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Péguy et les Dialogues de l'histoire (Paris Sorbonne)

Péguy et les Dialogues de l'histoire (Paris Sorbonne)

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : Alexandre de Vitry)

Péguy et les Dialogues de l’histoire

Journées d’étude dirigées par Jean-Louis Jeannelle et Alexandre de Vitry (Sorbonne Université-CELLF), Salle des Actes

10-11 février 2023 – Salle des Actes (Sorbonne Université)

 

Parus de manière posthume, sous plusieurs titres, auxquels ne correspondaient pas toujours exactement le même texte et sans que l’on ait parfaitement reconstitué les circonstances exactes dans lesquelles Péguy avait extrait de son manuscrit un long passage, dont il entendait tirer une suite à laquelle il n’eut pourtant pas le temps de travailler, les deux Dialogues de l’histoire sont à présent accessibles dans le troisième volume des Œuvres en prose complètes éditées par Robert Burac (Pléiade, 1992) sous les titres : Clio, Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne et [Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle][1], ainsi qu’en format de poche, pour le premier dialogue, sous le titre Clio (éd. Jean-Louis Jeannelle) dans la collection GF (Flammarion, 2023). Le chemin pour atteindre le public fut très long pour ce dytique (Péguy pensa néanmoins un temps à une trilogie) inabouti – comme tant d’autres projets chez cet écrivain fauché le 5 septembre 1914, à quarante et un ans –, mais attend désormais une prochaine édition de poche réunissant les deux Dialogues pour être enfin lu par un large public dans son intégralité, bien qu’inachevé, et ainsi être reconnu comme l’un des plus beaux textes de Péguy, l’un de ses plus denses tant l’argumentation, sinueuse, s’avère parfaitement maîtrisée, mais surtout l’un de ses plus personnels et les plus touchants.

 

C’est à lire en les croisant ces deux Dialogues que nous consacrerons ces journées d’étude. On a souvent insisté sur ce qui les distinguait, en s’autorisant de l’un des propos de l’écrivain rapportés par son ami Joseph Lotte en septembre 1912 : « Je donnerai dans les Cahiers mes dialogues de l’Histoire. […] Le premier volume s’appellera Clio. Le second s’appellera Véronique. C’est admirable, mon vieux, Clio passe son temps à chercher des empreintes, de vaines empreintes, et une Juive de rien du tout, une gosse, la petite Véronique, tire son mouchoir, et sur la face de Jésus prend une empreinte éternelle[2]. » Pourtant, nulle trace de Véronique dans le Dialogue charnel, comme l’appelait aussi Péguy. L’alternative entre Clio et Véronique, continuellement invoquée, appartient à l’épitexte privé et ne permet pas de connaître les choix que Péguy aurait faits, eût-il vécu ou du moins choisi de faire finalement paraître ces textes. Reste que la continuité formelle et topique des deux textes a été très peu explorée, pas plus que les modalités de leur articulation.

 

Voici quelques-unes des pistes que nous proposons d’explorer dans cette lecture croisée ou convergente des deux Dialogues de l’histoire :

