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Tensions dans le contemporain (Paris Cergy)

Tensions dans le contemporain (Paris Cergy)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Jean-François Puff)

Paris Cergy Université

Séminaire doctoral de l’axe « Créations » 2020-2021 :

Tensions dans le contemporain

Organisé et animé par Chantal Lapeyre et Jean-François Puff

 

L’axe « Créations » du département de lettre de l’Université Paris Cergy rassemble des chercheurs qui s’interrogent sur les processus et les théories de la création dans le domaine de la littérature et des arts. Les travaux de l’axe jouent un rôle central dans l’EUR « Humanités, Patrimoine et création » qui regroupe l’Université de Cergy-Pontoise, l’Ecole Nationale d’Arts de Paris-Seine (ENSAPC), l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles (ENSAV) et l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles (ENSPV) et l’Institut National du Patrimoine.

Pour l’année 2020-2021, le séminaire envisagera les différentes modalités de la tension dans le contemporain, dans la double perspective de la cartographie partielle d’un champ conflictuel, et des tensions inhérentes aux processus de création (un texte programmatique développé figure ci-dessous). Des enseignants-chercheurs, des écrivains, des doctorants sont impliqués. À chaque séance, des travaux de recherche sont présentés ; les doctorants en recherche-création de l’Université Cergy Paris et de l’EUR engagent un dialogue avec un-e auteur-e invité-e. Le séminaire se clôt par une lecture publique.

 

Programme :

15 octobre : Chantal Lapeyre, Jean-François Puff. « Tensions dans le contemporain », séance d'introduction (Salle des thèses, bâtiment des Chênes 2, 17h00 – 19h00).

  • Chantal Lapeyre (CYU) : introduction
  • Jean-François Puff (CYU) : « Tensions dans le contemporain, 3 : quelques exemples de tensions productives entre pratique et théorie. »

19 novembre (Tour 33, 17h00 – 19h00)

  • Chantal Lapeyre (CYU) : « Sur une corde de violoncelle ».
  • Écrivain invité : Gérard Macé, en dialogue avec Flavie Serrière, doctorante de l’EUR, et Adrien Chapel, doctorant de Cergy.

14 janvier (Salle des thèses, bâtiment des Chênes 2, 17h00 – 19h00) :

  • Poète invitée : Cécile Mainardi, en dialogue avec Laura Vasquez, poète, doctorante de l’EUR.

18 février (salle des thèses, bâtiment des Chênes 2, 17h00 – 19h00) :

  • Poète invité : Vincent Broqua (américaniste, Université Paris 8), en dialogue avec Marina Skalova, autrice, doctorante de l’EUR.
  • Jean-François Puff (CYU) : « Réflexions que la querelle du "vroum-vroum" ».

25 mars (salle des thèses, bâtiment des Chênes 2, 17h00 – 19h00) :

  • Autrice invitée : Laure Limongi (professeure de création littéraire à l’ENSAPC), en dialogue avec Valère Clauzel, poète, doctorant à Paris Cergy Université.

15 avril (Tour 33, 17h00 – 19h00) :

  • Auteur invité : Sylvain Prudhomme, en dialogue avec Stéphanie Arc, romancière, doctorante de l’EUR.

*

Texte programmatique :

Qu’est-ce qu’une tension ?

État d’une matière, comme on parle de la tension propre à une corde de violon, pour qu’elle soit apte à produire la résonance voulue, c’est aussi une force apparaissant à la surface de séparation entre deux liquides non miscibles, ou une différence de potentiel entre les deux pôles d’un ensemble, ou encore l’écho d’un équilibre précaire, d’un désaccord potentiel dans les relations, entraînant des risques de conflit, de crise, de rupture. Ce mot de tension introduit l’écart, le différentiel, l’antagoniste, le polémique, la distance, la séparation.

Pourquoi ce concept est-il particulièrement opératoire pour appréhender le contemporain ? Il ne préjuge d’abord en rien d’un contenu, mais s’inquiète de la dynamique impulsée par les logiques qui le traversent. Il restitue ensuite au contemporain une valeur de champ, agi par des forces contradictoires, en lieu et place d’une hétérogénéité non-conflictuelle, d’une simple diversité d’éléments juxtaposés. Il s’agira de ne pas manquer le dynamisme portant ces relations, d’envisager sa productivité.

Notre séminaire s’attachera à appréhender différents modes de tension dans le contemporain, à différents niveaux de travail de création.

Tension dans le contemporain I. : Identification et pertinence historique des objets

L’invention formelle caractérisant les avant-gardes historiques et leur poursuite néo-avant-gardiste a eu pour conséquence un soupçon jeté sur la possibilité d’identifier des objets, renvoyée à une forme d’essentialisme.  « On ne peut pas savoir ce que c’est » (que le roman, la poésie etc.) est la formule. La prétention à donner une réponse peut être suspectée, car elle renverrait à une pratique pacifiée, sans enjeu critique.

