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Transgression des arts/ Transgression dans les arts en Amérique Latine

Transgression des arts/ Transgression dans les arts en Amérique Latine

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Aline Miklos)

Appel à contribution no 8 de la Revue Artelogie, dont le sujet c'est Transgression dans les arts / Transgression des arts en Amérique latine. 

Date limite de réception des articles : 5 septembre 2015

URL: http://cral.in2p3.fr/artelogie/spip.php?article342

 

Transgression dans les arts / Transgression des arts en Amérique latine. 

Diverses formes de tensions contradictoires sont à l'oeuvre dans l'art de l'Amérique latine et la transgression y émerge comme une sorte de saturation des situations limites. La transgression met en scène l'opposition entre ces tensions, soit dans un nouvel élan d'imagination et de créativité, soit dans la disparition des événements. C'est ainsi que l'idée de transgression peut être considérée comme un moteur de transformation dans des situations diverses, dans la mesure où l'esprit critique renaît dans un « principe de contestation » qui se définit comme un effort de penser et d'agir d'une manière différente. Dans les arts, ces attitudes ont été vécues dans la critique de la normativité, la hiérarchie des valeurs et l'interdiction ; en soulignant les limites du langage lui-même. A partir de ces réflexions, nous avons constaté l'apparition d'oeuvres qui concernent au moins trois formes de transgressions : l'art qui dépasse les règles de l'art, l'art qui détruit les tabous et l'art en tant que résistance politique.

En Amérique latine, la rencontre entre les différentes cultures a généré, en ce qui concerne l'art et les autres formes d'expression culturelle ou artistique, un processus de métissage et d'hybridation des formes. Ces événements marqués par la violence et les circonstances contradictoires imposition/résistance et soumission/transgression, sont souvent le reflet d'affrontements entre colonisateurs et colonisés. En ce sens, ces relations sont caractérisées par l'acceptation, le rejet et l'incorporation de nouveaux éléments qui ont conduit à l'émergence de diverses formes de syncrétisme. De ce point de vue, la transgression peut être considérée comme le résultat de ces conflits, surtout quand elle est liée au processus de métissage et aux questions politiques ou morales - c'est le cas dans les nombreuses controverses qui entourent la représentation de la Vierge avec des traits métissés, ou dans la toile du peintre académique brésilien Pedro Américo, « A Carioca » très souvent objet de débats pour sa dimension érotique. Au XIXe siècle, avec la création des premières académies d'art en Amérique latine, les conflits entre art officiel et art populaire, entre tradition classique et styles de la modernité, ont surgi avec l'émergence de peintures historiques et de caricatures subversives.

Cette relation entre le Vieux et le Nouveau Monde ne s'est pas arrêtée avec l'indépendance des colonies et elle subsiste jusqu'à la fin du XIXe - début du XXe siècle, avec l'émergence des avant-gardes locales. Ces mouvements ont été suscités par le désir de transvaloration des valeurs esthétiques et éthiques, par la rupture avec le classicisme et l'hégémonie de la politique colonialiste. Dans ce contexte, la transgression devient l'un des moteurs fondateurs des mouvements artistiques comme le muralisme mexicain, le modernisme brésilien ou le groupe cubain Minorista au cours des années 20. Si dans la première moitié du XXe siècle, la transgression a principalement exprimé des désirs de transformation, sa présence s'intensifiera plus tard dans les manifestations contemporaines dont les impératifs de singularité et d'authenticité incitent une grande partie des artistes à adopter la transgression comme une posture indissociable de la création.

