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Objets insignes, objets infâmes de la littérature

Objets insignes, objets infâmes de la littérature

Publié le par Marie-Eve Thérenty

 

COLLOQUE INTERNATIONAL

Objets insignes, objets infâmes de la littérature

 

PARIS,  19-20 NOVEMBRE 2015

 

Organisation : Celsa-Gripic-Paris Sorbonne (Adeline Wrona) et RIRRA 21 Université Paul Valéry de Montpellier (Marie-Eve Thérenty)

 

Comité scientifique : Ruth Amossy (Université de Tel-Aviv), Marc Lits (Université catholique de Louvain), Dominique Maingueneau (Université Paris-Sorbonne), Michel Murat (ENS Paris), Corinne Saminadayar-Perrin (Université Paul Valéry de Montpellier)

 

Alors que le secteur du livre imprimé est en difficulté, que la société s’interroge de manière récurrente sur la place de la lecture dans les loisirs contemporains et que la figure de l’écrivain, à quelques exceptions près, est délaissée pour des représentations plus charismatiques de la culture et de l’art, continue à se développer avec succès un marché très varié de l’objet littéraire. Ainsi en 2010, la Fnac lançait une gramme de produits dérivés signés par des citations d’écrivains célèbres. En 2011, le créateur Jean-Charles de Castelbajac présentait une collection inspirée par l’œuvre de Saint-Exupéry. Enfin, on pouvait à la rentrée littéraire 2013 parcourir dans un grand magasin parisien la « bibliothèque des vins », où des crus prestigieux étaient présentés dans d’épais volumes cartonnés, portant des noms de genres littéraires, et agrémentés de citations d’auteurs contemporains ayant endossé le rôle d’experts en œnologie.

Le phénomène n’est pas nouveau : il existe depuis le XVIIIe siècle –La Nouvelle Héloïse de Rousseau et Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre ont été parmi les premières œuvres qui ont engendré des pendules, des lithographies, des bibelots, des assiettes, des tissus – mais il s’est considérablement développé avec le XIXe siècle et l’entrée dans l’ère médiatique. Ainsi, Les Mystères de Paris ont provoqué la floraison de toute une gamme d’objets dérivés plus ou moins périssables : des pains d’épice prenant la forme des personnages, une rose Rigolette, un jeu de l’oie… Plus généralement au XIXe siècle le roman-feuilleton a été appuyé par une expansion de l’affiche, confiée à des artistes de premier plan (Caran d’Ache, Steinlen, Chéret). Ce développement de l’objet s’est fait parfois avec le consentement des auteurs : certains écrivains, comme Jean Cocteau ou Colette ont encouragé voire participé au développement d’objets signés dont ils revendiquaient l’origine. Dans d’autres cas, on peut s’interroger sur la manière dont certaines effigies d’auteurs ont été exploitées parfois à contre–sens de leur œuvre. On peut ainsi acheter au Portugal des tee-shirts Pessoa, des post-it Pessoa, des agendas Pessoa, marché de produits particulièrement lucratif qui contraste avec la vie, la posture et la poétique de l’écrivain. La mise en objet de l’auteur ou de son œuvre peut donc susciter, plus ou moins délibérément, la polémique : on peut douter que l’auteur des Rougon-Macquart ait goûté particulièrement les petits biscuits en forme de tête de cochon reproduisant son portrait et celui de son héroïne Nana, vendus sous le nom « Elle et lui » à la Foire du trône autour de 1880 ; et la « statuomanie » qui s’empare, à la fin du XIXe siècle, des rues des grandes villes, donne lieu à de célèbres contestations autour des choix opérés par les sculpteurs ou les commanditaires, que ce soit au moment de la livraison (statues de Balzac et Baudelaire par Rodin), ou bien plus tard, quand il faut trouver le lieu adapté à la figure représentée, ou encore assumer l’héritage du monument. On sait que le régime de Vichy a fait le choix, en 1941, de fondre plus de 200 statues pour récupérer le cuivre nécessaire à l’effort de guerre : peu d’écrivains résistent alors à cette table rase de la culture républicaine.

Le marché du jouet s’est aussi considérablement développé autour de la représentation sous forme de figurines, de poupées, des héros de la littérature jeunesse. Ce marché a été sans doute accéléré par une autre forme de circulation intermédiatique, celle de l’adaptation télévisuelle, cinématographique ou vidéoludique et par la forme économique de la franchise qui permet de développer des logiques de marque autour d’univers spécifiques.

Lié à ces objets se développe également tout un tourisme culturel organisé autour d’une forme de réification de la littérature. Ainsi Paul Beuve, le premier collectionneur d’objets hugoliens, participa-t-il à la création de la maison-musée Victor Hugo en 1903. A côté des traditionnelles maisons d’écrivains ont été créés des musées littéraires centrés autour des archives, des figures d’auteur, des œuvres (Musée de l’innocence à Istanbul) ou des personnages (voir The Sherlock Holmes Museum au 221 B Baker Street de Londres ou le musée Junibacken de Stockholm où les enfants peuvent manipuler des objets issus des histoires d’Astrid Lindgren). Sans oublier le développement du  parc à thème littéraire : on pense au succès du Parc Astérix, du Wizarding world of Harry Potter en Floride, du Dickens world en Angleterre ou du Parc du Petit Prince en Alsace. 

