’imaginaire utopique, ce programme de recherche a déjà donné lieu à deux journées d’études (« Quelles formes pour l’utopie à l’âge des extrêmes ? », Bordeaux 3, le 1er décembre 2011 et « Après la catastrophe : images et paysages de l’utopie », Poitiers, le 28 mars 2012) ainsi qu’au colloque « Dystopie et perturbations de l’utopie » (Bordeaux 3, le 16 novembre 2012). En fin de programme, il s’agira d’en tirer les conclusions, en élargissant nos perspectives dans deux directions :

- la dimension politique des fictions de l’apocalypse dans les récits de la destruction du monde des origines à nos jours,

- les récits rapportant deux catastrophes récentes, déjà bien documentées, d’autant plus que la seconde est lue au miroir de la première : Tchernobyl et Fukushima.

On s’interrogera sur les fictions de l’apocalypse, des mythes religieux les plus anciens, aujourd’hui réactivés, à la science-fiction contemporaine, dans leur dimension politique. On partira de l’hypothèse d’une confusion actuelle de la critique et de l’idéologie, qui n’est pas étrangère au sentiment apocalyptique contemporain, en ce qu’elle ajoute à la désorientation globale l’idée que la critique n’a plus ni lieu ni effet. On peut penser que cette confusion découle de la « politique de dépolitisation » couramment désignée par le mot de mondialisation depuis 1991, mais à l'oeuvre depuis une décennie de plus au moins[1]. Conséquence dans l’ordre des mots, dont le poids se fait évidemment moins sentir que les conséquences dans l’ordre des choses, mais qui ajoute à celles-ci ses effets propres. On ne peut pas ignorer que l'impasse politique et la violence sociale issues, presque partout sur la planète, de la politique paradoxale du néolibéralisme tendent à transformer les engagements révolutionnaires et les espoirs millénaristes en désir de fin et en nihilisme, ce qui se traduit par le retrait de la théorie critique.

D’où un grand désarroi dont la littérature et les arts témoignent. Parce que la théorie critique se distingue mal de l’idéologie, parce que l’analyse historique du présent paraît mal assurée, la littérature, qui ne prétend pas tenir un discours de vérité, se révèle particulièrement précieuse. En suspendant les évidences du sens commun, en enrayant ou débrayant les automatismes de la représentation, elle défait les idéologies ou permet de les regarder comme telles. En particulier, les fictions de la fin du monde, en représentant l’histoire comme achevée, l’agir humain dépassé, rendu impossible ou inopérant, inventent une forme de tragédie contemporaine qui place l’humanité non sous l’oeil de Dieu, mais sous son propre regard critique et (fictivement) rétrospectif. Elles inventent ainsi la conscience tragique laïque d’une humanité qui juge sa propre histoire enfin parvenue à la totalité, qui s’y reconnaît à la fois prométhéenne et apocalyptique et qui identifie en elle-même les ressorts du destin qu’elle s’est donné. Il s’agira donc d’étudier les apocalypses sans royaume de la littérature et d’autres arts narratifs, des XXe et XXIe siècles en priorité, mais peut-être aussi d’époques antérieures, afin d’y trouver les éléments d’une politique des fictions de la fin du monde. Soit : examiner les conditions auxquelles restaurer une perspective politique dans le climat apocalyptique général serait possible.

Apocalypse sans royaume est une expression que nous reprenons à Günther Anders[2]. Pour le philosophe allemand, le mythe chrétien nous promettait l’apocalypse et le royaume ; les grands récits des Lumières, en deçà de leurs différences, promettaient le royaume sans l’apocalypse. Seule notre époque, depuis Hiroshima, à cause de la menace nucléaire, vit dans l’attente d’une apocalypse sans royaume, c’est-à-dire d’une destruction absolue qu’aucun salut ne viendra racheter. Il s’agit là d’une perspective absolument inédite qui fonde chez Anders une philosophie de l’histoire radicalement athée et pessimiste : nous vivons depuis les premières explosions atomiques dans un temps nouveau, qui n’est plus celui de l’histoire, mais un délai. Ce que Hiroshima a anéanti, pour Anders, c’est l’Histoire elle-même. Dès lors que nous avons conçu des bombes capables de détruire l’humanité sans que rien n’en reste il est devenu impossible de penser, comme Hegel et sa postérité, que l’esprit se réaliserait dans l’histoire. « Le jour de la dégradation de l’Histoire est arrivé […] puisque celle-ci se révèle être elle-même mortelle[3]. » Dès lors, nous ne connaissons et ne connaîtrons plus d’autre temps que le délai qui nous sépare d’une fin réellement absolue, la mort de l’histoire nous condamnant au néant. Comme si l’humanité n’avait jamais existé, puisqu’il ne restera personne pour s’en souvenir.

C’est pourquoi la deuxième partie de ce colloque sera consacrée aux récits et images de deux catastrophes récentes, Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011), dont la nature réactive la notion d’une apocalypse sans royaume telle qu’elle a été théorisée par Anders. Les deux « accidents » nucléaires sont à l’origine d’une très riche production de récits, de fictions, de témoignages et d’images photographiques ou filmiques qui s’attachent autant à documenter la catastrophe qu’à raconter le temps de l’après dans la « zone interdite » rendue invivable par la contamination radioactive. Tout le paradoxe de ces fictions et récits est que, sans jamais nier la force d’annihilation du désastre, ils interrogent de fait les modalités de la survivance de l’humain au sein d’une nature irrémédiablement altérée. En montrant les traces présentes du désastre, les récits de Tchernobyl et Fukushima rendent visibles la temporalité longue d’une catastrophe infiniment à l’oeuvre dans les mémoires, dans les lieux et dans les corps ; mais c’est aussi depuis le coeur de cette catastrophe sans fin que se réinvente, dans certaines représentations, un nouvel imaginaire de l’utopie.  

 

Jean-Paul Engélibert (Telem, Bordeaux 3) et Raphaëlle Guidée (Poitiers, Forell B3)

 

Les communications, en français ou en anglais, pourront porter sur toutes les formes de représentations de la catastrophe (littérature, cinéma, photographie, essais), les approches théoriques ou comparatistes étant bienvenues.

Les propositions de communication, accompagnées d’une brève notice de présentation de l’intervenant, devront être envoyées aux deux adresses suivantes avant le 31 octobre 2012 :

jean-paul.engelibert@u-bordeaux3.fr

raphaelle.guidee@univ-poitiers.fr

 

[1] Pierre Bourdieu, Contre-feux 2, Paris, Raisons d’agir, 2001, p. 57.

[2] Günther Anders, La menace nucléaire (1981), traduction française de Christophe David, Paris, Le Serpent à plumes, 2006, p. 294.

[3] Ibid., p. 250.