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Nouveau(x) monde(s) : nouvelles perspectives ?

Nouveau(x) monde(s) : nouvelles perspectives ?

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Gatien Gambin )

Au XVIe siècle paraît en France un ouvrage intitulé Mundus Novus qui se présente comme la traduction d’une lettre de l’explorateur Amerigo Vespucci. Cet ouvrage popularise l’expression « Nouveau Monde » qui désigne l’Amérique, un territoire qui s’oppose à l’Europe, l’Ancien Monde. Le concept repose ainsi sur la rupture entre deux espaces, sur un changement, un passage du vieux au neuf. L’expression cristallise alors les promesses du continent américain. Peu à peu le Nouveau Monde est devenu un mythe s’articulant autour d’un désir d’extension des limites géographiques – la frontier américaine –, sur un appel à la découverte, sur un désir de changement, de rupture avec des modèles d’un autre temps. Mais le mythe s’effrite et le déboulonnage récent de statues de Christophe Colomb montre que le concept de Nouveau Monde s’appuie aussi sur une histoire et un imaginaire colonialistes. Cela invite à se demander si la promotion du neuf ne cacherait pas le recyclage des défauts de l’ancien. 

On peut se poser la même question à propos des (très) nombreuses promesses de nouveaux mondes qui alimentent le monde contemporain. Qu’il s’agisse d’un nouveau monde du travail, industriel, numérique, médiatique, religieux, technologique, politique, social, etc., on s’interroge quant à leur véritable nouveauté, aux nouvelles perspectives qu’ils offrent. S’agit-il d’autres mondes ? S’agit-il de mondes futurs ? S’agit-il de mondes inédits ? S’agit-il de mondes actualisés ? La notion même de monde pose question dans cet usage courant du concept de « Nouveau Monde ». Ces mondes sont-ils de nouveaux territoires ? De nouveaux champs ? De nouveaux paradigmes ?

Ce colloque se présente comme un espace de réflexion sur le concept de « Nouveau Monde » en interrogeant les représentations des nouveaux mondes. Les communications pourront porter sur différentes périodes historiques et sur différents médiums. De même, le choix des disciplines n’est pas limité pourvu que les communications portent sur des enjeux de représentations, fictionnelles ou non, afin de réfléchir collectivement aux perspectives et aux promesses qui sous-tendent le concept de nouveau(x) monde(s).

1.      Représenter de nouveaux mondes imaginaires 

Un nouveau monde est un monde que l’on imagine, que l’on raconte. En somme, c'est un monde que l’on fictionnalise. Les genres et sous-genres de l’imaginaire, en particulier les œuvres de SFFF (science-fiction, fantasy, fantastique), font de la création d’un monde nouveau un enjeu principal. Pensons par exemple à la mythologie de la Terre du Milieu de J.R.R Tolkien (Le Silmarillion, 1977) ou aux exergues diégétiques de Frank Herbert (Dune, 1965) : ces procédés participent à façonner des univers denses et cohérents, à faire du worldbuilding. Pour autant il semble qu’inventer des mondes n’est pas le propre des fictions de l’imaginaire du XXe et XXIe siècle. Les contes ne nous entraînent-ils pas dans un nouveau monde par la simple formule « Il était une fois » ? Dante n’avait-il pas imaginé un monde qui s’écarte du nôtre en concevant les trois parties de sa Divine Comédie ? Homère ne racontait-il pas déjà un nouveau monde peuplé de monstres et de magie dans son Odyssée ? Ce colloque sera l’occasion d’interroger les processus de création de mondes nouveaux en croisant les époques, les pratiques et les genres. L’avènement du numérique dans les productions fictionnelles contemporaines offre aussi de nouveaux territoires dans lesquels concevoir des univers. A l’heure de la culture de la convergence, un nouveau monde gagne en consistance en multipliant les supports. On s’intéressera alors aux enjeux transmédiatiques du worldbuilding

Chaque proposition d’un nouveau monde semble par ailleurs se construire à partir d’un imaginaire de la promesse. Il y a d’abord la promesse d’un univers a priori différent du nôtre qui est faite à celles et ceux qui reçoivent ces fictions. A travers des réflexions sur la réception des œuvres on pourra questionner leur nouveauté : y a-t-il une découverte dans ces nouveaux mondes ? Comment se manifeste-t-elle ? Dans quelle mesure se démarquent-ils du monde réel ? Que nous disent-ils du monde réel ou d’une autre époque ? Il y a ensuite l’imaginaire de la promesse qui dynamise les fictions elles-mêmes. On observe deux polarités dans les récits où le monde, la société, est construit sur une promesse : il y a celle que l’on tient et celle que l’on déçoit. Une dichotomie qui apparaît nettement dans le couple utopie/dystopie. Dans ces fictions, les mondes proposés présentent un avenir radieux ou bien catastrophique. Aussi les communications pourront porter, sans s’y limiter, sur des imaginaires positifs tels que le genre Solarpunk ou pessimistes comme les fictions climatiques ou post-apocalyptiques.

