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Régimes poétique et romanesque de la fiction (Reims)

Régimes poétique et romanesque de la fiction (Reims)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Alain Trouvé)

Séminaire Approches Interdisciplinaires et Internationales de la Lecture (A2IL5)

CRIMEL-CIRLEP

Université de Reims

 

Projet 2019-2020

« Régimes poétique et romanesque de la fiction »

 

Les « Rencontres internationales de Reims : la lecture littéraire dans tous ses états », tenues en mai 2018, nous ont conduits, dans l’année qui a suivi, à interroger le modèle du jeu articulé, dès les années 1970, à la notion de lecture littéraire. Le séminaire « Du jeu dans la théorie littéraire » s’est attaché en quelque sorte à introduire « du jeu dans le jeu », autrement dit, à explorer les écarts sémantiques attribués à une notion complexe qui ne nous paraissait pas, en dépit d’un vocable commun, employée par tous dans un sens identique.  Comme on pouvait s’y attendre, la réflexion a rebondi sur l’acception donnée à d’autres notions fortement impliquées dans l’idée de lecture comme jeu.

La fiction est l’une d’entre elles. D’innombrables travaux l’ont placée au centre de leur recherche depuis des décennies. Nous voudrions introduire une inflexion fondée sur des pratiques touchant à l’écriture littéraire et à la théorie.  Il apparaît assez remarquable que les ouvrages de référence[1] fortement interrogés durant les « Rencontres » de mai 2018 portent pour l’essentiel sur un corpus romanesque, convoqué à titre d’exemple dans La Lecture comme jeu et clairement désigné par le titre L’Effet-personnage dans le roman. Cette sélection plus ou moins implicite serait-elle due en partie à la façon dont la théorie s’accorde à des pratiques d’écriture, partageant avec elles une certaine idée de la fiction ?

Nous proposons, pour explorer ce problème, de soumettre aux intervenants la forte hypothèse posée naguère par Jacques Rancière, hypothèse qui conduit à une différenciation partielle. Rappelons-la :

Le régime représentatif de l’art n’est pas celui de la copie, mais de la fiction, de l’« agencement d’actions » dont parle Aristote. C’est ce concept qui libère l’art de la question de la vérité et de la condamnation platonicienne des simulacres. En revanche le « procédé général de l’esprit humain » sépare l’idée de fiction de celle d’« agencement d’actions » ou d’histoire. La fiction devient une procédure d’agencement des signes et des images, commune au récit et à la fiction, au film dit documentaire et au film racontant une histoire. Mais alors cet agencement des signes n’est plus « hors-vérité ». Quand la fiction devient une « procédure générale de l’esprit humain », elle est à nouveau sous la législation de la vérité. C’est ce que dit en substance Flaubert : si une phrase sonne mal, c’est que l’idée est fausse.[2] 

La fiction comme « agencement d’actions » renvoie clairement à un corpus romanesque extensible par l’idée d’histoire ou de fable aux expressions cinématographique, voire théâtrale. L’essai de Jean-Marie Schaeffer Pourquoi la fiction ?[3], opère cette extension générique qui ne recouvre pas tout le champ littéraire, pour autant.

La fiction comme « procédure d’agencement des signes et des images » ouvre en effet vers une signification plus large qui pourrait  s’appliquer à d’autres corpus, notamment poétiques, plus ou moins rebelles à toute description en termes de fable ou d’histoire. La parenté étymologique entre  fiction et figure dans les langues romanes[4] oriente vers cette acception générale susceptible d’englober tous les discours. La « procédure générale de l’esprit humain » dont parle Rancière est empruntée à Mallarmé glosant lui-même Descartes dans ses Notes sur le langage :

Enfin la fiction lui semble être le procédé même de l’esprit humain – c’est elle qui met en jeu toute la méthode, et l’homme est réduit à sa volonté.

