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Résistance et langage (Mons, Belgique)

Résistance et langage (Mons, Belgique)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Catherine Gravet)

COLLOQUE INTERNATIONAL

« Résistance / Langage »

Institut de recherche en sciences et technologies du langage (IRSTL) 

Université de Mons (UMONS) 

les 9-10 décembre 2021

 

Quand le jeune Stéphane Mallarmé entreprend des recherches sur le langage en vue d’une thèse, en 1870, il n’a pas conscience des exigences scientifiques requises par l’exercice – un texte universitaire doit, pour le moins, être compréhensible, mais cette exigence de clarté n’est probablement pas compatible avec l’hermétisme poétique qui sera sa marque de fabrique. Pourtant, l’auteur de Divagations (1897) semble avoir eu l’intuition du potentiel indéniable d’une nouvelle « science du langage ». Le langage lui apparaît à la fois comme instrument et objet de connaissance. L’« accointance de l’Idée de Science et de l’Idée de Langage » le séduit parce qu’elle permet d’observer « le langage se réfléchissant », dans une mise en abyme qui met aussi en branle une forme de fiction où « l’univers [serait] considéré d’un point de vue strictement littéraire[1] », où l’on étudierait le fondement scientifique de l’œuvre poétique…

150 ans plus tard, la science du langage s’est mise au pluriel, les sciences se sont dotées d’outils spécifiques, de technologies sophistiquées et se sont élargies à bien d’autres champs que la littérature, même si la littérature reste un domaine inépuisable. Quant à l’horizon de rétrospection des sciences du langage, il dépasse sans doute les « intuitions » mallarméennes… Les recherches de l’Institut Langage de l’UMONS (et de son nouveau centre de recherche en études interdisciplinaires Ciéphumons) se centrent aussi sur la médiation linguistique (étude de la traduction, de l’interprétation, du doublage, du sous-titrage, de l’audiodescription, etc.), la didactique, la grammaire, la linguistique, la psycholinguistique, la sociolinguistique, la phonétique, la philosophie, la culture, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, la logopédie, la médecine, etc.

Les 9-10 décembre 2021 se tiendra, à l’Université de Mons, un Colloque multidisciplinaire en sciences du langage qui aura pour thème central la résistance, avec une déclinaison de 4R thématiques : Robustesse, Résistance, Réticence, Réserve. Cette chaîne parasynonymique concerne toutes les disciplines représentées au sein de l’IRSTL et tous les spécialistes que nous souhaitons mobiliser lors de notre premier Colloque international.

De « Robustesse », on retiendra l’idée de force, de vigueur, de solidité, opposée à la fragilité. « Réticence » et « réserve » comportent des acceptions péjoratives ou spécialisées (notamment en rhétorique où réticence est une « Figure consistant à ne pas terminer un énoncé dont le contenu reste clair »), mais qu’il s’agisse de « restriction, limitation à l’approbation ou à l’adhésion que l’on apporte à quelque chose », de l’« action de mettre quelque chose à part pour quelqu’un » ou de l’« omission volontaire de ce qui pourrait ou qui devrait être dit », le lien avec le discours est toujours présent, parfois (souvent) évident. La « résistance », terme plus générique, mais aussi plus belliciste, englobe « tout phénomène qui s’oppose à une action ou à une force. » Le terme « résistance », du latin resistere, « s’arrêter, se tenir en faisant face », désigne aussi l’acte par lequel on s’oppose pour conserver. Question idéologique s’il en est.

Ce kaléidoscope de significations, fournies par le TLFi, est à décliner, encore une fois, dans toutes les disciplines qui exercent leur acribie sur le langage. Nous espérons que chacun trouvera un écho à ces quelques suggestions organisées selon deux axes.

