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Séminaire Usages et valeurs du noir, séance n° 2: Le noir absolu (G.-G. Lemaire),

Séminaire Usages et valeurs du noir, séance n° 2: Le noir absolu (G.-G. Lemaire), "La mise au noir occidentale : entre couleur et espace" (Mathilde Thouron)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Helene CAMPAIGNOLLE-CATEL)

Séminaire Usages et valeurs du noir, séance n°2, le 23 novembre 2021, 14h-16h30
 
Dans le cadre du séminaire “Usages et valeurs du noir”,  le CEEI accueillera

Gérard-Georges Lemaire et Mathilde Thouron pour deux interventions intitulées respectivement

“Le noir absolu”et “La mise au noir occidentale : entre couleur et espace”.

Mardi 23 novembre 2021, de 14h à 16h30, INHA, 2 rue Vivienne, 75002 PARIS en salle W. Benjamin.

La séance se fera en présentiel. L’hybride (avec visioconférence) est proposé aux personnes qui résident en province ou à l’étranger.

Elles peuvent s’inscrire à l’adresse suivante : mlaureillard@free.fr. Un lien leur sera adressé la veille de la séance.




Le noir absolu par Gérard-Georges Lemaire

En 1870, Henri Fantin-Latour achève un grand tableau qui a été intitulé L’Atelier de Batignolles. A l’extrême gauche, on découvre Edouard Manet en train de peindre un tableau que le spectateur ne voit pas. Il est assis à côté   de Zacharie Astruc qui le regarde. Autour d’eux, debout, des amis : Renoir, qui porte encore son au haut-de-forme, Zola, Bazille, Schöderer, Zola, Edmond Maître, Monet. Tous sont vêtus de noir à l’exception de Manet. Dans le fond de la pièce est tendu un rideau noir. Sans doute à cause de cette petite foule, on ne fait guère attention à ce grand cadre doré qui est suspendu derrière Renoir. Le plus frappant est que la peinture qu’il contient n’est qu’une surface uniformément noire. C’est vraisemblablement le premier monochrome de ce genre. Personne ne l’a jamais remarqué. En règle générale, on considère que c’est Alphonse Allais qui aurait fait le premier monochrome noir (Nègres se battant dans un tunnel) pour le Salon des Incohérents de 1883. Or l’écrivain n’avait en tête que de produire une œuvre d’art, mais une de ses plaisanteries savoureuses. Ce tableau est réuni à d’autres pièces monochromes (une verte, une rouge, une blanche, une marron, une jaune, portant chacune un titre burlesque). En revanche, quelques artistes ont été tenté de réaliser des toiles presque noires, comme Robert Fludd ou Jean-Louis Petit. Whistler a exécuté des toiles proches du noir et Paul Bihaud avait accroché un tableau tout noir au même Salon. Cette histoire ne se traduit dans le langage de la peinture moderne qu’avec Malevitch et Rodtchenko. Mais ce n’est qu’après la Seconde guerre mondiale que Robert Rauschenberg exécute d’authentiques monochromes. La monochromie écrit alors son histoire avec Lucio Fontana, Yves Klein, Alberto Burri. D’autres vont suivre. La question est alors de savoir pour quelles raisons des créateurs contemporains ont souhaité développer cette manifestation d’un univers plastique intégralement dédié au noir.

Gérard-Georges Lemaire

Né en 1948 à Paris, Gérard-Georges Lemaire est écrivain, éditeur, historien et critique d’art, commissaire d’expositions, producteur à France Culture, directeur de collections (Flammarion, Christian Bourgois éditeur, Éditions de la Différence), journaliste, professeur émérite, traducteur. Il a fait des études de philosophie et d’histoire de l’art à Paris I et à l’École Pratique des Hautes Études. À partir de 1968, il travaille dans l’édition et crée sa première collection de littérature étrangère, “Connections”, chez Flammarion en 1974. Il traduit de nombreux auteurs anglais, américains et italiens, notamment William S. Burroughs, Allen Ginsberg, William Carlos Williams, Stefan Themerson, Gertrude Stein, Wyndham Lewis, Alberto Savinio, etc. Il collabore à de nombreuses revues littéraires, a organisé plus de 70 expositions en France et à l’étranger et a été commissaire de l’exposition “Franz Kafka” qui a eu lieu à Paris en octobre 2002. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages sur les mouvements littéraires et picturaux, parmi lesquels Le Noir (Hazan, 2006), Dark Black avec Tommaso Trini (Prospective Presse, Lugano, 2008), Le Noir absolu (Villa Tamaris, 2009), ainsi que de nombreux livres d’artistes. Publications récentes :  Les Cafés littéraires, Éditions de la Différence, Paris, 2016 ; Histoire de la critique d’art, Klincksieck, Paris, 2017.                         

 
La mise au noir occidentale : entre couleur et espace par Mathilde Thouron

Au fondement de ce travail, le terme de « mise au noir » englobe la constitution d’un environnement obscur caractérisée par l’usage de surfaces noires, d’espaces sombres et d’une orientation de l’éclairage. L’obscurité est révélatrice d’un positionnement esthétique ambigu dans sa relation à l’activité de vision et aux émotions qu’elle suscite. De manière assez paradoxale, la réflexion déployée montre qu’elle valorise d’un côté le « voir » par son jeu de contraste visuel avec la lumière, quand de l’autre, elle limite la circulation du regard en proposant des situations d’expérimentation de l’espace au travers desquelles d’autres sens que la vue prennent le relai. L’interprétation du noir d’un point de vue optique est aussi double car elles s’interprètent d’un point de vue cognitif comme une absence d’espace, une surface plane, ou bien comme une profondeur illimitée car elle supprime l’évaluation des distances. La « mise au noir » permet ainsi d’analyser sous un nouveau jour l’obscurité contemporaine qui joue d’une ambiguïté entre surface et espace, image et spatialité, mise en scène du visible et de l’invisible.

