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The Balzac Review/Revue Balzac, n° 4/2021 : L’édition / Publishing

The Balzac Review/Revue Balzac, n° 4/2021 : L’édition / Publishing

Publié le par Université de Lausanne (Source : Jacques-David Ebguy)

The Balzac Review/Revue Balzac, n° 4/2021

L’édition/Publishing

Sous la direction d’Andrea Del Lungo et Takayuki Kamada

Varia

 

Appel à contributions

Ce numéro propose d’interroger les différents éléments de l’édition de l’œuvre balzacienne dans son double aspect de production-diffusion à l’époque et de transmission postérieure, avec une attention particulière sur les apports actuels des technologies numériques.

Pour Balzac, ancien éditeur-imprimeur-fondeur de caractères qui se donnait la figure d’un « homme de lettres de plomb » (Corr., I, 214), la question des activités littéraires se pose fondamentalement en termes de publication, car les conditions d’existence des écrivains au XIXe siècle les obligent à se confronter aux lois du marché public, implacables et imposantes (« De l’état actuel de la librairie », OD, II, 663). Balzac partage avec beaucoup de ses confrères l’idée que la publication est un acte humiliant, d’aliénation de soi. Un passage de l’« Avertissement » du Gars, au seuil de sa carrière, dévoile ses hésitations devant « cette prostitution de la pensée qu’on nomme : la publication » (CH, VIII, 1669). À quoi correspond symptomatiquement la célèbre scène des Galeries de Bois dans Un grand homme de province à Paris (CH, V, 355 et suiv.), qui illustre tout un champ d’exercice littéraire sous la tyrannie éditoriale et typographique.

Balzac développe ainsi des tentatives d’optimisation éditoriale qu’il multiplie au long de sa vie d’écrivain pour secouer le joug. Si son combat est rude à cause d’une grave crise de l’édition romanesque à l’époque (Vaillant, 1993) – au point qu’il se fait un moment journaliste à plein temps –, ses efforts de gestion éditoriale restent toujours particulièrement inventifs. Il combine une modulation de supports et d’organes de publication (revues, journaux, volumes isolés, éditions cycliques, avec ou sans illustrations ; y compris sa propre direction de périodiques) et une stratégie de réédition (regroupement, réemploi, remodelage d’œuvres et de fragments) afin d’élaborer son projet de totalisation romanesque ciblant à la fois unité et multiplicité. Ses republications réitérées, faisant à chaque fois de l’exemplaire de la dernière édition d’une œuvre un véritable « manuscrit » de travail (LH, I, 621), permettent de récupérer l’objet-livre dans son espace d’invention. Grâce à son savoir-faire professionnel et technique, il est défricheur du roman-feuilleton et explorateur d’une esthétique de la mise en page dans ses livres. Ce faisant, il connaît aussi exploits et tribulations au sujet des droits d’auteur : le contentieux l’opposant en 1836 à François Buloz, qui a frauduleusement communiqué à Saint-Pétersbourg les épreuves du Lys dans la vallée, trouve des échos dans sa participation à la fondation de la Société des Gens de lettres en 1838. Se dessinent ainsi, chez lui, de nouveaux rapports de la littérature avec les outils de matérialisation.

C’est alors l’exploration balzacienne des ressources des éditions, avec tout ce que cela suppose d’invention, aléas et rebondissements, qui est un premier pôle de notre questionnement. En effet, le déploiement des recherches en la matière (entre autres, l’étude traditionnelle des œuvres diverses par R. Chollet, les recensements macrogénétiques par S. Vachon, le travail sur les supports « médiatiques » par M-È. Thérenty) ne recouvre pas entièrement le terrain d’enquête. Ainsi, n’oublions pas que les publications balzaciennes n’ont pas été complètement identifiées : le débat n’est pas clos sur l’attribution de certains textes (articles de journal autour de 1830 suggérés par R. Chollet, par exemple). Puis, la récente redatation de documents épistolaires (à commencer par la célèbre lettre-programme concernant La Comédie humaine adressée à A. Dutacq, Corr., II, 484) exige, au moins en partie, un réexamen de la chronologie des travaux de Balzac et de ce fait une recontextualisation de sa stratégie éditoriale. Il nous reste finalement à synthétiser les différentes facettes des activités balzaciennes comme imprimeur-éditeur-écrivain, défenseur et promoteur des éditions modernes.

