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Vestiges du passé dans les arts et les lettres afro-luso-brésiliens (Sorbonne)

Vestiges du passé dans les arts et les lettres afro-luso-brésiliens (Sorbonne)

Publié le par Marc Escola (Source : Rita Novas Miranda)

Appel à communications

Vestiges du passé dans les arts et les lettres afro-luso-brésiliens

6-7 NOVEMBRE 2025 - SORBONNE UNIVERSITÉ

Ces dernières années, plusieurs œuvres littéraires, audiovisuelles et artistiques ont abordé d’une manière différente le rapport au passé. Plutôt que de le figer comme une époque révolue, elles l’inscrivent dans le présent à travers des traces, des strates qui émergent au fil des récits et des représentations. Bien que de nombreuses intrigues se construisent au présent, et à l’époque de leur production, elles sont constamment traversées par le passé, non seulement à travers des références explicites, mais aussi par le biais d’empreintes subtiles qui hantent les personnages, les lieux et les dynamiques narratives. Ce passé resurgit alors sous forme de traces, qu’il s’agisse de souvenirs enfouis, de vestiges architecturaux, ou de traumatismes historiques qui influencent les interactions et façonnent les trajectoires individuelles. Cette « présence du passé », selon la formule de Linda Hutcheon, ne traduit ni une quête de sens transcendantal et intemporel ni une idéalisation. Plutôt que d’instaurer un « retour nostalgique », pour reprendre une autre formule de Hutcheon, il s’agit d’une réévaluation critique et d’un dialogue ironique avec le passé à la lumière du présent. Ce faisant, elles interrogent le présent et remettent en question aussi bien le rapport entre histoire et réalité que celui entre réalité et langage (HUTCHEON, 1991 : 34).

Dans les films, les romans et autres productions artistiques, le concept de trace ouvre un champ de lectures multiples. La trace revêt, d’une part, une acception physique, palpable : les documents, les vestiges d’un autre temps. Elle est, d’autre part, la représentation d’une chose absente, un lien étroit avec la mémoire, comme l’indique Ricoeur (2003 : 9). Cette dimension immatérielle de la trace lui confère une force évocatrice profonde : elle renvoie à une absence qui persiste, qui hante, qui réapparaît sous des formes variées dans les récits et les représentations artistiques. La trace s’installe dans l’énigme de la présence d’un absent, dans l’anachronisme du temps ; en réactivant une antériorité dans le présent, l’idée de trace peut recevoir une valeur. Pour Jacques Derrida, la trace dit quelque chose de l’absence : quelqu’un ou quelque chose qui était ou passait par là et qui n’y est plus (DERRIDA, 2014 : 24). Dans Spectres de Marx, le philosophe développe un concept ontologique : le spectre est une trace d’un passé qui nous hante encore, une manifestation à la fois visible et imperceptible, une « trace au-delà de la présence et de l’absence » (DERRIDA, 1993 : 225).

La présence du passé se matérialise fréquemment sous forme de ruines, qui deviennent des marqueurs visibles du temps et de l’histoire. Dans son essai Le Temps en Ruines, l’anthropologue Marc Augé observe que « [c]ontempler les ruines, ce n’est pas faire un voyage dans l’histoire, mais faire l’expérience du temps, du temps pur » (AUGÉ, 2003 : 38). Certaines œuvres s’inscrivent dans la perspective d’une « ruinologie », où les ruines sont envisagées non seulement comme des témoins du passé, mais aussi comme des prémonitions d’une catastrophe imminente, une approche qui n’est pas sans rappeler celle de Walter Benjamin. De son côté, Ann Laura Stoler, dans son livre Imperial Debris. On Ruins and Ruination (STOLER, 2013), nous incite à voir comment, en contexte colonial/postcolonial, le nom « ruine » devient un verbe qui désigne l’action de « ruiner ».

Tandis que les ruines matérialisent la persistance du passé dans le paysage et la mémoire collective, les fantômes, eux, incarnent une présence plus immatérielle qui investit les récits et les imaginaires artistiques. Dans le monde lusophone, cette présence spectrale est intimement liée à un passé colonial qui garde les vestiges aussi bien de l’esclavage que des guerres coloniales ayant impliqué le Portugal et ses anciennes colonies africaines. Ainsi, Inês Nascimento Rodrigues affirme que, dans le cadre des études postcoloniales, la fantasmagorie est un outil social et conceptuel intéressant pour découvrir des histoires et des voix omises, et ainsi remettre en question les relations entre passé, présent et avenir (RODRIGUES, 2018). En mobilisant le concept derridien de « spectralité », il est intéressant d’explorer la façon dont certaines œuvres font revenir le passé colonial en « désarticulant le temps », un passé qui ne cesse de réapparaître et de hanter les sociétés contemporaines, dans une manifestation de survivance, une notion reprise par Georges Didi-Huberman dans ses analyses du critique d’art Aby Warburg. Chercheur et historien de l’art, Warburg propose une analyse des couches d’images extrêmement profondes et enracinées du passé. Ce faisant, il suggère une réflexion sur le concept allemand de Nachleben, c’est-à-dire d’une « vie après la mort » ou d’une « survie » des images. Didi-Huberman précise que, pour Warburg, les images « en viendraient à être considérées comme ce qui survit d’une sédimentation dynamique et anthropologique, rendu partiel, virtuel, parce qu’il a été [...] détruit par le temps » (DIDI-HUBERMAN, 2002 : 41). Également utilisé par Marc Berdet et Gérard Dubey, le concept de « revenance » désigne une logique fantasmagorique de « retour » à des objets extérieurs, avec un effet bien réel lié à leur présence imaginaire (BERDET ; DUBEY, 2017).

