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"Reconnecter un monde dévasté ? Représentation des enjeux environnementaux dans les jeux vidéo" (Univ. de Rouen-Normandie)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Sandra Provini)

Appel à communications – dans le cadre du cycle de travaux “Le numérique à son miroir”

« Reconnecter un monde dévasté[1] » ?

Représentation des enjeux environnementaux dans les jeux vidéo

8 avril 2022

Université de Rouen Normandie

Campus de Mont-Saint-Aignan

Comité d’organisation : Sandra Provini, Mélanie Lucciano, Tony Gheeraert

Comité scientifique :  Sandra Provini (URN), Mélanie Lucciano (URN), Tony Gheeraert (URN), Gaëlle Théval (URN), Anne-Laure Tissut (URN), Sandra Gondouin (URN), Marcello Vitali-Rosati, Georges Da Costa (Laboratoire IRIT UMR 5505, Université Paul Sabatier, Toulouse 3)

 

Il est des métaphores trompeuses : dans les années 1990-2000, les notions de “dématérialisation”, puis de “cloud computing”, avaient entraîné la fallacieuse croyance que l’informatique était légère comme un nuage. Mieux : beaucoup de spécialistes envisageaient à l’époque la dématérialisation comme une piste sérieuse pour préserver l’environnement, qui constituait alors un enjeu émergent. Ainsi, en 1997, Steven Hunt estimait que “les stratégies de dématérialisation tendent à réduire l'impact environnemental par unité d'activité économique”[2]. Trois ans plus tard, Julia Haake, dans sa thèse de doctorat, espérait que le “concept de dématérialisation” pourrait servir une meilleure “gestion environnementale”[3]. La chercheuse donnait pour exemple la miniaturisation des téléphones portables, “de plus en plus petits et donc moins consommateurs de matière”, ou le CD-ROM, “permettant de remplacer des tonnes de kilogrammes de papier”[4].

Vingt ans plus tard, il a fallu déchanter. Le rêve d’un “capitalisme vert” fondé sur les effets bénéfiques de la dématérialisation a fait long feu. L’on ne se méprend plus sur les dangers des disques optiques, riches en polycarbonates écotoxiques et cancérigènes. Et surtout, nous avons pris conscience de l’empreinte carbone désastreuse du numérique en réseau : en fait “d’infonuagique”[5], le fonctionnement d’Internet repose sur des infrastructures matérielles très lourdes (serveurs, câbles sous-marins, etc.). Aujourd’hui, des associations comme The Shift Project alertent sur les effets nuisibles des pratiques numériques comme le streaming, et invitent à la “sobriété numérique”, dans un contexte où “le numérique émet aujourd’hui 4 % des gaz à effet de serre du monde, et sa consommation énergétique s’accroît de 9 % par an”[6]. L’industrie du jeu vidéo, qui constitue l’un des domaines les plus dynamiques au sein de l’économie numérique, n’échappe pas à cette règle générale:  selon le Lawrence Berkeley National Laboratory[7], ce secteur consomme 34 térawatt-heures par an en énergie électrique, ce qui représente une dépense de 5 milliards de dollars annuels pour les seuls Etats-Unis[8]. La sortie récente de la PlayStation 5, fin 2020, a réactivé des interrogations concernant l'obsolescence programmée des consoles, la difficulté à recycler les composants périmés, et même tout simplement l’utilité de cette course aux performances, pas forcément nécessaire pour la “réalisation d’une vision créative”, comme l’explique le développeur éco-responsable Hugo Bille[9].

Le jeu vidéo est-il pour autant toujours indifférent aux questions environnementales ? La réponse est complexe. D’une part, la plupart des titres électroniques, comme d’ailleurs la plupart des jeux de plateau en carton, valorisent des comportements expansionnistes et impérialistes reposant sur l’exploitation indéfinie des ressources ; comme le note Alenda Chang, les arbres de compétences technologiques, si répandus dans les jeux vidéo, traduisent un fantasme de progrès illimité qui ne s’accorde guère avec des soucis écologiques de développement durable, encore moins de décroissance. D’autre part, toutefois, une attention plus fine révèle bien des exceptions : en réalité, “la question environnementale a toujours été présente dans les jeux vidéo" affirme même Esteban Giner[10]. Un rapide retour historique confirme ces propos du chercheur : dès 1991, un an avant le sommet de Rio, Sid Meier incorporait ainsi au premier opus de son jeu Civilization une mécanique de réchauffement global provoqué par l’excès de pollution. Le créateur de la série s’appuyait alors sur les conclusions avancées dès 1979 à Genève par Jesse H. Ausubel. Ce mécanisme ludique disparaît des versions suivantes, avant d’être réintroduit massivement à l’occasion du DLC de Civilization VI “Gathering Storm” (2019) : cette extension suscita d’ailleurs des réactions parfois controversées parmi les joueurs, qui s’inquiétèrent de voir le jeu vidéo devenir le théâtre de prises de positions idéologiques[11]. La série Final Fantasy manifesta elle aussi un intérêt précoce pour les questionnements environnementaux : dès 1997, dans Final Fantasy VII, le joueur incarnait un éco-terroriste luttant contre une corporation exploitant les ressources de la planète ; la thématique alors avant-gardiste trouve un tel écho deux décennies plus tard que l’éditeur, Square Enix, décide de proposer un remake du titre en 2020. Depuis la fin des années 2000, les titres soucieux d’environnement sont nombreux, en particulier chez les développeurs indépendants : le remarqué Flower, en 2009, qui permet au joueur de donner corps aux rêves d’une plante en pot, traduit dans l’univers du jeu une vision anthropologique influencée par les travaux de Philippe Descola. Tout récemment, l’exploration des fonds sous-marins dans Beyond blue (2020), les baleines échouées de Death Stranding (2019), ou l’extension Eco LifeStyle des Sims (2020) attestent de cette préoccupation grandissante. L’écologie peut même devenir l’occasion d’événements communautaires de grande ampleur, ainsi “la journée de la Terre”, au cours de laquelle les joueurs de Pokémon Go sont invités annuellement à collecter les déchets abandonnés dans la nature et sur la voie publique.

