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Penser/classer l'album classique (Arras)

Penser/classer l'album classique (Arras)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Eléonore Hamaide-Jager)

Penser/classer l’album classique

Colloque international à l’Université d’Artois (Arras)

8 et 9 octobre 2020

organisé par Florence Gaiotti et Eléonore Hamaide-Jager

(Laboratoire Textes et Cultures EA 4028

équipe Littératures et Cultures de l’enfance - Université d’Artois)

 

En 2017, les archives et une partie des albums du Père Castor ont été classées au patrimoine de l’UNESCO, « Mémoires du monde » (patrimoine documentaire)[1]. En avril 2019, la vente aux enchères de 27 dessins originaux de Marcel Marlier, père de Martine s’est élevé à près de 560 000 euros. En février 2019, la disparition de Tomi Ungerer auquel un musée était entièrement consacré à Strasbourg dès 2007, a fait l’objet d’articles dans la plupart des journaux français et de nombreux titres étrangers[2]. Plusieurs écoles portent d’ailleurs le nom de Tomi Ungerer ; on compte aussi deux écoles Philippe Corentin, une école Jacqueline Duhême, une école Claude Boujon, une école Carl Norac ; à l’école alsacienne, où Jean de Brunhoff a été élève, il existe une cour Babar, de même qu’à Chessy, ville de naissance du créateur, la statue de Cornélius trône en face de l’école affichant à son fronton le nom du rhinocéros.

Nous pourrions encore compléter cette liste qui rend compte de gestes de légitimation, de reconnaissance ou de patrimonialisation à l’égard de créateurs d’albums pour enfants, ou de leurs œuvres elles-mêmes. Ces différentes formes de reconnaissances institutionnelles, culturelles, médiatiques, économiques font-elles de ces œuvres en album et de leur créateur des classiques de la littérature pour la jeunesse ? Ou bien viennent-elles confirmer des albums et des créateurs qui se sont imposés, par d’autres voies, comme des classiques ?

Car la réflexion que nous souhaiterions déployer lors de ce colloque porte bien sur ce qu’est un classique dans le cas particulier des albums pour enfants et sur les processus et les manifestations de leur classicisation. En effet, cette forme quoique récente, a cependant une histoire propre, à la croisée de l’histoire de l’écriture littéraire, de l’histoire des images et de l’histoire du livre, comme le rappelle Isabelle Nières [3] ou encore de l’histoire de la lecture et des représentations de l’enfance. Dès lors on peut se demander si les processus de classicisation mis en évidence notamment par Alain Viala[4], ou encore les multiples définitions du « classique » en littérature restent pertinents dès lors qu’il s’agit des albums dont les modalités et les espaces de réception ont aussi leurs spécificités.

Il est ainsi souvent question du double lectorat de l’album, où l’adulte se ferait lecteur tandis que l’enfant, bercé par la voix parentale, se concentrerait sur l’image. Ce dispositif particulier de lecture influe-t-il sur les traits caractéristiques des classiques de l’enfance ? Les attentes des enfants ne correspondent pas nécessairement aux valeurs que les parents entendent (re)trouver dans les lectures de leur progéniture, valeurs qui elles-mêmes évoluent selon les périodes, mais oscillant toujours entre éducation et divertissement. Les albums que les enfants plébiscitent ont-ils une chance de devenir des classiques ou bien la reconnaissance ne peut-elle venir que des choix des adultes ? Autrement dit, la faculté à toucher plusieurs publics d’âge comme d’intérêts distincts devient-elle un critère indispensable à la canonisation de certains albums ?

Finalement, qu’est-ce donc qu’un album classique ? La question posée de manière individuelle apporterait une multitude de réponses qui peuvent se recouper, renvoyer à des histoires essentiellement intimes ou au contraire à une expérience culturelle commune. Y a-t-il toutefois des modèles qui, selon les époques, s’imposent dans différents espaces institutionnels - l’école, les lieux de formation, le champ de la recherche -, dans des cadres associatifs ou encore dans les espaces de production comme les maisons d’édition qui peuvent parfois déterminer leurs propres classiques ? Un classique peut-il appartenir à la littérature populaire, à la littérature de masse ou émerge-t-il nécessairement d’une littérature légitimée ?

Il serait intéressant, entre autres, de considérer les lieux où cette classicisation de l’album s’opère ainsi que les discours qui identifient ou déterminent des classiques.