Une telle aventure de la publication littéraire offre à son tour un objet entier de transmission et d’investigation à la postérité, à qui il appartient de publier les œuvres et écrits de Balzac sous divers formats.

Pendant plus d’un siècle, depuis l’entreprise d’Houssiaux, acquéreur de la propriété de l’édition Furne qui réalise de 1853 à 1855 une réimpression augmentée de La Comédie humaine, jusqu’à la nouvelle édition Pléiade (1976-1981, 12 vol.) sous la direction de P.-G. Castex, qui offre une somme éditoriale avec de nombreux documents, variantes et notices dans une perspective semi-génétique, nous avons assisté à une volonté de monumentalisation de l’œuvre, conforme à une vulgate critique valorisant l’aspect unitaire et systématique du roman balzacien. Les principales éditions savantes ont ainsi révélé une tension vers l’exhaustivité : complétude des œuvres de Balzac, enrichissement des documents et approfondissement des gloses. Mais il y a là un intéressant paradoxe : plus on explore le terreau de la création balzacienne, plus on est exposé à la difficulté de définir une version textuelle à éditer, du moins pour La Comédie humaine (Del Lungo, 2017). Ainsi cet édifice romanesque s’inscrit dans une entreprise tentaculaire et polymorphe, élaborée avec une mobilité singulière de nature à rendre problématique toute délimitation : entre autres, celle entre texte et avant-textes. Dans ces conditions, il n’est plus évident de pouvoir en déterminer un état fixe et définitif : malgré le fait que l’auteur le désigne dans son testament du 28 juin 1847 comme « le manuscrit final de La Comédie humaine » (Corr., III, 419), le choix du « Furne corrigé », dernière version revue de son vivant, comme texte de base des éditions modernes, ne fait pas l’unanimité (Laforgue, 2013). En effet, si Balzac a consigné en droit son dernier mot, il a laissé en fait l’esquisse de plusieurs possibilités, dont le « catalogue de 1845 », ambitieux projet de réédition en 26 volumes, avec 137 œuvres dont 50 restaient à faire.

C’est pourquoi les récentes éditions, considérant que l’œuvre de Balzac est inséparable de ses gestes de création, se montrent attentives à la stratification génétique des textes balzaciens et proposent des solutions inédites. L’édition des Nouvelles et contes procurée par I. Tournier (Gallimard, 2005-2006, 2 vol.) offre la totalité des fictions courtes de Balzac dans l’ordre chronologique de parution et dans leur version originale. D’autre part et encore plus ambitieusement, on souligne à l’ère du numérique une affinité remarquable de l’écriture balzacienne avec le régime de l’hypertexte (Tournier, 1999 ; Péraud, 2003), et s’intéresse à la mise en œuvre de ce nouvel outil médiatique pour les éditions de Balzac. Après le lancement du CD-Rom « Explorer La Comédie humaine » sous la direction de C. Duchet, N. Mozet et I. Tournier (Acamédia, 1999), et après la solution « hybride » de A. Oliver qui propose depuis 2005 la collection « Les romans de Balzac », le projet eBalzac dirigé par A. Del Lungo vise à donner à lire en ligne le texte du « Furne corrigé » et les éditions antérieures des récits qu’il contient, en proposant un module génétique qui permet de comparer avec un système de fenêtrage quelques-uns des états imprimés. On est ainsi devant un champ en pleine expérimentation.

