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Formes et enjeux de l'insoutenable dans la littérature et les arts (Bordeaux)

Formes et enjeux de l'insoutenable dans la littérature et les arts (Bordeaux)

Publié le par Marc Escola (Source : Eric Benoît)

Appel à communications - Colloque International 

« Formes et enjeux de l’insoutenable dans la littérature et les arts »

Équipes Internes « Modernités » et « Littératures & mondes »

UR24142 « Plurielles » - Université Bordeaux Montaigne

Organisé par Eric Benoit et Eve de Dampierre

Bordeaux, les 23-24 avril 2026

Date de tombée : 10 septembre 2025

Ce Colloque International aura lieu les 23 et 24 avril 2026 à l’Université Bordeaux Montaigne. Organisé par les deux Équipes "Littératures et mondes" et "Modernités" au sein de l’UR24142 "Plurielles", ce Colloque propose de réfléchir depuis le double point de vue de la littérature française et de la littérature comparée, et en s’appuyant sur leurs outils respectifs, aux formes et aux enjeux de ce que l’on peut appeler l’insoutenable dans la littérature et les arts. 

La notion d’ « insoutenable » résonne particulièrement aujourd’hui, alors que nous assistons à des formes de misère et de destruction particulièrement violentes et durables (migrants noyés aux portes de l’Europe, guerre en Ukraine, guerre dans la bande de Gaza), alors que nous parviennent les nouvelles de souffrances et d’injustices (massacres, viols de masse, nouvelles formes d’esclavage) qui relèvent de l’insoutenable parce que nous ne pouvons les supporter ni les soutenir moralement, à peine les regarder ou les dire, enfin, parce que notre univers médiatique est saturé de propos et de gestes d’une grande violence, dont la dimension éthique semble avoir disparu, comme l’idée d’un universel soutenable et défendable. Cette actualité de l’insoutenable rend urgente et essentielle une réflexion sur les objets littéraires et artistiques qui tentent de représenter, documenter, définir, interroger, apprivoiser ou parfois alléger l’insoutenable.

Sans chercher à établir une typologie de l’insoutenable dans la littérature, on tentera toutefois, à partir d’un vaste corpus, d’appréhender les significations de cette notion et les contextes où l’on peut la rencontrer. Elle semble en effet avoir pris de plus en plus de place, au moins depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, à la fois dans l’histoire humaine et dans la littérature, et à partir d’une diversité de déclencheurs de l’insoutenable. Nous pourrons explorer quelques jalons de cette question dans l’œuvre de Sade, dans certains aspects du gothique anglais, dans les formes les plus aiguës de l’angoisse romantique et du spleen post-romantique jusqu’aux écritures de la folie (chez Nerval ou Maupassant) et jusqu’au XXe siècle (Artaud, etc.). À l’époque des guerres mondiales et des génocides, l’écriture de l’insoutenable donne voix à une large amplitude d’expériences humaines. Depuis les répercussions littéraires du traumatisme historique de la Shoah (on pense à la façon dont Dante fournit à Primo Levi les mots pour dire l’Enfer, à ceux de Des Forêts décrivant Auschwitz dans Ostinato comme « cette chose sans nom dont les documents filmés nous imposent la vision insoutenable », à l’écriture de la Douleur chez Duras, qui dira aussi dans Écrire  qu’« il est impossible d’aborder cet événement sans hurler ») jusqu’aux bouleversements que l’événement inflige aux formes littéraires et artistiques, depuis la mise en question de la possibilité même d’une parole poétique après Auschwitz (l’image d’une  « littérature en suspens » chez Imre Kertész, en écho à la célèbre phrase d’Adorno disant en 1955 « il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes ») jusqu’aux écritures de la mémoire et de la grammaire des traumatismes (chez l’écrivain israélien Amos Goldberg et le romancier libanais Elias Khoury, ou dans les travaux de Catherine Coquio, par exemple) que suscite la réplication contemporaine d’épisodes dont le caractère insoutenable avait paru unique et indépassable, notre colloque se donnera pour tâche de mettre en dialogue ces écritures créatrices et réflexives sur l’insoutenable. 