L’école est un des lieux privilégiés d’institutionnalisation des classiques. Y a-t-il, à l’instar de la littérature générale, des albums singuliers ou des auteurs-illustrateurs qui sont particulièrement étudiés dans les classes, pour quelles raisons ou quelles valeurs ? Dans quelle mesure les instructions officielles, les listes[5], les sélections d’ouvrages peuvent-elles constituer des indicateurs de certains processus de classicisation ou de patrimonialisation[6] ?

On pourrait également observer d’autres espaces institutionnels, universitaires ou associatifs (écoles d’art, ESPE, SLPJ, BNF-CNLJ etc.) qui proposent des formations à destination des futurs créateurs, professeurs, à des médiateurs ou des prescripteurs. Autant de lieux où peuvent se déployer des discours et des pratiques qui contribuent à des formes de classicisation. La recherche universitaire est-elle également une instance de classicisation des albums, par le choix des corpus ou des auteurs/illustrateurs étudiés[7] ?

La critique participe à une réception littéraire de l’album en déployant des discours sur ce dernier. D’abord confidentielle, écrite par des professionnels de l’enfance (bibliothécaires, enseignants) ou des militants (associations et courants éducatifs), parfois concentrée sur la période de Noël, cette critique s’est aujourd’hui tout à la fois professionnalisée et élargie. Elle fait depuis longtemps une large place à l’album. Dans quelle mesure a-t-elle pu contribuer et contribue-t-elle encore à la diffusion et à la pérennisation de certains titres ? D’autres formes de critiques, via les blogs, les chaînes vidéo ou d’autres espaces collaboratifs ont vu le jour depuis une dizaine d’années sans qu’on ait encore évalué si ces types de critique contribuent à faire émerger des classiques ou à ériger des albums en classiques de l’enfance.

D’autres instances encore sont susceptibles de produire des classiques, en particulier les maisons d’éditions elles-mêmes qui déterminent, selon des motivations diverses, souvent économiques, leurs propres collections de classiques, ou qui, pour d’autres, contribuent à la redécouverte d’albums, parfois oubliés mais érigés en classiques. Par ailleurs, les salons consacrés à la littérature de jeunesse, dont le nombre est exponentiel, accordent une place conséquente à l’album et à ses créateurs : si ces manifestations sont souvent axées sur l’actualité immédiate de l’album, on peut se demander dans quelle mesure elles peuvent participer à des formes de classicisation, en rendant visibles des œuvres et des auteurs/illustrateurs, qui, très vite, peuvent être considérés comme des classiques contemporains.

De fait, la dimension temporelle qui est essentielle dans les processus de classicisation, comme le rappelle Alain Viala, peut, dans le cas de l’album, être interrogée de manière spécifique. En effet, le jeune public auquel les albums s’adressent peut être influencé par les images, les graphismes, les couleurs de son temps et pourrait délaisser ce qui, à un moment de l’histoire de l’album, a été considéré par un autre jeune public comme un classique. Y a-t-il alors seulement des classiques générationnels ou bien certains titres parviennent-ils à traverser l’épreuve du temps ? L’observation est complexe et le rôle relativement récent des productions multimédiatiques, des séries, des adaptations d’albums sous forme de courts ou longs-métrages, de pièces de théâtre, ou encore des produits dérivés à partir de l’album est à prendre en compte dans le processus de classicisation et dans ce qu’un enfant considère ou considèrera plus tard comme un classique.

La réflexion autour des albums classiques – et patrimoniaux - est également au cœur des pratiques des bibliothèques dès lors que se pose la question de la conservation ou du désherbage, selon aussi le statut des bibliothèques ou médiathèques : quels sont les albums qui sont à conserver, sur quels critères, pour quel public et au nom de quelles valeurs ?

Enfin, la circulation des albums reconnus comme classiques à l’intérieur d’un pays ou d’une culture pourrait également constituer un axe de la réflexion. Quels sont ces albums qui voyagent entre les diverses sphères géographiques et sont érigés en classiques en dehors du seul cadre national[8] ? La reconnaissance du talent d’auteurs-illustrateurs multilingues comme Ungerer, de créateurs comme Sendak, Burningham, Oxenbury, Munari, Erlbruch ou Lobel dépasse les frontières de leurs pays. Par quels biais leurs œuvres se sont-elles constituées en classiques ici et ailleurs ? Pourquoi certains auteurs-illustrateurs sont des maillons d’une littérature-monde telle que la décrit Jean Perrot[9] depuis les années 1990 ?

Ce sont autant de points qui pourront être abordés lors de ce colloque qui vise à croiser des perspectives tout autant littéraires que culturelles, éducatives, économiques ou sociales. 

