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Appels à contributions
Séminaire doctoral Littérature(s) et thérapie(s) (Univ. de la Réunion & en ligne)

Séminaire doctoral Littérature(s) et thérapie(s) (Univ. de la Réunion & en ligne)

Publié le par Marc Escola (Source : Sylviane Rabetsarazaka)

Séminaire doctoral – laboratoire DIRE 

Littérature(s) et thérapie(s) 

Calendrier 

Publication de l’appel à communication : 20/05/2025

Date limite de soumission des résumés : 28/07/2025

Notification d’acceptation : 15/08/2025

Date du séminaire : 06/09/2025

Modalité du séminaire : hybride

Comité d’organisation : Akhoone Faaizah, Chapel Clarisse, Rabetsarazaka Sylviane

Comité scientifique : Françoise Sylvos, Rachid Oulahal, Vincent Mugnier  

Modalités de soumission : rédiger une proposition de communication de 400 caractères maximum, ainsi que quelques notes biobibliographiques.  

Les propositions sont à envoyer aux adresses suivantes : clarisse.chapdu@gmail.com ; sylviane.rabetsarazaka@gmail.com 

​Appel à contributions : 

​Remède ou poison ? Depuis l’Antiquité, la littérature a été appréhendée à travers cette antinomie, faisant l’objet de réflexions qui interrogent particulièrement son (ou ses) effet(s) thérapeutique(s) sur l’individu. Dans sa Poétique, Aristote soutient que la tragédie entraîne une catharsis chez l’homme grâce à la mimèsis, c'est-à-dire qu’elle provoque une épurationdes passions par la représentation des actions humaines : 

La tragédie est l’imitation d’une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d’une narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature. 

A contrario, Platon qui se méfie de la dimension artificieuse de la mimesis (la représentation de mauvaises passions contamine le lecteur/spectateur) traite des effets néfastes de la littérature et de l’écriture, à travers la discussion rapportée entre Theuth et le roi Thamous dans Phèdre : 

« L’enseignement de l’écriture, ô roi, dit Theuth, accroîtra la science et la mémoire ; car j’ai trouvé là le remède de l’oubli et de l’ignorance. » Le roi répondit : « Ingénieux Theuth, tel est capable de créer les arts, tel autre de juger dans quelle mesure ils porteront tort ou profit à ceux qui doivent les mettre en usage : c’est ainsi que toi, père de l’écriture, tu lui attribues bénévolement une efficacité contraire à celle dont elle est capable ; car elle produira l’oubli dans les âmes en leur faisant négliger la mémoire : confiants dans l’écriture, c’est du dehors, par des caractères étrangers, et non plus du dedans, du fond d’eux-mêmes qu’ils chercheront à susciter leurs souvenirs ; tu as trouvé le moyen, non pas de retenir, mais de renouveler le souvenir. »

Remède ou poison, alors ? Pharmakon, dit Derrida. Par ce discours, « d’une part Platon tient à présenter l’écriture comme une puissance occulte et par conséquent suspecte […] D’autre part, la réplique du roi suppose que l’efficace du pharmakon puisse s’inverser : aggraver le mal au lieu d’y remédier. » Derrida conclut donc qu’« il n’y a pas de remède inoffensif. Le pharmakon ne peut jamais être simplement bénéfique ». Cette ambivalence caractérise également d’autres formes littéraires écrites et orales ; c’est dans cette perspective, par exemple, que s’inscrit l’élégie. Forme de poème antique mélancolique dans laquelle des métaphores médicales peuvent se glisser en vue de guérir, l’élégie donne voix au deuil (symbolique ou concret) et à la ruine, en immortalisant l’existence de la douleur – au point de parfois renverser le poète-médecin en poète-malade par son pouvoir d’identification. 

