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Séminaire des doctorants du CRP19 :

Séminaire des doctorants du CRP19 : "Envers et revers de la modernité : les personnages velléitaires" (en ligne)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Marie Portier)

Séminaire des doctorants du CRP19 :

"Envers et revers de la modernité : les personnages velléitaires"

Cette séance sera dédiée à deux écrivains naturalistes, Émile Zola et Joris-Karl Huysmans, et à la place qu’ils donnent dans quelques-uns de leurs romans à des personnages que l’on peut qualifier de velléitaires. Sans surprise, le Grand dictionnaire du XIXe siècle de Pierre Larousse définit la velléité en mauvaise part uniquement, comme une « volonté imparfaite, intention faible et fugitive ; désir passager ». L’époque est tout à la fois marquée par l’idée de progrès et par l’angoisse de la « déterritorialisation », pour reprendre un terme employé par Marc Angenot dans son ouvrage 1889. Un état du discours social. Le caractère velléitaire est alors perçu avant tout comme un défaut de volonté, assimilé à l’effémination et au gâchis. Même au sein d’un groupe réputé subversif à l’égard de l’idéologie bourgeoise, le cercle de Médan, la productivité et le bon emploi du temps sont considérés comme des vertus cardinales. La représentation des personnages velléitaires est pourtant nuancée dans les romans de Zola et Huysmans. Peut-être faut-il voir là l’influence de Flaubert. L’Éducation sentimentale, « livre sur rien » considéré par les naturalistes comme un chef-d’œuvre, a pour héros un velléitaire. Frédéric Moreau subit certes l’ironie flaubertienne, mais pas autant que son ami Deslauriers dont le « désir » de parvenir est rien moins que « passager ». La modernité de L’Éducation sentimentale doit beaucoup au fait qu’un personnage si peu héroïque parce que velléitaire y joue un rôle de premier plan. L’incidence de ce fait sur la structure et l’anthropologie du roman est considérable. C’est aussi le cas des œuvres que nous aborderons durant cette séance. Nous soulèverons les questions suivantes : quel statut et fonctions sont octroyées aux personnages velléitaires chez Zola et Huysmans ? Outre que leur mode d’être, de décider, d’agir est problématique, que problématisent leur versatilité et leur passivité ? Quelles idées sur l’homme et la modernité sont ainsi mises en récit ?

Invité : Olivier Lumbroso

 

Nicolas GAGNÉ : « Origines et poétique de la représentation du personnage velléitaire chez Zola »

L’étude du personnage chez Zola est particulièrement intéressante parce qu’un tel personnage semble s’opposer diamétralement à la foi en l’avenir et au travail de Zola. On pourrait s’attendre à ce que la représentation du velléitaire soit chez lui purement négative, voire caricaturale, que ce type de personnage ne soit qu’un repoussoir. S’il y a là une grande part de vérité, je tenterai de montrer que la réalité est plus complexe. Pour ce faire, j’étudierai principalement deux romans écrits à la même époque et publiés consécutivement, Au Bonheur des Dames (1883) mais surtout La Joie de vivre (1884), le « roman sur la douleur », qui place au premier plan la figure de Lazare, alors que le roman précédent n’évoque le sujet que par le personnage de Vallagnosc, unidimensionnel et tout à fait secondaire à l’intrigue, et qui serait plutôt un ancien velléitaire puisqu’il ne rêve plus, contrairement à Lazare. Dans un premier temps, je montrerai ce qui pousse Zola, au tournant de 1880, à s’intéresser à la figure du personnage velléitaire. Il s’agit de la rencontre entre un contexte intellectuel (le « mal du siècle » et la popularité de la pensée du philosophe pessimiste Schopenhauer) et un moment particulièrement difficile de la vie de Zola (il traverse sa « crise de la quarantaine » et en 1880 voit le décès des écrivains Duranty et Flaubert mais, surtout, perd sa mère). Dans un second temps, j’analyserai les personnages de Vallagnosc et surtout de Lazare, notamment à l’aune d’une comparaison avec le personnage auquel le texte les assimile (Vallagnosc/Octave Mouret, Lazare/Pauline Quenu). Je ferai appel aux travaux narratologiques de Philippe Hamon et Vincent Jouve. Je m’intéresserai, chez Lazare particulièrement, à la question de la virilité et de l’inversion des genres; à son rapport problématique à la lecture, qui le rapproche de personnages comme Silvère Mouret et Étienne Lantier; etc.

 

Marie PORTIER : « Les personnages velléitaires, héros et hérauts des romans naturalistes de Huysmans. »

Dans les romans Marthe. Histoire d’une fille, Les Sœurs Vatard et En ménage, qui ne font pas partie des récits « à un seul personnage » de Huysmans, il est toutefois aisé d’identifier Léo, Cyprien Tibaille et André Jaillant comme des relais idéologiques de l’auteur ou du moins comme des « foyers normatifs » du texte. C’est en eux et par eux que les valeurs et normes du récit affleurent, ce qui leur confère le statut de héraut, voire de héros si l’on admet une définition de ce mot qui se rapporterait à l’« effet idéologie » du récit. Cependant, l’agentivité de ces personnages est fort réduite en raison principalement de leur « nihilisme » (terme employé par Huysmans pour caractériser la philosophie d’En ménage) ou de leur pessimisme (courant auquel Huysmans se réfèrera plus tard de manière explicite, dans la « morale » d’A vau-l’eau). C’est l’hiatus entre le crédit qui leur est apparemment accordé dans le récit et leur manque de volonté flagrant qui les constitue en antihéros. En effet, « cerveaux » de l’histoire, ils n’apparaissent pourtant pas maîtres des événements qui les touchent ni même de leurs propres actes. Autour de ces personnages-témoins, le récit s’organise comme un contre-discours, récusant un modèle romanesque de sensibilité optimiste et progressiste. Leur rapport au monde tout à la fois ironique et victimaire, leur position (ou pose) peu praticable révèlent les contradictions et les impasses de la modernité conçue comme exténuation du souffle romanesque voire même de toute créativité. En effet, Léo, Cyprien et André sont aussi des demi-artistes. La « blague », un travail d’écriture démythifié, une peinture mercenaire, sérielle, presque industrielle : leurs ambitions esthétiques s’expriment sur des modes très atténués. Ce sont pourtant des pratiques qu’ils ne jugent pas indignes de leur intelligence. Le défaut de volonté, qui conduit à la passivité ou à la marge, aux positions les moins enviables dans les champs littéraire et artistique, s’accorde avec une vision pénétrante de l’existence.

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Responsables :

Marie Portier - Nicolas Gagné

Adresse et horaire :

En ligne

de 17h30 à 19h30.