L’articulation des écritures de l’insoutenable avec une pensée de la littérature sera un point central de la réflexion. Dans cette optique aussi, l’abondant corpus lié au traumatisme de Hiroshima méritera d’être pris en compte, comme l’existence, au-delà de la singularité des œuvres, de genres ou sous-genres littéraires liés aux épisodes traumatiques : on pense au genre du Genbaku Bungaku, aux mises en récit des tortures et massacres qui ont marqué des épisodes coloniaux, d’Antonio Lobo Antunes (Le Cul de Judas) à Chimamanda Ngozi Adiche (L’autre moitié du soleil), parmi tant d’autres, ou aux échos des mots et de l’histoire : ainsi le récit Le Convoi de Beata Umubyeyi Mairesse, rescapée du génocide des Tutsi au Rwanda, s’ouvre-t-il sur le mot « convoi » et sur la superposition quasi insoutenable du souvenir des convois de la mort et du hasard d’un convoi humanitaire de la survie.

Un autre fil directeur de cette réflexion pourra être le paradoxe repéré par Maurice Blanchot à propos de l’écriture de l’insoutenable : « La connaissance de ce qui est insupportable dans le monde (torture, oppression, malheur, faim, les camps) n’est pas supportable : elle fléchit, s’effondre, et celui qui s’y expose s’effondre avec elle », et pourtant « on doit le dire » (Le Pas au-delà, Gallimard, 1973, p. 156). Retenons ce mot : s’effondre. La parole d’Edmond Jabès ou celle de Paul Celan, par exemple, s’élèvent à partir de cet effondrement de la parole dans l’insoutenable. Le lecteur y est impliqué, et le statut de l’insoutenable dans la réception des œuvres aura aussi à être questionné, à travers les différentes formes de cette réception. Car le lecteur est aussi ce spectateur impliqué dans la représentation visuelle, par exemple : on pense à la manière dont la peinture, dans son dialogue avec d’autres arts et supports, pose la question des conditions de représentation d’un massacre (quel fil silencieux se tisse entre le Guernica de Picasso et les poèmes d’Éluard, de Celaya ou encore de Neruda et le film de Resnais? Comment les mots de Genet face à la découverte de Sabra et Chatila infusent-ils les représentations plastiques et visuelles du massacre, jusqu’à aujourd’hui). 

On pourra aussi interroger le statut littéraire de l’insoutenable dans des textes comme La colonie pénitentiaire de Kafka, Les Bienveillantes de Jonattan Littell, etc. Les « poétiques de l’insoutenable » engagent le sérieux et la gravité de la littérature – jusqu’aux répercussions littéraires des traumatismes dus aux conflits contemporains et au terrorisme, comme dans Le Lambeau de Philippe Lançon (2018) qui dépasse l’insoutenable du traumatisme par une forme subtile de détachement. 

Loin de la dimension spectaculaire de l’événement historique et de ses traumatismes, on s’intéressera aussi à la présence de l’insoutenable dans l’espace domestique : celui de la chambre, de la maison, de l’école. On verra comment, dans une période récente et à la faveur du mouvement #metoo, l’écriture a été le support de révélations d’expériences du viol et de l’inceste retracées à la fois en tant que vécu individuel et à travers leur capacité à souligner le caractère systémique de la chose – c’est bien là l’enjeu du texte de Neige Sinno, Triste tigre (2023).  Cette littérature de l’insoutenable modifie notre lecture d’autres textes, elle agit comme le révélateur de sujets qui semblent avoir été toujours-là, invisibles ou fondus dans le soutenable. 