Nombreux sont cependant les problèmes qui restent à résoudre. À titre d’exemple, quand pourrons-nous lire dans une édition critique toutes les œuvres abandonnées de Balzac (Takayama, 1966) ? Dans quelle mesure pourra-t-on accéder par voie d’édition physique ou électronique à ses abondants documents de travail (manuscrits, épreuves corrigées) qui ne sont publiés que très partiellement à ce jour ? Surtout, comment publier un ensemble aussi mobile et en déterminer un état définitif et exhaustif ? Le cas Balzac est d’ailleurs symptomatique de la difficulté du concept même d’« œuvre complète » et de sa réalisation éditoriale (pour preuve, la suite des Œuvres diverses de l’édition Pléiade est toujours cruellement en attente).

L’histoire des éditions de Balzac condense alors à elle seule une série d’interrogations en matière de transmission intellectuelle et matérielle de l’œuvre d’un auteur moderne : délimitation du corpus, choix du texte de base, méthode de critique textuelle, mise en ordre des pièces, constitution des documents en annexe et du commentaire, support et mode de diffusion. Même si les enjeux ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agisse d’une édition savante ou de vulgarisation, l’exemple de Balzac montre à quel point l’éditeur peut devenir un créateur du texte, dont les choix infléchissent profondément la lecture et la réception. Les différentes options qui ont été adoptées méritent une analyse de fond, afin d’observer comment le corpus balzacien a pu historiquement mettre à l’épreuve les diverses entreprises éditoriales, et de redéfinir aujourd’hui les termes de rapport entre un horizon d’édition critique de Balzac et un ensemble d’outils inédits que nous fournissent les nouvelles technologies, en nous rendant sensibles aux difficultés et paradoxes propres au domaine éditorial.

En effet, le développement de l’édition numérique au cours des dernières années modifie profondément les modalités d’accès au texte ainsi que les pratiques de lecture et d’interprétation, en même temps qu’un nouveau questionnement épistémologique investit la notion même de texte, devenue plus instable en l’absence d’une pagination fixe et des repères traditionnels de l’imprimé. Le numérique, loin d’être une panacée, finit ainsi par concentrer toutes les difficultés de l’édition : l’internaute qui voudrait accéder à la lecture en ligne d’un roman de Balzac se trouverait rapidement perdu devant le foisonnement d’éditions non référencées et appauvries du point de vue textuel : la plupart des sites ou des livres électroniques donnent le texte de l’édition Furne, sans l’intégration des corrections apportées par Balzac sur son exemplaire personnel, ou le texte de versions posthumes, souvent très fautives, sans aucun apparat critique. Il serait donc utile, dans le cadre de notre travail collectif, de s’interroger sur les possibilités d’enrichissement textuel que permettent les nouvelles technologies, et d’analyser les premiers résultats que des projets éditoriaux comme eBalzac ou Variance fournissent sur les variantes, les sources, le lexique, l’hyperannotation ou l’hypertexte.

Voici quelques pistes de travail (non exclusives) :

1. Balzac et ses éditions

Situation du marché éditorial à l’époque.

Dimension créative des activités de Balzac éditeur-imprimeur.

Gestion balzacienne des éditions : stratégie de diversification et de réédition, arts typographiques, modulation de l’appareil paratextuel (titres, discours préfaciels, illustrations, etc.) ; effets de réception.

Attribution auctoriale.

La diffusion des œuvres de Balzac au XIXe siècle.

2. Éditer Balzac (à l’ère du numérique)

Historique des éditions modernes : établissement de texte, mise en ordre, constitution de l’apparat critique (paratextes, variantes, fragments génétiques et autres documents), politiques éditoriales (Balzac « en œuvres complètes » ou Balzac « en poche »).

Horizon éditorial : La Comédie humaine, œuvres diverses, Correspondance, textes avortés, documents de travail.

Mise au point des outils de travail (index des personnages, dictionnaires, base de données, etc.)

