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Retours d'exils (1848-1885)

Retours d'exils (1848-1885)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Céline Léger et Jean-Marie Roulin)

Retours d’exils (1848-1885)

 

Appel à contributions pour le numéro 50 de la revue Autour de Vallès (2020)

Numéro dirigé par Céline Léger et Jean-Marie Roulin (UMR CNRS IHRIM)

 

         Depuis 2015, la « crise des migrants » occupe le devant de l’actualité. En France comme dans d’autres pays, elle est devenue un sujet de société brûlant, fortement susceptible de rester un débat prééminent dans les années à venir. Or, le regard porté sur ces hommes, ces femmes et ces enfants qui émigrent tend à les déshumaniser, niant leurs spécificités individuelles. Cette dépersonnalisation des individus est plus foncièrement liée au fait qu’on s’intéresse davantage à leur arrivée problématique dans un pays étranger qu’aux raisons de leur départ et à l’arrachement douloureux de leur terre natale. Quant à leur éventuel retour aux sources, il est bien plus souvent regardé par le prisme de ceux et celles qui observent de loin les mouvements migratoires qu’à travers le point de vue incarné des migrants eux-mêmes.

            En Europe, la question de l’exil n’est pas neuve. Elle traverse déjà avec une grande acuité le XIXe siècle, aussi appelé « siècle des exilés[1] ». Il s’agit alors autant d’exilés politiques que de réfugiés économiques. Nous traiterons d’ailleurs la transportation et la déportation comme des formes d’exils involontaires. L’exil a fait l’objet de nombreuses études, à la fois historiques – depuis les travaux sur l’émigration pendant la Révolution jusqu’à la Commune[2] –, et littéraires[3]. En revanche, la question cruciale du retour de l’exil a été peu abordée. Dans la quatrième partie d’un de ses ouvrages majeurs, Sylvie Aprile met en lumière l’importance de ce moment[4]. C’est donc précisément la problématique des retours d’exils et, plus largement, du rapport des exilés à leur pays d’origine qui occupera le numéro 50 de la revue Autour de Vallès.

            La notion de retour peut être entendue au sens géographique et littéral, des exilés politiques ou économiques, ainsi que dans ses déclinaisons et ses usages métaphoriques – retour aux lieux de l’enfance, comme métaphore d’un retour aux origines ou au paradis perdu, par exemple. Le retour vers l’enfance est un thème majeur : poétique, mais aussi politique, en tant que manière de se positionner politiquement contre l’actuel[5]. De surcroît, il ne faut pas négliger son acception ontologique : après 1848, s’est notamment développé le thème romantique de l’homme exilé sur terre, qui peut nourrir ou croiser des enjeux politiques[6]. Pour ce qui est de l’exil politique, le regard sur l’origine a changé dans ce que les sociologues ont récemment appelé la « rémigration », le retour constituant alors un nouvel exil. L’expérience de l’étranger a modifié le regard, le pays de départ a changé.

            L’expérience, la thématique et la poétique du retour d’exil au XIXe siècle peuvent être envisagées sous d’autres angles, porteurs de perspectives nouvelles. Quels sont les retours – autrement dit, les jugements – que formulent les exilés sur la terre quittée ? De loin, celle-là est-elle mise à distance ou perpétuellement convoquée, rejetée ou idéalisée, schématisée ou savamment décortiquée ? Depuis l’étranger, comment se manifeste et se représente le fantasme ou le refus du retour en France, qu’il s’agisse de souhaits précis, de désirs lumineux, de rêves brumeux ou de sombres frustrations ? Une telle question est notamment intriquée aux enjeux politiques de l’amnistie. Enfin, à quels écrits donne lieu le retour concret de l’exilé dans son pays natal ? Comment le retour d’exil contribue-t-il à la construction de personnages fictifs ou de scénarios romanesques ? Cette production postérieure ne saurait être analysée indépendamment de l’influence déterminante du pays et de la culture d’exil sur le « revenant ». D’où revient-il ? Que rapporte-t-il chez lui ? La société qu’il retrouve est-elle semblable à celle qu’il a quittée ou sensiblement modifiée ?