2.      Représenter de nouveaux mondes réels

Le Nouveau Monde américain était un territoire plein de promesses pour les colons européens. Tout phénomène de migration s’appuie sur des espérances : on quitte un lieu dans l’espoir d’en découvrir un meilleur après un long voyage. Tout nouveau territoire relève du mythe de la Terre Promise. Ainsi se construisent les imaginaires de la migration. Ils méritent d’être étudiés en s’intéressant non plus aux causes de ces migrations mais aux perspectives des migrant.e.s. Promet-on un monde différent à des colons ou à des réfugiés ? Que projettent les migrant.e.s quand ils quittent leur pays ? Ces projections varient-elles en fonction des raisons du départ ? Il est aussi possible d’étudier ces imaginaires en analysant le ou la migrant.e en tant que figure littéraire. Les corpus pourront puiser dans les récits du bassin méditerranéen (hispanophones, italophones, arabophones, francophones, etc.) et plus largement du continent européen, mais nous sommes ouverts aussi aux travaux s’intéressant à d’autres continents. 

Un nouveau monde peut aussi apparaître après une crise majeure, qu’elle soit politique, économique, écologique, sanitaire, etc. Nous nous interrogerons sur les représentations des mondes d’après renaissant des crises majeures. Minuit le 8 mai 1945 marque par exemple l’Heure Zéro (Stunde Nulle), la fin de la seconde guerre mondiale et l’entrée dans une nouvelle période historique. Ce monde post-seconde guerre mondiale est-il mis en scène de manière radicalement différente ? Depuis s’ensuivent des mondes post-... : le monde post-68, le monde post-guerre froide, le monde postmoderne, le monde post-11 septembre ou encore le monde post-COVID actuellement. On s’interrogera sur les représentations des imaginaires du post- en observant leur traitement des évolutions sociétales : desquelles s’inspirent-ils ? lesquelles alimentent-ils ? 

Le passage à un nouveau monde est une affaire de mouvements de fond entraînant d’importants changements idéologiques. On assiste aujourd’hui à un passage dans un nouveau monde de l’entreprise souhaitant dépasser le taylorisme vers de nouvelles pratiques managériales centrées sur le bien-être des employé.e.s. Comment s’incarnent les nouvelles idéologies du travail à travers la fiction ou le documentaire (gig economy, humanisme managérial, start-up nation) ? A l’échelle individuelle on assiste à l’émergence d’une autre tendance à travers la prépondérance de l’aspiration au bonheur et de l’acceptation de soi. Il serait utile d’observer les représentations de ces tendances. Une autre mutation intéressante concerne la religion. D’après Marcel Gauchet nous serions passés d’un monde religieux à un monde démocratique (Gauchet, 1985) à force d’individualisme et de désenchantement du monde. Comment les fictions ou les documentaires traduisent ce changement de monde ? Ces mouvements de fond restent des exemples et cet axe du colloque s’intéresse avant tout à l’étude des représentations de mondes réels dont on fait la promesse qu’ils seront nouveaux. Une question sous-jacente persiste alors : offrent-ils de nouvelles perspectives ?

 
A travers l’étude des fictions et des phénomènes sociaux, ce colloque sera donc l’occasion d’explorer des enjeux de création et de poétique et d’observer l’évolution des sociétés. Il permettra d’étudier les représentations de nombreux types de changements pouvant amener à un nouveau monde. Les différentes pistes de réflexion proposées pourront être bousculées. Elles n’ont pas vocation à être imperméables, bien au contraire.

Organisation du colloque : 

Le colloque « Nouveau(x) monde(s) : nouvelles perspectives ? » se destine en priorité aux jeunes chercheurs et jeunes chercheuses, que vous soyez doctorant.e, attaché.e temporaire d’enseignement et de recherche ou chercheur.euse postdoctorat. 

Les communications seront de 20 minutes (suivies de 10 minutes de questions). Les propositions titrées et d’une page maximum accompagnées d’une brève bio-bibliographie sont à adresser à Fantine Beauvieux (fantine.beauvieux@univ-lorraine.fr) et Gatien Gambin (gatien.gambin@univ-lorraine.fr). 

Les actes du colloque seront publiés sur le carnet Hypothèses du LIS (https://lis.hypotheses.org/).