Page du discours sur la Méthode.[5]

Au siècle suivant, Barthes reconduit l’idée : « Dès qu’une pratique est prise en charge par un discours, il se produit une Fiction[6] ». Cette acception large, même si les œuvres peuvent fréquemment jouer des deux modalités, ne correspond pas à l’analyse différentielle donnée par John Searle dans « Le statut logique du discours de fiction[7] », qui distingue l’assertion feinte de l’assertion authentique, puis, au sein de l’assertion feinte, la tromperie et le jeu. Seule la feintise ludique, liée à « un ensemble distinct de conventions » partagées par l’émetteur et le récepteur du message mérite dans cette perspective le nom de fiction. Cette conception très largement répandue coïncide avec celle du récit de fiction comme fabrication d’un monde alternatif jouant en contrepoint du monde commun de la vie sociale. Elle culmine dans le décrochage introduit au sein du discours par le « Il était une fois » des contes.

Gérard Genette, d’une autre façon, pose aussi une différenciation dans son essai Fiction et Diction[8] qui distingue un régime constitutif de la littérature, assimilable à la fiction (superposable en grande partie au corpus romanesque) et un régime conditionnel, non fictif, nommé diction, celui des autres discours, dans lesquels la littérarité dépend de la manière dont le lecteur s’approprie les textes.

Il ne s’agit pas ici de rouvrir le débat sur le caractère essentiel ou non des genres littéraires, mais d’examiner le lien entre des pratiques d’écriture-lecture et une certaine idée de la fiction, trompeusement uniformisée, peut-être, sous un vocable commun.

Dès lors, deux types de contributions paraissent spécialement pertinentes. Les unes pourraient s’attacher à des cas exemplaires et notamment aux écritures d’auteurs butant ou presque sur la fiction romanesque, en lien avec l’idée qu’ils s’en font. Les exemples fameux ne manquent pas pour le seul domaine français du vingtième siècle : Breton, Gilbert-Lecomte, Char, Michaux, Ponge… Chez les nombreux auteurs ayant publié séparément des recueils poétiques et des romans, cette pratique double, voulue ou acceptée,  correspond-elle à une variation du régime de vérité littéraire ?

D’autres contributions pourraient concerner la distinction d’ordre philosophico-esthétique posée dans la citation soumise à discussion. Tous les discours relèvent-ils finalement de la fiction au même degré ? Nous avons à apprendre ici des philosophes, des linguistes, des spécialistes d’autres langues et d’autres cultures. Sur le versant de la théorie de la littérature et de la lecture, il reste à se demander si le modèle dialectique de la lecture comme jeu, avec ses trois instances, est transposable à certains corpus poétiques, à la faveur éventuelle d’inflexions, à préciser.

Christine Chollier – Anne-Elisabeth Halpern – Alain Trouvé

*

Les propositions de contribution sont à envoyer de préférence avant la mi-juillet à : alain.trouve@wanadoo.fr

 

[1] Michel Picard, La Lecture comme jeu, Paris, Minuit, 1986 ; Vincent Jouve, L’Effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, 1992.

[2] Jacques Rancière, Et tant pis pour les gens fatigués, Paris, Editions Amsterdam, 2009, p. 156.

[3]  Jean-Marie Schaeffer Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil, 1999.

[4] Un même étymon, fingere, a donné par dérivation les mots fiction et figure. Voir à ce sujet, Alain Rey (dir.), Le Robert Dictionnaire historique de la langue française, 2 volumes, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1994, I, p. 795.

[5] Mallarmé, Notes sur le langage, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1998, éd. B. Marchal, I, p. 504.

[6] Roland Barthes, Textes, 1973, Œuvres Complètes, Paris, Le Seuil, 2002, IV, p. 334.

[7] John Searle, « Le statut logique du discours de fiction », Sens et expression, 1975, Paris,  Minuit, 1982.

[8] Gérard Genette, Fiction et Diction, Paris, Le Seuil, 1991.