            La vie et l’œuvre de Jules Vallès durant puis après son exil de neuf ans – en Suisse, en Belgique mais surtout en Angleterre[7] – constituent un très bon point d’optique pour tenter de répondre à ces interrogations. Sa correspondance ainsi que son recueil La Rue à Londres permettent de mieux cerner sa vision de la France, sur un plan à la fois social, culturel et politique. Elles donnent par ailleurs une forme plus ou moins explicite au fantasme du retour à Paris, associé aux aspirations toujours révolutionnaires de l’ex-communard, qui craint parfois de se noyer dans l’inertie londonienne. Enfin, les articles de Vallès écrits entre 1880 et 1885, depuis son amnistie jusqu’à sa mort, comme ceux du Cri du Peuple ou du Tableau de Paris, sont ostensiblement et richement façonnés par son expérience antérieure de l’exil.  

            Il conviendra de sonder la question des retours d’exils bien au-delà du corpus de Vallès, dans la période qui s’étend entre 1848 et 1885. Cet empan chronologique englobe les transportés et les déportés de Juin, les proscrits de l’Empire ou les exilés de la Commune. Qu’ils fassent œuvre d’écrivains, de journalistes ou d’historiens, ces derniers tissent entre les diverses époques de la Deuxième République, du Second Empire et de la Troisième République une possible « filiation des retours d’exilés », qui n’a encore fait l’objet d’aucune étude spécifique. L’on pourra revenir sur des auteurs connus mais seulement analysés sous certains angles : Hugo, Esquiros, Blanc, Ledru-Rollin, Quinet, Charras, Vallès, Rochefort, ou encore Louise Michel. Il faudrait en outre s’intéresser à des scripteurs dont les textes restent encore largement inexplorés : Nadaud, Lefrançais, Arnould, Longuet, André Léo, Pierre Joigneaux ou Georges Renard, parmi d’autres. Enfin, il serait fructueux d’examiner les « retours d’exils » dans la diversité de leurs formes écrites, voire visuelles : études/essais, livres d’histoire, correspondances, articles de journaux, mémoires, romans, poèmes, chansons, peintures, dessins/caricatures, gravures, etc.

 

Les propositions, accompagnées d’un bref CV, devront être adressées avant le 31 mars 2019 à :

Céline Léger (leger.celine3@gmail.com) et Jean-Marie Roulin (jean.marie.roulin@univ-st-etienne.fr).

Une journée d’étude se tiendra à l’Université de Saint-Étienne le vendredi 27 mars 2020.

Les contributions définitives seront à remettre avant le 31 mars 2020.

 

Comité scientifique :

Sarah Al-Matary (Université de Lyon 2, UMR IHRIM) ; Silvia Disegni (Università Federico II, Naples) ; Stéphane Gougelmann (Université Lyon Saint-Étienne, UMR IHRIM) ; Corinne Saminadayar-Perrin (Université de Montpellier 3, RIRRA 21) ; Nicholas White (Emmanuel College, University of Cambridge).

 

[1] Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés. Bannis et proscrits de 1789 à la Commune, Paris, CNRS Éditions, 2010.

[2] Cf. Sylvie Aprile, Le Siècle des exilés. Bannis et proscrits de 1789 à la Commune, op. cit.

[3] Cf. Exil et créations littéraires, Cáceres Béatrice (dir.), Paris, L’Harmattan, 2001 ; Écritures de l’exil, Giovannoni Augustin (dir.), Paris, L’Harmattan, 2006 ; Exil et épistolaire aux XVIIIe et XIXe siècles : des éditions aux inédits, Centre de recherches révolutionnaires et romantiques, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2007 ; Histoires d’écrits, histoires d’exil : perspectives croisées sur les Écritures en migration(s), Leroy Delphine (dir.), Tübingen, Narr Verlag, 2014.

[4] Cf. Sylvie Aprile, « Quatrième partie. Retours d’exils », Le Siècle des exilés. Bannis et proscrits de 1789 à la Commune, op. cit.

[5] Voir par exemple la série constituée par les poèmes de Baudelaire (« Je n’ai pas oublié, voisine de la ville… ») et surtout de Hugo (« Tristesse d’Olympio ») ou Verlaine (« Après trois ans »).

[6] Exemple célèbre de Nerval : Sylvie est un retour à l’enfance dans un moment politique décrit comme succédant « aux révolutions ou aux abaissements des grands règnes ».

[7] D’autant que la revue y a déjà consacré un numéro entier : cf. Les Amis de Jules Vallès, sous la direction de Corinne Saminadayar-Perrin, 2000, n° 30.