Dans le prolongement des précédentes journées du cycle “Le numérique à son miroir: regard sur les créations digitales contemporaines”, nous voudrions interroger la possible contradiction que représente cette place croissante de l’enjeu écologique dans les créations numériques et vidéoludiques, au moment même où elles sont de plus en plus dénoncées comme énergivores et, de fait, destructrices de l’environnement. Les créations numériques peuvent-elles sincèrement se donner pour ambition, comme le promet Death Stranding, de “reconnecter un monde dévasté”?

Les communications pourront par exemple, et sans exclusive, s’intéresser aux questions suivantes :

●      La modélisation de l’environnement

Comme l’explique Ian Bogost, la vertu des jeux de simulation et de gestion est de nous permettre de dépasser notre point de vue individuel pour prendre en compte les enjeux systémiques[12]. Dans quelle mesure ce type de création, de nature analytique et réflexive, sensibilise-t-il de façon réaliste le public aux questions écologiques (population, catastrophe, politiques à mettre en place, etc.) ? Alenda Y. Chang estime de son côté que les jeux sont des mesocosms, écosystèmes miniature élaborés d’après le monde réel et introduisant “une frontière ténue entre l'ordre délimité et la réalité inclusive”[13] ; en prolongeant ces analyses, les communications pourront par exemple s’intéresser à la modélisation de la morphogénèse dans les jeux vidéo, en particulier dans le contexte d’une génération procédurale[14].

●      L’histoire environnementale

Certains jeux historiques posent la question de l’environnement selon un prisme diachronique : Red Dead Redemption II, qui donne du Far West une vision très anti-romantique, encourage le joueur à détruire l’environnement et à abuser des animaux, massacrant bisons et tortues. Le titre de Rockstar favorise-t-il la transgression de principes d’éthique généralement acceptés aujourd’hui, ou invite-t-il à susciter une réaction d’horreur et une prise de conscience des désastres écologiques dont l’homme s’est rendu responsable par le passé ? Une telle interrogation pourrait aussi être étendue à d’autres titres, en particulier dans les jeux open-world, selon les perspectives ouvertes par Sofie Schrey.[15] Une mécanique de drones empêchant  l’exploitation des ressources vient ainsi limiter les ambitions dévastatrices des explorateurs dans l’open world de science-fiction No Man’s Sky (2016).

●      Dystopie ou utopie environnementale ?

Si certains jeux d’anticipation comme le récent Cyberpunk 2077 (2020) donnent une image inquiétante de l’avenir qui nous attend (désertification, mort de la plupart des espèces végétales et animales[16]), d’autres nous invitent à nous émerveiller devant les beautés menacées du monde (Beyond blue[17]), ou à construire un futur harmonieux (Sims 4, Eco Lifestyle, 2020). Les exposés pourront aussi faire une place aux méthodologies proposées pour rendre le monde numérique de demain plus propre. Ils pourront étudier par exemple l’initiative Green Gaming du laboratoire de Berkeley qui, tout en dressant des analyses assez sombres de la situation actuelle, offre des pistes aux acteurs de ce secteur économique[18] ; ou les mesures proposées par l’ADEME, agence gouvernementale française pour la transition écologique, qui publie et actualise depuis 2013 un guide de bonnes pratiques intitulé La Face cachée du numérique : réduire les impacts du numérique sur l’environnement[19].

 

Propositions de communication

Les propositions de communication (limitées à 300 mots et accompagnées d’un bref C.V.), seront à envoyer avant le 15 décembre 2021 à numerique-miroir@googlegroups.com

 

Bibliographie sommaire

McGonigal, J.,  Reality is Broken: Why Games Make Us Better and How They Can Change the World,  London, Vintage, 2012.