Résistance du sujet parlant

Lionel Duroy dit à propos de son dernier roman (Nous étions nés pour être heureux, 2019) : « La pudeur ne m’intéresse pas quand j’écris. Et de la même façon qu’un livre peut vous sauver du désespoir, vous permettre d’exorciser une souffrance, écrire pour dire constitue l’acte de résistance à l’oubli et à la perte, par excellence. » Des pans entiers de la littérature mondiale peuvent être analysés en ce sens. La figure de l’intellectuel, même si elle ne se confond pas avec celle de l’écrivain, l’homo intellectus, parmi la multiplicité de profils qu’on lui impute, jouit de cette figure de résistant, notamment à l’effondrement du monde, au moyen du langage.

Car le langage peut décrire la résistance et aussi lui donner forme. On pourrait donc étudier l’expression de la résistance, ou plus généralement des rapports de force entre les langues naturelles, comme on pourrait également voir quels actes de résistance elles permettent aux utilisateurs.

Étudier la (non-)résistance des discours demandera d’analyser comment transparaissent dans le discours, linguistiquement, psycho- et socio-linguistiquement, même inconsciemment, des contraintes sociales, culturelles ou politiques auxquelles le sujet se conforme, ou, au contraire, comment il lui arrive de s’opposer et de résister à ces normes et prescrits.

Cette résistance revêt des formes multiples et parfois inattendues. Ainsi, si la réticence est le « caractère ou la qualité d’une personne ou d’une chose qui omet ce qui pourrait ou qui devrait être dit », les spécialistes de la brachylogie trouveront là un terrain d’études idéal.

Ce type d’examen touche de nombreux domaines et disciplines linguistiques : l’analyse des relations internationales elles-mêmes, les relations entre l’Union européenne et les États-Unis de Donald Trump par exemple, ne passent-elles pas par ces notions de résistance ? Bérengère Viennot, traductrice attitrée de Trump, affirme pour sa part qu’elle doit « résister » à l’envie de lisser les propos du président ou de les traduire en bon français. Seule l’analyse des discours permet de répondre à cette question dans le cadre d’un Colloque « Langage ».

La notion de réserve permet, autre exemple, d’envisager une étude en interprétologie : le langage diplomatique comporte en effet un « devoir de réserve », de discrétion, que l’interprète professionnel doit être capable de percevoir et de transposer adéquatement, sans susciter de casus belli. Comment l’y préparer ? Comment évaluer sa performance ?

Mais la réserve est aussi une qualité que l’on attribue (attribuait ?) spécifiquement aux femmes : nous voyons là une amorce pour une étude de genre où l’on démontrerait comment les femmes résistent aux catégorisations généralisantes et essentialistes ou aux stéréotypes que le système patriarcal leur a longtemps imposés.

D’autres formes de résistance du sujet parlant sont envisageables. En psychanalyse, la résistance désigne « Toutes les forces d’opposition du sujet aux efforts faits pour mettre à jour les complexes ou sentiments refoulés » (TLFi) et procure ainsi une porte d’entrée dans le thème du Colloque. En neurosciences, l’imagerie cérébrale le démontre : la mémoire résiste mieux quand le patient atteint de la maladie d’Alzheimer a étudié la musique ou pratique un instrument.

Résistance des textes

Mais le texte, le discours, peuvent, en eux-mêmes aussi, « résister » à la lecture, à la compréhension, à la construction du sens – et donc à la traduction, la « résistance » ou l’intraduisibilité variant selon les époques, le type de discours, le genre, les interlocuteurs… Toutes les langues offrent des formes syntaxiques particulières, des rapports sens-formes idiomatiques, voire idiosyncrasiques, dont la traduction est problématique (que l’on pense, par exemple, aux intensifiants, aux exclamatives, aux marqueurs polysémiques en anglais). Sans oublier que les obstacles à la traduction ou à l’interprétation d’un texte source tiennent également à la langue et la culture cibles.