 Calendrier : 

 • Date limite de soumission : 4 mars 2022

• Date de réponse : 8 avril 2022

• Date et lieu du colloque : jeudi 13 et vendredi 14 octobre 2022 à Nancy

 Comité d’organisation : 

Fantine BEAUVIEUX (doctorante, Université de Lorraine, LIS)

Gatien GAMBIN (doctorant, Université de Lorraine, LIS)

 Comité scientifique :

Anne COUSSEAU (Maîtresse de conférences HDR en littérature française, Université de Lorraine, LIS)

Alain GENETIOT (Professeur de littérature française des XVIe et XVIIe siècles, Université de Lorraine, LIS)

Victor-Arthur PIEGAY (Maître de conférences en études culturelles, Université de Lorraine, LIS)

Clotilde THOURET (Professeure de littérature générale et comparée, Université de Lorraine, LIS)

 Bibliographie :

Dossier « Les mots de l’exil dans l’Europe du XIXème siècle », in hommes et migrations [En ligne], n° 1321, Paris, Musée national de l’histoire de l’immigration, 2018. URL : https://journals-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/hommesmigrations/4106 

Dossier « Migrations et création littéraire », in hommes et migrations [En ligne], n° 1321, Paris, Musée national de l’histoire de l’immigration, 2018. URL : https://journals-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/hommesmigrations/11039

ATTALAH Marc, « Utopie et dystopie. Les deux sœurs siamoises », in Fabula - Atelier [En ligne], 2016. URL : https://www.fabula.org/atelier.php?Utopie_et_dystopie_deux_soeurs_siamoises

BESSON Anne, Constellations : des mondes fictionnels dans l’imaginaire contemporain, Paris, Editions du CNRS, 2015.

BESSON Anne et MANFRIN Frédéric (dir.), « World-building : création de mondes et imaginaires contemporains », in Revue de la Bibliothèque Nationale de France, no.59, Paris, BnF éditions, 2019.

CABANAS Edgar et ILLOUZ Eva, Happycratie : Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Paris, CPI, Premier Parallèle, 2018.

CHASSAY Jean-François, CLICHE Anne Elaine, GERVAIS Bertrand, « L’imaginaire de la fin, 25 ans plus tard », in Les Balados OIC - Encodage, n°27 [Podcast], Montréal, Observatoire de l’Imaginaire Contemporain, 2021. URL : http://oic.uqam.ca/fr/node/71901 

EYRAUD Corine et LAMBERT Guy, Filmer le travail. Films et travail : Cinéma et sciences sociales, Aix-en-Provence, PU de Provence, coll. « Hors Champ »,  2010.

FOUILLET Aurélien, L’Empire Ludique : Comment le monde devient (enfin) un jeu, Paris, Editions François Bourdin, coll. « Penser le monde », 2014.

FOUQUET Thomas, « Imaginaires migratoires et expériences multiples de l’altérité : une dialectique actuelle du proche et du lointain », in Autrepart, n°41, Paris, Institut de Recherche pour le Développement, Presses de Sciences Po, 2007, p. 83-98. Disponible en ligne : https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/journal-autrepart-2007-1-page-83.htm?contenu=resume 

FRANÇOIS Pierre, LEMERCIER Claire, Sociologie historique du capitalisme, Lisieux, coll. « Grands Repères : Manuels », La Découverte, 2021.

GAUCHET Marcel, Le Désenchantement du monde, L’avènement de la démocratie : le Nouveau Monde, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2005 [1985].


GENEFORT Laurent, Architecture du livre-univers dans la science-fiction, à travers cinq œuvres : Noô de S. Wul, Dune de F. Herbert, La Compagnie des glaces de G.-J. Arnaud, Helliconia de B. Aldiss, Hypérion de D. Simmons, thèse sous la direction de Denise Terrel, Université de Nice-Sophia Antipolis, 1997.

GOEPPER Sibylle et MARTIN Dana. « L’“heure zéro” (Stunde Null) entre mythe et réalité dans la société et la culture : éléments d’introduction », in Allemagne d'aujourd'hui, vol. 224, no. 2, Villeneuve d’Ascq, PU du Septentrion, 2018, pp. 70-80.

JENKINS Henry, La Culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris, Armand Colin, 2013.

KRASTEV Ivan, Est-ce déjà demain ? Le monde paradoxal de l’après-Covid-19, Paris, Premier Parallèle, 2020.

LAVOCAT Françoise (dir.), La Théorie littéraire des mondes possibles, Paris, Editions du CNRS, 2010.

SALANSKIS Jean-Michel, « Fiction des mondes », in Alliage, n°60, « Que prouve la science-fiction ? », Nice, juin 2007. Disponible en ligne : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3503 

SCHAEFFER Jean-Marie, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1999.

SIEGEL Claire, « La gamification du monde : Bienvenue dans l’empire du ludique ! », in BIAGINI Cédric et MARCOLINI Patrick (dir.), Divertir pour dominer 2 : La culture de masse toujours contre les peuples, Condé-en-Normandie, L’Echappée, coll. « Pour en finir avec », 2019, pp.119-133.