Loin de n’être qu’un questionnement antique, cette ambiguïté de la littérature persiste durablement. Dès les XVIIe et XVIIIesiècles, de nombreux auteurs interrogent la littérature per se et en théorisent leur propre conception pour limiter les dangers de celle-ci : la littérature se doit d’être utile en exemplifiant des situations morales pour remédier à une dépravation de la vertu et pour former a fortiori de bonnes mœurs ; elle crée ainsi comme un répertoire des vertus à consentir et des vices à corriger (castigat ridendo mores). Or, l’essor des sciences et les progrès cliniques innervent également la littérature pendant ces siècles et les suivants, de sorte que des discours médicaux s’ancrent peu à peu dans les proses, voire se font titres, et fortifient alors le lien entre littérature et thérapie. Le mouvement inverse où la médecine s’imprègne de la littérature se remarque également avec, notamment, la psychanalyse freudienne. Les mythes antiques et modernes, en façonnant un imaginaire collectif, permettent à Freud de penser les malaises, les déviances et les fantasmes qui onttraversé – et qui traversent encore – l’histoire de l’humanité(entre fascination et répulsion). Pour développer ses théories de la vie préconsciente, des doubles et de l’inquiétante étrangeté (das Unheimliche), il s’appuie également sur les récits du romantique allemand E.T.A. Hoffmann qui cristallisent autant l’aliénation des protagonistes quel’angoisse de l’auteur, tout en piégeant le lecteur dans une circularité textuelle à mi-chemin entre folie et surnaturel. 

Un double mouvement se crée donc entre littérature et thérapie, mais ce pouvoir thérapeutique de la littérature se démultiplie en prenant de nouvelles formes et en ayant de nouveaux objectifs à partir du XXe siècle. Toujours reflet d’un contexte socio-culturel, la littérature peut chercher à remédier à certaines failles politiques, à mettre sur le devant de la scène certains oubliés sociaux pour « panser ce qui peut être pansé ». En ce sens, la littérature pourrait reconstruire, réconcilier et créer une mémoire collective. C’est ce que montre, par exemple, Butler dans ses travaux sur la précarité et le deuil (Precarious Life, Frames of War) en mettant en évidence la dimension relationnelle et politique de la perte ; cette dernière ne relève pas uniquement de l’intime, mais s’inscrit dans un cadre collectif de reconnaissance où le langage prend la forme de la résistance contre l’effacement. En tant qu’acte de mémoire et de transmission, la littérature du deuil a une dimension réparatrice qui s’articule autour de la narration et du témoignage. 

Un mécanisme inverse se dévoile également comme le montrent les travaux de Ricoeur (Soi-même comme un autre). Dans celui-ci, c’est du chaos de l’existence qu’émerge la notion d’identité narrative en tant que « fabrication » de soi. Le narrateur-témoin utilise le langage pour mettre en forme son expérience, donner sens aux événements et construire une cohérence narrative qui l’ancre dans le présent et le projette dans l’avenir. Ce processus d’individuation qui sonde la mémoire pour reconstruire l’identité est néanmoins un travail subjectif dans lequel vérité et fiction peuvent se brouiller et se confondre ; autobiographie ou autofiction, le sujet écrivant joue sur cette fine nuance. Or, cette écriture thérapeutique de soi qui façonne l’existence peut devenir une pratique dangereuse dès lors qu’elle enferme l’écrivain dans son solipsisme et, du fait de la démultiplication des masques et de l’hétéronymie (Pessoa), est susceptible de créer une problématique identitaire. En devenant le symptôme d’une hypertrophie du Moi, cette attitude de l’écrivain engendre une écriture pathologique (comme l’hypergraphie) qui réinterroge finalement les limites de l’acte scriptural lui-même. En somme, depuis l’Antiquité à nos jours, la frontière entre littérature thérapeutique et littérature pathologique est mince, voire parfois imperceptible.

Par ailleurs, d’autres thérapeutiques font intervenir le sujet, non pas seulement en tant qu’auteur, mais également en tant que créateur au sens général du terme. Il s’agit de l’art-thérapie en général, dont la musicothérapie est une des composantes. Ces disciplines, dont l’objet n’est pas la performance artistique, convoquent toute forme d’art (ce peut être le cas du théâtre, de la sculpture ou du collage) comme outil de guérison, les images et la musique établissant un lien avec les conflits intérieurs. L’application des arts à des fins curatives prend ses racines dans la Grèce antique, ce dont témoigne la conception médicale de la catharsis telle qu’Aristote la caractérise dans sa Poétique. Le psychiatre Carl Jung lui-même en avait fait l’expérience dans les années 1913-1930. En effet, ayant expérimenté les bienfaits du dessin, il avait accompagné des patients schizophrènes grâce à ce support qui, tout comme la musique, relie par leur force vitale tous les êtres humains. Nous rappelons à cet effet que l’objectif de la thérapie jungienne dont s’inspire l’art-thérapie est de prendre conscience des dynamiques inconscientes qui sont en jeu dans les symptômes pour favoriser l’individuation : « un processus par lequel une personne devient consciente de son individualité ».