Chang, Alenda Y., Playing Nature. Ecology in Video Games, 2019.

Chang, Alenda Y. et Parham, John,  “Green Computer and Video Games: An Introduction”, Ecozon, 2017, vol 8, n° 2.

La Face cachée du numérique : réduire les impacts du numérique sur l’environnement, ADEME, 2021.

Grine, Esteban, “Décroissance et jeu vidéo, http://www.chroniquesvideoludiques.com/

Mills, Evan et alii,  “Toward Greener Gaming: Estimating National Energy Use and Energy Efficiency Potential”, The Computer Games Journal, 8 (2), déc. 2019.

Mills, Evan et alii, Green Gaming: Energy Efficiency without Performance Compromise, Lawrence Berkeley National Laboratory, sept. 2018.

Roper, Pierre, “Crise climatique : le jeu vidéo devient-il plus vert  ?”, Savoirs, France Culture, 2020.

 

[1] “Reconnecting a devastated world”, bande-annonce de lancement de Death Stranding, Kojima Productions et Sony Interactive Entertainment, 2019-2020.

[2] Steven Hunt, “Des réformes fiscales pour protéger l’environnement au Mexique”, Le Crdi Explore, publication du Centre de recherches pour le développement international (Ottawa, Canada), janvier-décembre 1997.

[3] Julia Haake, Les stratégies des entreprises pour une utilisation des matières plus respectueuse de l'environnement : une application du concept de dématérialisation à la gestion environnementale, thèse soutenue en 2000 à l’université de Saint-Quentin-En-Yvelines : https://www.theses.fr/2000VERSA010,

[4] Julia Haake, “Dématérialisation - Mesure par bilans matières et MIPS”, Techniques de l’ingénieur, juillet 2000.

[5] Traduction conseillée de “cloud computing” au Canada.

[6] https://theshiftproject.org/article/climat-insoutenable-usage-video/

[7] https://link.springer.com/article/10.1007/s12053-014-9308-0

[8] Mills, Evans, “Toward Greener Gaming: Estimating National Energy Use and Energy Efficiency Potential”, The Computer Games Journal, décembre 2019, https://www.researchgate.net/publication/336909520_Toward_Greener_Gaming_Estimating_National_Energy_Use_and_Energy_Efficiency_Potential

[9] https://hugobille.com/climate.html

[10] Cité par Pierre Ropert, “Le jeu vidéo devient-il plus vert ?”, 6 février 2020, https://www.franceculture.fr/environnement/crise-climatique-le-jeu-video-devient-il-plus-vert#:~:text=%22Les%20pr%C3%A9occupations%20environnementales%20sont%20pr%C3%A9sentes,pas%20ces%20jeux%20d''

[11] “Le jeu vidéo n’a pas à servir de support pour une idéologie socialisante en vue de culpabiliser le public des gamers”, ecrit Dern dans “Le délire ‘écologique’ pollue jusqu’aux jeux vidéo“, Contrepoints, 28 mai 2019, .https://www.contrepoints.org/2019/05/28/345522-le-delire-ecologique-pollue-jusquaux-jeux-video

[12] Ian Bogost, “Video Games Are Better Without Characters”, The Atlantic, mars 2015, https://www.theatlantic.com/technology/archive/2015/03/video-games-are-better-without-characters/387556/

[13] Alenda Y. Chang, Playing Nature. Ecology in Video Games, 2019, p. 21.

[14] Voir par exemple Alenda Y.. Chang, “Between Plants and Polygons : SpeedTrees and an Even Speedier History of Digital Morphogenesis”, Electronic Book Review, 15 déc. 2019, https://electronicbookreview.com/essay/between-plants-and-polygons-speedtrees-and-an-even-speedier-history-of-digital-morphogenesis/

[15] Voir The Environmental Possibilities for Open-world Video Games: The Case of “Red Dead Redemption II” https://niche-canada.org/2021/04/27/the-environmental-possibilities-for-open-world-video-games-the-case-of-red-dead-redemption-ii/

[16]“ In Cyberpunk 2077 a lot of animals are extinct so if you can afford to have an animal print on your clothing you must be really rich. If your house has wooden panels you must be someone from the upper class”, explique le Senior Concept Artist Marthe  Jonkers (cité par Kazuma Hashimoto, “Cyberpunk 2077 Interview: Exploring the Environment with Senior Concept Artist Marthe Jonkers”, RPG Site, 29 août  2019, https://www.rpgsite.net/interview/8896-cyberpunk-2077-interview-exploring-the-environment-with-senior-concept-artist-marthe-jonkers

[17] Esteban Grine identifie 30 jeux contenant des baleines : http://www.chroniquesvideoludiques.com/

[18] http://greengaming.lbl.gov/

[19] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/guide-pratique-face-cachee-numerique.pdf