Il sera indispensable de ne pas dissocier une réflexion sur le contenu et le sens de l’insoutenable, et une analyse des formes, dispositifs d’écriture ou de création. Ainsi, il s’agira également de nous situer dans le point de renversement où l’insoutenable se retourne en nécessité créatrice, et de comprendre dans quelle mesure ce renversement est ou non éthiquement soutenable.

Nous pourrons ainsi nous interroger sur la variété des formes par lesquelles la littérature cherche à représenter l’insoutenable, et sur le potentiel d’empathie, de mimétisme, ou encore de mise à distance ironique du texte poétique. Comment les formes possibles du récit, du roman, de l’enquête, de la fiction, du reportage à partir d’un fait réel, et en particulier l’écriture comme dispositif ou processus long, permettent-elles d’approcher une vérité autobiographique indéfendable ou un fait insoutenable ? 

Le sujet qu’est l’insoutenable, parce qu’il nous invite à réfléchir à une éthique de la forme, rend indissociables l’analyse des stratégies d’écriture et le questionnement sur la lecture et à la réception de l’insoutenable, qui implique de se pencher sur la question du point de vue, de la possibilité d’une objectivation de l’insoutenable. Comment la forme fait-elle courir le risque d’une recherche de sidération, où le texte (ou le spectacle théâtral) piège le lecteur pour le mettre face à la gorgone (Anima de Mouawad, qui s’ouvre sur une scène d’une violence proche de l’obscène ; Le Sari vert d’Ananda Devi, récit à la première personne qui enferme le lecteur dans la tête d’un père violent et manipulateur) ? Quelle position morale ou éthique est portée par la littérature dans ces jeux de points de vue énonciatif ? 

Ces questions de réception varient dans l’espace et dans le temps : ce qui est insoutenable pour l’un, et permet d’accéder à une forme de vérité, confine à l’obscène ou au kitsch pour l’autre ; ce qui était topique hier est devenu insoutenable aujourd’hui, qu’il s’agisse de thèmes, de scènes ou d’arguments ; la sensibilité des lecteurs dépend aussi de leur expérience personnelle (on pense aux ouvrages d’Hélène Merlin-Kajman et au mouvement « Transitions »). Ce questionnement ouvre sur le problème du sensitive reader et des « libertés académiques » : qu’en est-il des changements de paradigme, anachronismes ou réajustements de ce qui est soutenable ?

Nous pourrons questionner le dialogue entre la littérature et les autres arts, les outils et dispositifs spécifiques aux genres littéraires et artistiques. Ainsi, une approche intermédiale se pencherait, par exemple, sur les ressorts propres au genre théâtral pour affronter ou faire advenir l’insoutenable (l’obscène, le visible et l’invisible, les démesures de la représentation).

Il faudra aussi s’interroger sur la manière dont, à différentes époques, l’insoutenable travaille une pensée de la littérature et une approche des catégories et concepts qui la constituent : création et réception, auctorialité, théorie de la lecture, etc. ? On s’intéressera à l’apport de la littérature aux sciences humaines et au type de vérité et de savoir que peut proposer l’écriture littéraire. 

Les corpus concerneront les littératures de toutes langues, et pourront éventuellement s’étendre aux autres arts (cinéma, peinture, musique) porteurs d’un questionnement sur les enjeux d’une représentation, d’une mise en scène, ou encore d’une médiatisation de l’insoutenable. 

Les propositions de communications (une quinzaine de lignes précédées d’un titre et suivies par un CV) seront à envoyer avant le 10 septembre 2025 aux trois adresses suivantes :

eric.benoit@u-bordeaux-montaigne.fr

eve.de-dampierre@u-bordeaux-montaigne.fr 

colloquebordeauxinsoutenable@gmail.com 

Nous vous enverrons une confirmation de réception (si vous ne la recevez pas au bout de quelques jours, n’hésitez pas à renouveler votre envoi).

Les réponses seront données vers le 10 octobre 2025.