Dans de nombreux pays d'Amérique latine, les années 1960 et 1970 ont été marquées par l'émergence de l'art conceptuel, du néo-concrétisme et de l'art expérimental. A ces changements esthétiques se sont ajoutés des mouvements de contestation politique et morale qui nous ont permis d'observer l'apparition d'oeuvres qui, pour intervenir dans la réalité elle-même, ont cherché à défier les limites entre réalité et fiction, ou même interroger la relation du corps avec les normes morales, conduisant à des expressions extrêmes comme les oeuvres de Rodrigo Braga (Brésil), de Santiago Cao (Argentine) et de Rosemberg Sandoval (Colombie). Les artistes ont cherché à subvertir les contraintes régissant non seulement les champs artistiques, mais aussi l'ensemble de la vie quotidienne : les comportements sexuels, les croyances religieuses, les relations de genre, les habitudes comportementales, les relations contrastées à la fois économiques, politiques et idéologiques.

Ces actes transgressifs dans l'art contemporain ont soulevé au moins deux types de réaction en Amérique Latine : la censure et l'adoption. Dans le premier cas, la nécessité de réagir à la contravention produite, selon Nathalie Heinich, est le grand paradoxe contemporain : quand les artistes remettent en question les frontières des musées, le droit, la morale et l'autonomie, le milieu artistique se transforme en élargissant ses frontières pour incorporer ce type d'expression artistique. En raison de ce besoin d'acceptation (par les artistes) et d'incorporation (par les institutions), le sens de la transgression se transforme souvent en acte banalisé. La discussion autour de l'art transgressif devient ainsi autoritaire et sa relation avec les institutions permet son adaptation aux médias, au marché de l'art, au capitalisme industriel, à la critique d'art, à sa production et diffusion.

Dans le deuxième cas, on doit aussi considérer que ces interventions transgressives génèrent souvent des conflits, provoquent la censure, la violence et la criminalisation. Il n'est pas rare que des oeuvres exemplaires aujourd'hui, aient été censurées par les dictatures militaires dans des nombreux pays d'Amérique Latine pour des raisons politiques, morales ou religieuses. En temps de crise, de ségrégation, de montée des préjugés, d'arrogance, de guerres de pouvoir, d'intolérance et de manipulation des médias, on peut observer que ce débat va au-delà des discussions sur la liberté d'expression ou sur l'autonomie pénale de la production symbolique car il concerne des questions autant politiques que sociales et il se produit des oppositions importantes entre les acteurs impliqués.

A partir de ce contexte, on peut se demander ce que serait une oeuvre d'art transgressive, en particulier en Amérique latine, et ce qui serait en jeu quand la transgression est considérée comme telle. Quels ont été les sens portés par ce mot dans les différents scénarios géopolitiques en Amérique latine ? Où serait véritablement la transgression dans les arts ? Dans la forme ? Dans le contenu ? Dans la réception ? Dans la relation entre l'oeuvre et les valeurs historiquement déterminées à partir desquelles la transgression est critiquée ? A l'époque ou selon la manière dont le travail a été exposé ? Il faut mettre ici en perspective la transgression faite par l'artiste, la réception par le public et la relation entre le travail et l'institution.

La réponse à ces questions réside précisément dans le dialogue entre les différentes disciplines traitant de l' étude des arts - comme l'histoire, la philosophie, la sociologie, l'anthropologie, la psychanalyse et le droit - et dans le dialogue entre les arts visuels, les arts graphiques, la performance, l'installation et le cinéma. Dans ce dossier thématique sur la transgression, La transgression dans les arts / transgression des arts , nous acceptons de recevoir les contributions d'auteurs de différentes disciplines qui cherchent à réfléchir sur différentes périodes, significations et représentations sur la transgression de l'art latino-américain et sur ce que l'expérience transgressive peut nous apporter aujourd'hui.

Les implications de la transgression sont vastes et configurent une nouvelle conscience historique qui cherche une compréhension critique des hypothèses esthétiques et de leurs relations sociales. Ces réflexions ouvrent de nouvelles façons de penser le syncrétisme dans les arts de l'Amérique latine comme les conséquences qui en découlent, et nous permettent d'établir un panorama plus complet sur les conflits et les paradoxes des expressions artistiques de notre temps sur ce continent.