Édition numérique : modalités d’accès au texte, pratiques de lecture, infléchissements herméneutiques.

Potentialités et résultats de l’édition numérique dans l’interrogation et l’analyse du texte (variantes, identifications de source, hypertexte).

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Bibliographie indicative

  • T. Bodin, « Esquisse d’une préhistoire de la génétique balzacienne », AB 1999, p. 463-490.
  • R. Chollet, Balzac journaliste. Le tournant de 1830 [1983], Classiques Garnier, 2016.
  • R. Chollet, À la lumière de Balzac. Études (1965-2012), Classiques Garnier, 2019.
  • A. Del Lungo, « Éditions et représentations de La Comédie humaine », Genesis, n° 44, 2017, p. 81-96.
  • N. Felkay, Balzac et ses éditeurs, Promodis, 1987.
  • T. Kamada et J. Neefs (dir.), Balzac et alii. Génétiques croisées. Histoires d’éditions, actes du colloque organisé par le GIRB, 2012 [en ligne]. [Les actes contiennent plusieurs études à ce sujet : M-È. Thérenty et K. Murata sur les publications en feuilleton, A. Déruelle sur l’édition Lévy].
  • T. Kamada, « Modes de publication et poétique du chapitre chez Balzac », Shinshu Studies in Humanities, No. 5, 2018, p. 119-132 [en ligne].
  • P. Laforgue, La Fabrique de La Comédie humaine, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2013.
  • J. Meyer-Petit (dir.), Balzac imprimeur et défenseur du livre, Paris-Musées / des Cendres, 1995.
  • A. Péraud, « Penser Balzac avec l’hypertexte, et/ou penser l’hypertexte avec Balzac », in J.-L. Diaz et I. Tournier (dir.), Penser avec Balzac, Pirot, 2003, p. 233-241.
  • R. Pierrot, « Les éditions de Balzac depuis 1950 », AB 1999, p. 417-426.
  • F. Pollaud-Dulian, « Balzac et la propriété littéraire », AB 2003, p. 197-223.
  • M.-È. Thérenty, Mosaïques. Être écrivain entre presse et roman (1829-1836), Champion, 2003.
  • T. Takayama, Les Œuvres romanesques avortées de Balzac (1829-1842), Tokyo, The Keio Institute of Cultural and Linguistic Studies, 1966.
  • B. Tolley, « Les œuvres diverses de Balzac », AB 1963, p. 31-64.
  • I. Tournier, « Balzac-hypertexte », Magazine littéraire, n° 373, 1999, p. 63-65.
  • S. Vachon, Les Travaux et les jours d’Honoré de Balzac, Presses Universitaires de Vincennes / Presses du CNRS / Presses de l’Université de Montréal, 1992.
  • S. Vachon, « Balzac en feuilletons et en livres. Quantification d’une production romanesque », in A. Vaillant (dir.), Mesure(s) du livre, Publications de la Bibliothèque nationale, 1992, p. 257-287.
  • S. Vachon, « “Et ego in Chantilly”. Petit essai de genèse de la génétique balzacienne (les éditions) », Genesis, n° 13, 1999, p. 129-150.
  • A. Vaillant, « Balzac et la crise de l’édition romanesque sous la monarchie de Juillet », in C. Duchet et I. Tournier (dir.), Balzac, Œuvres complètes. Le « Moment » de La Comédie humaine, Presses Universitaires de Vincennes, 1993, p. 21-41.

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Les propositions (dossier thématique ou Varia) devront être envoyées aux adresses suivantes :

adellungo@free.fr

kamada@shinshu-u.ac.jp

thebalzacreview@gmail.com

avant le 30 octobre 2019.

Les articles (35.000 signes maximum, espaces compris) seront à envoyer avant le 1er septembre 2020. Ils devront être accompagnés d’un résumé en français (500 signes maximum, espaces compris) et de 5 mots-clés.