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Les propositions de communication, accompagnées d’une brève bio-bibliographie sont à envoyer avant le 30 janvier 2020 aux adresses suivantes :

Eléonore Hamaide-Jager ehamaide@hotmail.fr

Florence Gaiotti fgaiotti@yahoo.com

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Bibliographie indicative :

Emmanuel Bouju, Alexandre Gefen, Guiomar Hautcoeur et Marielle Macé, Littérature et exemplarité, PUR, 2007.

Cécile Boulaire, Les petits livres d’or. Des albums pour enfants dans la France de la Guerre froide, PU François Rabelais, coll. « Iconotextes », 2016.

Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques ?, Seuil, 1993 (1981)

Lydie Laroque, Caroline Raullet, Le Français aujourd’hui, n° 297, Littérature et valeurs 2017.

Isabelle Nières-Chevrel, Introduction à la littérature de jeunesse, Didier Jeunesse, 2009.

Isabelle Nières-Chevrel, Jean Perrot (dir), Dictionnaire du livre de jeunesse, Cercle de la librairie, 2013.

Isabelle de Peretti, Béatrice Ferrier (dir.), Enseigner les classiques aujourd’hui. Approches critiques et didactiques, Peter Lang, coll. « ThéoCrit’ », 2012

Alain Viala, « Qu’est-ce qu’un classique ? » Bulletin des Bibliothèques de France, 1992, n° 1, http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1992-01-0006-001

 

 

[1] Voir le site de l’Unesco, entrée Mémoire du monde, « Archives du Père Castor », 2017, http://www.unesco.org/new/fr/communication-and-information/memory-of-the-world/register/full-list-of-registered-heritage/registered-heritage-page-1/archives-of-pere-castor/: « Ces livres de jeunesse auxquels créateurs russes, allemand, polonais, tchèques, hollandais, suédois, belges et français ont collaboré, sont aujourd’hui considérés comme des classiques de la littérature enfantine, traduits dans une vingtaine de langues. Ces ouvrages ainsi que les jeux éducatifs conçus par l’Atelier du Père Castor, ont rendu efficients et accessibles au plus grand nombre, les acquis théoriques des pédagogues du mouvement de l’Education Nouvelle. » (Nous soulignons).

[2] Entre autres, les journaux anglais et américains (The Guardian, Washington Post) mais aussi allemands (Frankfurter Allgemeine Zeitung, Der Spiegel), le journal espagnol El Pais, de nombreux journaux irlandais, pays où l’illustrateur vivait.

[3] Isabelle Nières-Chevrel, Introduction à la littérature de jeunesse, Didier, coll. « Passeurs d’histoires », 2009, p. 216-217.

[4] Alain Viala, « Qu’est-ce qu’un classique ? » Bulletin des Bibliothèques de France, 1992, n° 1.

[5] Voir Brigitte Louichon et Annie Rouxel, Du corpus scolaire à la bibliothèque intérieure, Presses Universitaires de Rennes, 2010.

[6] Autre terme qui est apparu dans les programmes et les listes officielles et que commente Brigitte Louichon dans son article « Définir la littérature patrimoniale », Isabelle de Peretti et Béatrice Ferrier (dir.), Enseigner les classiques aujourd’hui, Peter Lang, coll. « ThéoCrit’ », 2012, p. 37-49.

[7] Les dictionnaires sur la littérature de jeunesse pourraient par exemple constituer un objet d’étude intéressant : celui de Nic Diament (1993), L’Abcdaire de Jean-Paul Gourévitch (2014), celui de Christine Boutevin et Patricia Richard-Principalli adressé aux enseignants (2017) et leurs prédécesseurs, du Guide de Soriano au Répertoire des auteurs et illustrateurs francophones pour la jeunesse publié par le CRILJ en 1991, les guides et panoramas des illustrateurs de Zoughebi (1982) ou Escarpit et Lapointe (1988) mais aussi leurs homologues étrangers (anglais, allemands ou tchèques, etc.).

[8] Violaine Houdart-Mérot fait du nombre de réécritures et de traductions un des trois critères pouvant être déployés pour identifier les œuvres de premier plan, avec les œuvres qui apparaissent comme des modèles d’écriture et qui participent au renouvellement ce que les allemands nomment Weltanschauung. (Violaine Houdart-Mérot, « Qu’est-ce qu’un classique ? Qu’est-ce qu’une œuvre patrimoniale ? », in Enseigner les classiques aujourd’hui.

[9] Il conclut Jeux et enjeux du livre d’enfance et de jeunesse sur « l’invention d’un lecteur européen et mondialiste », Editions du cercle de la librairie, coll. « Bibliothèques », 1999, p. 397.