Ce colloque international propose d’examiner la façon dont les traces du passé s’inscrivent dans les œuvres audiovisuelles, littéraires et artistiques de l’univers afro-luso-brésilien. Il s’attachera à examiner comment les traces, les présences spectrales et les ruines, en tant que strates temporelles et mémorielles, hantent les imaginaires contemporains et nourrissent une réflexion sur la persistance du passé et ses résonances dans le présent. 

Axes possibles : 

Ruines et traces : matérialités du passé dans les arts et les lettres Figures du retour et fantasmagories du passé Fantômes du passé colonial Mémoires hantées : entre survivance et effacement Esthétique de la trace : dispositifs narratifs et visuels Conditions de propositions

Conditions de propositions :

Les communications doivent être originales, inédites et peuvent être rédigées et présentées en français ou en portugais.

Les personnes intéressées pourront soumettre leur proposition jusqu’au 30 juillet 2025 par mail à l’adresse suivante : vestigesdupasse2025@gmail.com. La réponse du comité scientifique sera communiquée jusqu’au 5 août.

Les propositions doivent inclure les informations suivantes : nom et affiliation institutionnelle de l’auteur/trice ; biobibliographie de l’auteur/trice (maximum 150 mots) ; titre, axe thématique et résumé (environ 300 mots).

Le colloque se déroulera en présentiel, et chaque participant·e disposera de 20 minutes pour sa communication, suivie d’un temps d’échange.

Comité d’organisation :

Alberto da Silva (Sorbonne Université)

Maria Araujo da Silva (Sorbonne Université)

Maria-Benedita Basto (Sorbonne Université)

Mireille Garcia (Sorbonne Université)

Rita Novas Miranda (Sorbonne Université)

Selma Dris (Sorbonne Université)

Bibliographie Indicative : 

AUGÉ, Marc, Le Temps en ruines, Paris, Galilée, 2003.

BENJAMIN, Walter, Sur le concept d’histoire, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2013. 

BERDET, Marc ; DUBEY, Gérard, « Place aux revenances ! », Socio-anthropologie, n° 34, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2017. 

DERRIDA, Jacques, Trace et archive, image et art, Bry-sur-Marne, INA Éditions, 2014. 

------------, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993. 

COUDERC, Romain, L’écriture de la trace, Thèse de doctorat en Philosophie, Sorbonne Université, sous la direction de Dominique Pradelle, décembre 2021.

DIDI-HUBERMAN, Georges, Quand les images prennent position. L’œil de l’histoire, 1, Paris, Les Éditions de Minuit, 2009.

------------, Georges, L’image survivante, Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éditions de Minuit, 2002.

HUTCHEON, Linda, Poética do Pós-modernismo, Rio de Janeiro, Imago Ed., 1991.

HUYSSEN, Andreas, La Hantise de l’Oubli. Essais sur les résurgences du passé, Bruxelles, Éditions Kimé, 2011.

JOSEPH-VILAIN, Mélanie ; MISRAHI-BARAK, Judith, (org.), Postcolonial Ghosts, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2009. 

KOSELLECK, Reinhart, Estratos do Tempo. Estudos sobre história, Rio de Janeiro, Contraponto : PUC – Rio, 2014.

NORA, Pierre, « Entre mémoire et histoire : la problématique des lieux », NORA, Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, tome 1 : La République, Paris, Gallimard, 1984, p. xvi-xlii.

POLLAK, Michael, Une identité blessée. Études de sociologie et histoire, Paris, Éditions Métailié, Collection Leçons de Choses, 1993. 

RICOEUR, Paul, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2003.

RODRIGUES, Inês Nascimento, « Descolizar a fantasmagoria. Uma reflexão a partir do ‘Massacre de 1953’ em São Tomé e Prícipe », Revista Crítica de Ciências Sociais, n° 115, publié le 15 mai 2018, p. 29-50. Disponible dans http://journals.openedition.org/rccs/6954, consulté le 8 janvier 2024.

STOLER, Ann-Laura, Imperial Debris: On Ruins and Ruination, Duhram, Duke University Press, 2013.

TRAVERSO, Enzo, Le passé, mode d’emploi. Histoire, mémoire, politique, Paris, La Fabrique Éditions, 2005.

VAN YPERSELE Laurence (dir.), Questions d’histoire contemporaine. Conflits, mémoires et identités, Paris, PUF, 2006.

WAHNICH, Sophie ; ZAOUI, Pierre, « Présentisme et émancipation : Entretien avec François Hartog », Vacarme, n°53, 2010, p. 16-19, https://doi.org/10.3917/vaca.053.0016 consulté le 26 avril 2024.