L’histoire de la traduction littéraire et de la diffusion des œuvres à travers les frontières linguistiques et culturelles peut, à son tour, se comprendre à travers le prisme de la résistance : l’Italie fasciste répugne à l’accueil d’écrivains américains ou étrangers, la Chine accueille volontiers le symbolisme belge, en particulier les textes du Prix Nobel, Maurice Maeterlinck, même si c’est au prix d’une mécompréhension interculturelle. Une réflexion sur l’édition critique de textes devrait permettre de dégager quelques réflexions en ce sens.

Les « textes résistants » ont ainsi fait l’objet d’études en linguistique mais aussi en didactique, et chaque enseignant sait à quel point les apprenants peuvent développer des formes de « résistance » face à des textes mais aussi à des formes d’enseignement qu’ils assimilent – à tort ou à raison – à du « dressage ». Qui résiste ? Le texte ou l’apprenant ? Et pourquoi ? L’explication magistrale qui s’immisce entre le texte et son lecteur permet-elle de surmonter cette résistance ou, au contraire, donne-t-elle naissance à de nouvelles formes de résistance ? D’où les figures bien connues de l’enseignant « facilitateur d’apprentissage » ou « praticien réflexif » qui expriment une mise en retrait ou une mise à distance de la parole magistrale… Enfin, apprentissage et résistance ne sont-ils pas intimement liés, en particulier pour tout ce qui relève des connaissances dites secondaires par opposition aux connaissances primaires ou adaptatives (cf. Tricot et Roussel, 2016, pour les caractéristiques) ? D’où la notion – plus idéologique que scientifique – d’effort nécessaire pour triompher de la résistance (que celle-ci trouve son origine dans ce qui est appris ou dans celui qui se voit sommé d’apprendre) ? Les études proposées pourront aussi bien se situer dans le domaine de la psychologie (cognitive, évolutionniste), de la didactique des langues que de la sociologie (rapport de l’élève au savoir, à la langue).

Littérature, traductologie, linguistique, histoire, philosophie, didactique... : chaque discipline de l’IRSTL tente de tisser des liens avec ses consœurs, malgré... les résistances. Interroger la classification des disciplines ou les découpages disciplinaires au sein des sciences du langage, leurs retombées socio-économiques, pédagogiques ou épistémologiques devrait permettre non seulement d’améliorer ces liens pour plus d’efficacité, mais aussi de relever des défis sociétaux.

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Si l’une des suggestions ci-dessus, et / ou la thématique générale, Résistance, croisée bien évidemment avec Langage, vous inspirent et que vous souhaitez présenter une communication lors du Colloque de l’IRSTL en décembre 2021, nous vous prions d’envoyer un titre, un résumé (500 mots maximum) incluant une bibliographie sommaire et vos coordonnées, accompagnées d’un bref CV à l’adresse suivante colloqueresistance@umons.ac.be, au plus tard le 30 juin 2021.

Nous pourrons vous prévenir dès la fin juin si votre communication est acceptée ou non et prévoir un programme cohérent où apparaîtront clairement les axes qui auront retenu votre attention. Par ailleurs, certaines contributions, retenues par le comité de rédaction de la revue Cahiers internationaux de symbolisme, paraîtront dans le volume 2022. Les textes devront parvenir à la rédaction fin juin 2022.

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Comité scientifique et d’organisation UMONS :

Michel Berré, Damien Darcis, Lobke Ghesquière, Pierre Gillis, Catherine Gravet, Bernard Harmegnies, Christine Michaux, Myriam Piccaluga, Alain Piette, Hedwig Reuter, Bénédicte Van Gysel, Gudrun Vanderbauwhede.

 

 

[1] Bertrand Marchal, La Religion de Mallarmé : poésie, mythologie et religion. Paris, José Corti, 1988, p. 97. Voir pour plus de détails l’essai de Charles Coustille, Antithèses. Mallarmé, Péguy, Paulhan, Céline, Barthes. Paris Gallimard, NRF, 2018, pp. 44-50.