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Réécrire l'histoire / Rewriting history

Réécrire l'histoire / Rewriting history

Publié le par Marc Escola (Source : Corinne Alexandre-Garner)

Réécrire l'histoire / Rewriting history

Campus Condorcet, Paris

les 29 et 30 mai 2020

"La possibilité de mensonge complet et définitif, qui était inconnue aux époques antérieures, est le danger qui naît de la manipulation moderne des faits. Même dans le monde libre, où le gouvernement n'a pas monopolisé le pouvoir de décider ou de dire ce qui est ou n'est pas factuellement, de gigantesques organisations d'intérêts ont généralisé une sorte de mentalité de la raison d'État qui était auparavant limitée au traitement des affaires étrangères et, dans ses pires excès, aux situation de danger clair et actuel. Et la propagande à l'échelon gouvernemental a appris plus d'un tour des usages du business et des méthodes de Madison Avenue. Des images fabriquée pour la consommation domestique, à le différence de mensonges qui s'adressent à un adversaire étranger, peuvent devenir une réalité pour chacun et avant tout pour les fabricateur d'images eux-mêmes qui, tandis qu'ils sont encore en train de préparer leur 'produits' sont écrasés par la seule pensée du nombre de leurs victimes possibles. ".

                                                                         Hannah Arendt, "Vérité et politique", 1967, in La Crise de la culture,

                                                                                              tr. fr. Claude Dupont et Alain Huraut, Folio, p. 324-325.

 

George Orwell, dans 1984, met en scène un personnage, Winston Smith, qui falsifie le contenu des journaux du passé au fur et à mesure des besoins de Big Brother. Winston réécrit, transforme, biffe les noms,  les efface ou renomme les choses à la demande ;  il change aussi les dates, manipulant l’Histoire à la demande de l’Etat qui peut ainsi affirmer que certains événements ou certaines personnes n’ont simplement jamais existé. « IT NEVER HAPPENED ». Ainsi le mensonge devient réalité et vérité de l’histoire. ‘Who controls the past controls the future: who controls the present controls the past.’

On peut envisager la réécriture de l'Histoire de deux façons. Soit on la  déforme pour qu'elle se plie aux croyances, aux programmes politiques et aux sensibilités qu’on souhaite forger, soit au contraire on élargit la perspective de la perception du passé pour lui ajouter de la profondeur, pour en explorer des aspects ou des points de vue restés jusqu’alors dans l'ombre.

Le plus souvent, réécrire l’Histoire c’est l’appauvrir et la réduire à un récit idéologique simplifié. C’est une histoire unidimensionnelle que tentent d’écrire  les dictatures ou les démocraties illibérales lorsqu’elles  falsifient les documents iconographiques, déboulonnent les statues, renomment les rues, empêchent l’ouverture d’un musée (Gdansk 2017), promulguent de nouvelles lois sur comment enseigner l’histoire, souhaitent amender l’histoire (Amit Shah) ou transforment la constitution pour déchoir certains groupes de leur nationalité (Assam 2019) alors que simultanément les manuels scolaires sont réécrits pour correspondre au nouveau mythe politique engendré.

Le 21 janvier 2020, dans Le Temps, Catherine Frammery expose comment les Archives nationales américaines ont dévoyé leur rôle de gardiens de la mémoire américaine en modifiant les photos de la Marche des femmes du 21 janvier 2017, au lendemain de l’intronisation du 45 eme président,  effaçant tous les slogans hostiles des pancartes brandies par les manifestantes.[1] Si les Archives nationales se sont excusées depuis, ce genre de manipulation des archives iconographiques rappelle les sombres manipulations du stalinisme lorsque disparaissaient des photos officielles retouchées tous les leaders devenus au fur et à mesure « des ennemis du peuple » aux yeux du dictateur soviétique.

Les intimidations politiques, les falsifications, les inexactitudes s’accumulent dans le but avoué de construire une histoire commune et consensuelle (voir les débats des parlementaires européens sur les causes de la deuxième Guerre Mondiale, ceux des parlementaires français autour des lois mémorielles ou encore ceux du gouvernement polonais sur la fonction des historiens).  Rédigé, non par des historiens dans le respect de l’historiographie mais par des hommes politiques révisionnistes qui souhaitent glorifier des aspects spécifiques du passé, ce nouveau récit n’est qu’une falsification de l’Histoire.

Dans le roman In Times of Siege, publié en 2004, Githa Hariharan anticipait ce développement. Pour les penseurs et théoriciens postcoloniaux, la réécriture de l'histoire (Guha, Chatterjee, Pandey) vise essentiellement la décentralisation des perspectives et relève d'une tentative de reprise du pouvoir et de l'autonomie des sujets postcoloniaux qui souhaitent reterritorialiser l'espace dont ils ont été dépossédés. Ainsi furent explorés les problématiques des subalternes, i.e., paysans pauvres, femmes et Dalits. D'autres chercheurs se sont penchés sur une autre dimension – la transmutation de la mémoire en histoire ou du devoir de mémoire, autour notamment du traumatisme de la partition (Butalia, Hasan, Jalal).

Les écrivains, quant à eux, ont mêlé mythe, biographie, histoire, histoire de l'art, récit métanarratif de l'écriture de leurs récits romanesques avec l'intrigue de leurs romans (Rushdie, Tharoor, Sealy, …).

Le cinéma indien qui privilégiait les genres distincts du mythe, épopée et fresque historique est en train de revoir sa façon de narrer l'histoire ancienne ou contemporaine à l'aide de stratégies hybrides (Bhansali, Das, Kashyap, Ratnam, Gowariker, Mehta, Sivan).

Plus récemment, à la lumière de l'élaboration du concept de l'anthropocène et de l'observation du changement climatique, des chercheurs comme Dipesh Chakrabarty et Amitav Ghosh appellent à la conception d'histoires multiples à travers lesquelles l'humanité et la nature seront interconnectées. En d'autres termes, ils nous invitent à réécrire l'histoire à partir du temps long de l'évolution de l'espèce humaine et en interprétant l'économie du carbone comme base du capitalisme.

Parallèlement à cette nouvelle perspective, il existe dans le sous-continent une tendance à "arranger" l'histoire pour répondre aux besoins du présent orienté vers le nationalisme hindou. Ainsi les manuels d'histoire sont réécrits en minimisant le poids de la culture moghole dans l'histoire indienne. Certaines figures iconiques de l'histoire indienne comme Gandhi ou Nehru sont minorisées pour mettre en exergue des personnages comme Shivaji ou Vallab Bhai Patel.

L'approche des humanités numériques a généré un foisonnement de recherches sur les langues qui permettent de revoir leur histoire. L'ancienneté prouvée ou présupposée de telle ou telle langue fait surgir ou ressurgir de nouvelles luttes politiques.

Quant à la récente restitution d’objets appropriés par les pays occidentaux à l'Inde, au Pakistan ou au Sri Lanka, elle peut aussi entraîner une réécriture positive de l'histoire.

On pourrait envisager que les communications portant sur ces différents axes convergent vers un objectif commun, «  le sens de la vérité » (Gandhi).

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Organisatrices:

Geetha Ganapathy-Doré (Université Sorbonne Paris Nord) et Corinne Alexandre-Garner (Université Paris Nanterre)

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Contacts: geethagd@hotmail.com et corinne.alexandre.garner@gmail.com

 

 

[1] https://www.letemps.ch/monde/archives-nationales-americaines-veulent-reecrire-lhistoire, consulté le 15 février 2020.