On aurait tort de penser que ces phénomènes de mise en objet de la littérature sont réservés à des univers enfantins, à des champs de la littérature délégitimés, ou uniquement liés au développement des franchises transmédiatiques, c’est-à-dire à des gadgets ou à des objets infâmes. D’abord ces pratiques d’objectivation du littéraire se retrouvent aussi dans la passion bibliophile ou dans la pratique de la collection littéraire, au sens éditorial comme au sens de loisir. Les Goncourt ont ainsi été des collectionneurs passionnés de livres-objets. Certains écrivains, comme Colette, tiraient parti de cette passion et vendaient parfois leurs manuscrits à des amateurs aisés. Le livre comme objet cumule différents systèmes de valorisation, qui n’entrent pas toujours en conflit : le Club français du livre, les éditions Jean de Bonnot, ou bien encore des initiatives récentes telles que le Musée des lettres et manuscrits, rendent compte de cette variété d’usages et de transactions auxquels peut donner naissance le goût de la chose littéraire.

Surtout semblent se développer depuis quelques années des pratiques d’exposition de la littérature chez des artistes consacrés comme le Britannique Liam Gillick qui a pu en 2005 écrire un roman Construccion de Uno tout en exposant des œuvres, sculptures ou installations, qui matérialisent des situations prises dans l’intrigue du roman.

 

Tous ces exemples témoignent d’un paradoxal recul d’une approche livresque ou logocentrée pour une vision plus matérielle et sensible du champ littéraire. Notre objectif est d’analyser comme un continuum ces pratiques, d’en faire l’histoire, et de tenter d’en dégager les significations. Ces « objets insignes et objets infâmes » de la littérature témoignent d’une évolution constante du régime de matérialité du littéraire, où se trouve toujours interrogée la valeur de la littérature, entre singularité et standardisation culturelle.

Doit-on penser que ce processus de réification contribue à rendre la littérature plus visible, plus accessible, plus démocratique, plus présente dans une société marchande, ou bien doit-on au contraire redouter sa muséification, son figement dans un passé qui assèche le potentiel créatif du littéraire ? Est-on du côté d’une fétichisation, d’une marchandisation, bref, d’un phénomène d’industrialisation, ou d’une démocratisation du littéraire qui assure sa réinvention ? Comment évaluer le rôle joué, dans ce phénomène, par l’évolution des supports, des pratiques et même des imaginaires littéraires ?

 Ce colloque de deux jours se tiendra les 19 et 20 novembre 2015 au Celsa (Paris). Il est organisé par l’équipe du Gripic (Celsa, Université Paris-Sorbonne) et par l’équipe Rirra21 de l’université de Montpellier III, dans la lignée des journées d’études sur l’écrivain comme marque (à paraître aux Presses universitaires de Paris Sorbonne) et de la réflexion sur les pratiques et usages médiatiques de la littérature conduite par ces deux équipes.

 

Les propositions de communication pourront s’inscrire dans les axes suivants  (sans exclusive) :

  • Des études de cas précis montrant sur quels processus sémiotiques, médiatiques, économiques, symboliques et littéraires repose cette mise en objet de la littérature. Comment la littérature est-elle qualifiée par ces pratiques ? Charisme médiatique de l’écrivain, extension de l’imaginaire fictionnel, capacité d’une incarnation plastique, efficacité de nouveaux canaux médiatiques, mises en franchise de la littérature, sont autant de pistes à envisager pour ce premier axe.
  • Une réflexion sur les pouvoirs et les usages de la littérature. Que nous disent ces objets de la place de la littérature dans la société ? La figure de l’écrivain y connaît-t-elle une forme de resacralisation, ou bien ne fait-elle que subir un phénomène de dilution qui lui fait perdre sa distinction, au profit de sa commercialisation ? Comment interpréter le fonctionnement de la valeur littéraire ou culturelle dans un marché industrialisé qui  mêle indissociablement valeur symbolique et valeur marchande ?
  • Des analyses interrogeant le fonctionnement de cette mimésis (matérielle) de la mimésis (littéraire).  Comment ces objets représentent-ils la littérature ? Que choisit-on de l’œuvre, ou de l’auteur, pour symboliser le littéraire ? Citations, brèves ou longues, inscription des signatures, reproduction d’un portrait simplifié ou réinterprété, capsules fictionnelles, sont autant de voies par lesquelles se conserve, en se transformant, quelque chose de la littérarité, en dehors même de l’œuvre littéraire.

 

Les propositions (250 mots, quelques lignes de curriculum vitae, coordonnées complètes et mention de l’institution d’attache) seront à envoyer par courriel avant le 31 mai 2015 à  Marie-Ève Thérenty (marieeve.therenty@sfr.fr) et Adeline Wrona (adeline.wrona@paris-sorbonne.fr). Les réponses seront données avant l’été.