Ce séminaire vise ainsi à explorer, à contextualiser et à théoriser les liens ambigus entre littérature et thérapie, en interrogeant la capacité du langage à guérir ou, au contraire, à nuire. Nous encourageons ainsi les propositions qui interrogent, dans une perspective littéraire, philosophique, psychologique, psychanalytique, psychiatrique ou historique, les usages thérapeutiques de la littérature de ses formes orales à ses formes écrites.

 Axes et perspectives d’études

Aussi, le but du séminaire est-il de questionner et d’explorer la relation « littérature(s) et thérapie(s) » selon des perspectives aussi variées que possible (littéraires, culturelles, psychanalytiques, thérapeutiques, géopolitiques, etc…) sans oublier des approches transversales. Ainsi, le terme littérature peut être considéré dans une extension stricte ou plus large, incluant ainsi, parallèlement à la dimension thérapeutique de l'écriture – poésie, roman ou théâtre (psychodrame) –, les essais ou memoranda de thérapeutes, carnets ou journaux de patients, (etc.).

Les propositions de communication pourront, par exemple, aborder les thèmes suivants :

- Littérature et psychanalyse/psychiatrie/psychologie ;

- Littérature et folie (dans sa dimension thérapeutique) ;

- Littératures et thérapies comparées (interculturalité) ;

- La dialectique du remède et du poison : la littérature comme pharmakon.

- Bonne(s) et mauvaises(s) littératures ;

- Codification morale de la littérature : exemplarité, catharsis, formation des mœurs ;

- Bibliothérapie(s) ;

- Art-thérapie, musicothérapie ;

- L’enchantement littéraire ;

- Littérature et bien-être : soin de soi, développement personnel, empowerment ;

- Espaces de résilience collective et individuelle ;

- Témoignages, mémoires, narration de soi dans une visée réparatrice ;

- Travail sur l’identité narrative.

Pistes bibliographiques 

ADAM, Jean-Michel, Le récit, Paris, PUF, 1984, p. 9 à 20.

ARISTOTE, Poétique et Rhétorique, C.-Emile Ruelle (trad.), Paris, Garnier Frères, 1883.

BERTHOUD, Ella, et ELDERKIN, Susan, Remèdes littéraires, Paris, Le livre de poche, 2016. 

BLANCHOT, Maurice, Le livre à venir, Paris, Gallimard, 1959.

CARRIERE, Emmanuel, D’autres vies que la mienne, Paris, Gallimard, Folio, 2010.

DERRIDA, Jacques, « La pharmacie de Platon », Tel Quel, n° 32-33, 1968 ; rééd. Platon, Phèdre, Luc Brisson (éd.), Paris, GF, 2006, [p. 254-401].

DOUBROVSKY, Serge, Fils, Paris, Galilée, 1977, p. 89.

DUQUETTE, Anne-Marie, « Littérature morale et morale de la littérature : l’envers du pouvoir thérapeutique de l’écriture », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], n° 26, 2023. URL : https://journals.openedition.org/fixxion/10950

Etudes Epistémè, n° 13 : « Les usages thérapeutiques du littéraire », 2008. URL :https://journals.openedition.org/episteme/888

FOX, John, Poetic Medicine: The healing art of poem-making, New York (USA), Penguin Publishing Group, 1997.

FREUD, Sigmund, L’Inconscient, Paris, Payot, 1915.

FREUD, Sigmund, L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, Folio, 1985.

GEFEN, Alexandre, « Le projet thérapeutique de la littérature contemporaine », Contemporary French and Francophone Studies, n° 20, 2016, p. 420-427. 

GEFEN, Alexandre, et Oberhuber, Andrea (dir.), Pour une littérature du care, Actes du colloque « Caring lit’/ Pour une littérature du care », Paris (Université Panthéon Sorbonne), 25 au 27 octobre 2021. URL : https://www.fabula.org/colloques/sommaire8205.php

HILFIGER, Mathieu, « Platon : la pensée, dynamique du soin », Le Coq-héron, n° 206, 2011, p. 12-32.

LACAN, Jacques, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, 1975.

LAMBRICHS, Louise L., « La littérature est-elle thérapeutique ? », Les Tribunes de la santé, n° 23, 2009, p. 43-50.

LEJEUNE, Philippe, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975, p.31, puis p. 121 à 125.

OUAKNIN, Marc-Alain, Bibliothérapie. Lire, c’est guérir, Paris, Seuil, Points, 1994. 

PROUST, Marcel, Sur la lecture, Arles, Actes Sud, 1988. 

RICOEUR, Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 392-568.