Or la question « qu’est-ce que ? » reste une question ouverte : d’une part, parce que les pratiques d’écriture rejetant les catégories génériques se déterminent le plus souvent négativement, par rapport à ces catégories mêmes ; d’autre part, parce que, selon la formule de Quine, il n’y a « pas d’entité sans identité ». On peut dès lors se demander si un régime d’identification est évitable. On peut aussi se demander à nouveaux frais pourquoi il faudrait absolument l’éviter. 

Il y a tension dans le contemporain parce que les identifications désignées ci-dessus ne se résorbent pas dans la coexistence heureuse des paroles. Être contemporain signifie : être en dialogue, et dans ce dialogue la possibilité du conflit est ouverte. Ce conflit a pour fondement une interprétation de ce qui se passe : « que convient-il de faire (d’écrire aujourd’hui) ?» La question de la pertinence historique ne peut manquer de se poser, y compris en régime esthétique des arts, qui implique constitutivement une co-temporalité. Nos visions et nos rêves du temps se confrontent les uns aux autres, et parfois s’affrontent.

Tension dans le contemporain II : des modes de publication

Le contemporain a vu se multiplier et se diversifier les modes de publication de l’œuvre littéraire : les pratiques d’oralisation et de performance se sont généralisées, l’espace de la Toile a été investi.

Ces nouveaux modes de publication ont des conséquences sur le plan ontologique : certaines pratiques mettent en question la consistance des objets ainsi que les frontières de l’art (on pense notamment aux vidéos de Charles Pennequin, sur la Toile). On peut se demander quel statut donner à ces objets nouveaux, mouvants, instables, qui remettent en cause l’idée d’une pérennité de l’œuvre.

Il faudra également interroger le mode de réception de ces objets. Dans quels temps et de quelle manière entrons-nous en rapport avec ces nouvelles formes de publication (comment consomme-t-on des vidéos-lectures sur internet, par exemple ?)

La question se pose enfin du rapport au livre : rares sont les auteurs qui délaissent tout à fait cet objet. Quel rapport dès lors, poser entre les médiums ?  Cette question se pose sur différents plans : sur le plan esthétique, mais aussi sur celui de la dynamique du champ.

Tension dans le contemporain III : l’articulation entre pratique et théorie dans les écritures contemporaines

Le rapport pratique / théorie, tel qu’il apparaît dans certaines écritures contemporaines, lie la sphère esthétique et l’activité de cognition. Cette relation d’aller-retour de la pensée créatrice se manifeste d’emblée et se poursuit tout au long du processus : elle aboutit, dans certains cas, à une exposition d’ensemble – à une poétique. Un tel mouvement manifeste le fait que toute œuvre en cours de production se situe dans un champ de tension. Comme l’a écrit John Dewey, « la présence d’une résistance constitue un enjeu pour l’intelligence de la production d’une œuvre d’art ». Élucider cette situation double (cette articulation et ces jeux de résistance) est l’un des rôles dévolus à la pensée réflexive. L’autre sera d’examiner quelle connaissance extérieure à elle-même l’œuvre a produite. Cette connaissance, forcément relative, porte sur son objet, sur la manière dont l’œuvre en disperse les fausses évidences. Il faut voir comment une œuvre, comme intuition formalisée, loin de tout savoir absolu, a puissance de reconfigurer le sensible qu’elle offre en partage – pour reprendre les termes de Jacques Rancière.

La question du rapport de l’esthétique et du cognitif doit de ce fait être explorée : sans doute leur relation ne peut-elle pas être posée de manière générale, en-dehors d’un rapport à des objets déterminés.

Cela a des conséquences sur la pratique qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « recherche-création ». Dans le cadre des masters et des doctorats, il s’agit de prendre appui sur une pratique artistique de référence qui produit déjà des œuvres et une pensée. Cette pratique est un pari sur une pluralité de mises en tension. On peut toutefois se demander s’il existe des pratiques et des objets qui rendent possibles ce qu’on appelle recherche-création et d’autres qui l’excluent, ou semblent l’exclure. La recherche-création produit-elle, en conséquence, une normalisation des objets littéraires ? Existe-t-il par exemple, une « poésie d’école d’art », un « roman type de master création » ?

La recherche-création suppose une adéquation de l’œuvre et du discours qui la redouble. Une œuvre de valeur peut-elle procéder d’une théorie fausse, et le discours théorique être pris en défaut ? La question ne doit pas être évitée : c’est le cas de l’œuvre de Proust selon le philosophe Vincent Descombes. Quels sont dès lors les modes de ce rapport inadéquat ? Comment aborder les œuvres qui prétendent reposer sur une succession de « théories jetables », comme celle d’Emmanuel Hocquard ?

Enfin, question cruciale : penser l’œuvre dans le cours de son élaboration, produire une théorie, de quelle manière cela laisse-t-il à cet ensemble la part de jeu qui fait la liberté du rapport entre intention et réception ?