  • ———>   Enjeux génétiques et éditoriaux : Marcel Péguy, Jean Onimus, François Desplanques, Robert Burac se sont attachés à reconstituer la genèse complexe des Dialogues : que nous apprennent ces tentatives de reconstitution peut-être moins des manuscrits eux-mêmes que des interprétations qui en ont été tirées, mais également des principes d’édition qui leur ont été appliqués (ou qu’il serait, à l’avenir, possible de leur appliquer) ? Quel statut donner à l’inachèvement des textes : derniers de la longue série d’essais abandonnés de Péguy (repris pour la plupart dans le deuxième volume de la Pléiade), ou textes encore en chantier, comme la Note conjointe de 1914 ? Quels sont les enjeux de cet éventuel abandon ou de ce refus de publier (au moment où Péguy publie pourtant, en nombre, la plupart de ses grands textes) ?
    ———>   Historiographies : Que le plus virulent ennemi des représentants de l’École méthodique fasse parler Clio elle-même relève bien entendu de la provocation. Or du simple fait de prendre la parole, voici que la « reine des temps modernes », véritable « mère des impostures » dans À nos amis, à nos abonnés en juin 1909, passe du statut d’allégorie des impostures contemporaines à celui d’instance personnifiée, à la fois risible et mordante (avec ses disciples en particulier), drôle et touchante, omnisciente et néanmoins impuissante.
    ———>   Un autre thème moins explicite vient unifier les deux dialogues, celui de l’incarnation: incarnation humaine vouée au vieillissement sous toutes ses formes dans le cas du Dialogue païen ; incarnation du Christ qui éclate à Gethsémani, au moment du sacrifice suprême. Les Dialogues forment une double méditation sur l’heure de la mort : celle pressentie de Péguy, sur laquelle se termine Clio, et celle du Vendredi saint, où « Dieu même a craint la mort ».
    ———>   Une double leçon de lecture (des classiques et de l’Évangile), puisque dans les deux cas, l’écrivain déploie son goût pour l’herméneutique en s’efforçant de résoudre ici « des problèmes d’histoire littéraire » et là un point d’exégèse biblique. Les Dialogues prolongent et couronnent une longue réflexion de Péguy amorcée dès 1900 autour de l’acte de lecture : « Reprenons, dit l’histoire, notre leçon de technique. Non pas celle que nous donnons, certes, mais celle que nous recevons de ce grand texte. Lisons seulement ce texte. » Mais qu’est-ce que « lire seulement un texte », si tant de regards et de déchiffrements accumulés n’ont fait qu’obscurcir l’accès aux classiques ou à l’Évangile ?
    ———>   Plus largement, se pose dans les Dialogues la question d’un Péguy théoricien de la littérature : Rhétorique, philologie, exégèse, histoire littéraire, et poétique (du moins réflexion sur les formes littéraires très peu de de temps avant qu’émergent les premières manifestations d’une pensée formaliste, avec le Cercle linguistique de Moscou et Saint-Pétersbourg durant la guerre, puis avec Percy Lubbock, E. M. Forster et T. S. Eliot en Angleterre, ou Paul Valéry et Albert Thibaudet en France) se mêlent étroitement dans les Dialogues, au point d’en faire l’un des tout premiers essais de théorie littéraire du xxe siècle.
    ———>   Les grands lecteurs de Clio: Clio apparaît aussi comme le texte de Péguy préféré de bien des philosophes – Walter Benjamin, Gilles Deleuze, Bruno Latour, Michel Serres… Comment expliquer cette faveur corporatiste ? Que dit-elle de l’intérêt moindre porté par les littéraires (exception faite des spécialistes de Péguy) ? Et plus encore, pour quelle raison les Dialogues sont-ils rarement lus conjointement ? Ne les lirait-on qu’afin d’y chercher ce que nous savions déjà y trouver, au détriment de leur féconde hétérogénéité ?
    ———>   Questions d’énonciation : Comment caractériser le dispositif énonciatif de chacun ces deux textes, ou du texte unique qu’ils forment ensemble ? Quel statut la voix de Clio y joue-t-il, sous la forme du monologue et occasionnellement d’un dialogue à deux voix ? Quel bénéfice à comparer ce dispositif à celui des textes de Péguy de la même époque, Mystères, essais et poésie ?
    ———>   « Vous, Péguy… » : Loin de n’être que le destinataire d’un long monologue, Péguy occupe au sein des Dialogues une place singulière, non sans lien avec l’impératif d’écrire ses « Confessions » qu’il se fixe à partir de 1909. Le détour par le dialogue n’a-t-il pour fonction que de voiler pudiquement la part autobiographique de ces textes ? Ou au contraire permet-il de dramatiser d’une manière particulièrement efficace les évocations les plus personnelles des deux textes, autour de « l’homme de quarante ans » ou du « père de famille » en particulier ?

Ces quelques pistes ne sont pas exclusives et peuvent être librement complétées, sous forme de lectures macrostruturales des deux Dialogues aussi bien que de lectures de détails (dont Péguy livre de si beaux exemples par ses lectures de La Mère coupable ou du « Sacre » tiré des Châtiments). Les propositions de communication, de deux ou trois pages (comportant une esquisse de plan) sont à envoyer à Jean-Louis Jeannelle et Alexandre de Vitry avant le 1er juin 2022. Les journées d’étude se dérouleront en Sorbonne le 10 et le 11 février 2023.

 

Ce colloque est organisé dans le cadre du CELLF (Centre d’étude de la langue et des littératures françaises) -UMR 8599 – https://cellf.cnrs.fr/

[1] Respectivement situés p. 997-1214 et p. 594-783 de ce volume Pléiade.

[2] Charles Péguy, Lettres et entretiens, Paris, L’Artisan du livre, 1927, p. 156.