Dans un premier temps l’on proposera une généalogie transdisciplinaire de la mise au noir afin de déterminer quelles sont les pratiques de conception qui ont initié cette dernière et qui nous mène à la nommer comme telle. La période qui court de la fin du XIXe et le début du XXe siècle a vu émerger une nouvelle considération de mise au noir en occident de par sa mobilisation dans les médias (Elcott, 2016) et la mise en scène au théâtre (Perruchon, 2016). C’est au contact de dispositifs de projections que la mise à noir en tant que jeux de surfaces et de conditionnement lumineux, se définit peu à peu en termes d’outil de manipulation optique dans les spectacles illusionnistes (Tabet, 2018).

La réinvention du noir par la lumière artificielle est liée à des questions de mises en scène mais elle est également liée à une plus grande maîtrise des conditions d’accueil du spectateur : ce qu’il voit et d’où il le voit. Une gestion de l’attention en sommes par le trio « surfaces noires – obscurité – lumière ». Cette gestion de l’attention est aussi expérimentée au travers des machines de vision avec la photographie qui permet de fixer en une image des contrastes optiques permettant de constituer une iconographie de l’invisible. De là des images sur fond noir entre merveilleux et scientifique va naitre, telles que celle proposée par la chronophotographie de Marey sur le mouvement, le rayon x, ou par la microscopie sur fond sombre révélant la structure microscopique de notre environnement.

Le dernier point abordé concernera les effets de l’image projetée dans l’espace mis au noir et les rapports à l’espace qui peuvent être envisagés dans la sphère plus contemporaine de la monstration. De l’installation vidéo aux boîtes de nuit en passant par les expositions en quête d’attraction, ce dernier pan permet aussi d’engager la notion de spectaculaire et la mise en scène du savoir qui se retrouve à l’origine de la « mise au noir » investit dans nombre de scénographies d’expositions contemporaines.

La communication permettra ainsi de resituer une brèche entre les nouvelles significations de la couleur comme de l’espace noir associé à des dispositifs de monstration (illusion, spectacle, mise en scène, travail de l’image) permettant de réinventer certains de ses usages et de ses significations dans la conception.

Mots clefs : surfaces noires, espace, obscurité, invisible, optique

Bibliographie indicative :

DOWD Marion et HENSEY Robert (eds.), The Archaeology of Darkness, Oxford, Oxbow Books, 2016, 149 p.
ELCOTT Noam, Artificial Darkness : An Obscure History of Modern Art and Media, Chicago, University of Chicago Press, 2016, 319 p.
GLEIZES Delphine et REYNAUD Denis, Machines à voir : pour une histoire du regard instrumenté (XVIIe-XIXe siècles), PUL., Lyon, (coll. « Littérature & idéologies »), 2017.
MILNER Max, L’Envers du visible : Essai sur l’ombre, Paris, Seuil, 2005, 445 p.
PERRUCHON Véronique, Noir : lumière et théâtralité, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion (coll. « Arts du spectacle. Images et sons »), 2016, 302 p.
TABET Frédéric, Le Cinématographe des magiciens : 1896-1906, un cycle magique, Renne, Presses universitaires de Rennes (coll. « Le Spectaculaire Série cinéma »), 2018, 376 p.
WEBER Pascale, Le corps à l’épreuve de l’installation-projection, Paris, France, L’Harmattan (coll. « Histoire et idées des arts »), 2003, 252 p.


Mathilde Thouron — mathilde.thouron@toulouse.archi.fr

Enseignante certifiée en design et métiers d’art, Maîtresse de conférences associée et qualifiée en Arts et Techniques de Représentations à ENSA Toulouse, rattachée au Laboratoire de recherche en architecture (LRA). Elle travaille sur l’usage de l’obscurité et du noir dans la conception ainsi que sur la dimension interdisciplinaire dans la création au travers des situations de scénographies d’exposition.

Publications :

« Apprivoiser l’obscurité : un nouveau programme pour l’architecture des salles de cinéma parisiennes entre 1914 et 1921 », Journal of Energy History/Revue d’Histoire de l’Énergie  [En ligne],    JEHRHE                  #2,                           revue     à              comité    de     lecture et                   éditorial            international,  2019                   – https://energyhistory.eu/fr/dossier/apprivoiser-lobscurite-un-nouveau-programme-pour- larchitecture-des-salles-de-cinema
« Parcours nocturnes en plein jour : la scénographie sombre du musée du Quai Branly (Paris)», dans GWIAZDZINSKI Luc, MAGGIOLI Marco et STRAW William (eds.), Night studies: regards croisés sur les nouveaux usages de la nuit, Elya édition., , (coll. « L’innovation autrement »), 2020.
(en cours de publication) « Mise au noir dans la scénographie d’exposition : entre merveilleux- scientifique et effets spatiaux » dans Frédéric Tabet, Isabelle Labrouillère (éd.), L’effet au risque du genre, Presses universitaires de Rennes, Spectaculaire, 2022
(en cours de publication), Mise au noir : dialogue entre le visible et l’invisible, Elya Édition, 2022.

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Le programme complet du séminaire est consultable sur cette page.