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Le XIXe siècle en série(s) (Atelier de la SERD & Musée d'Orsay, Paris)

Le XIXe siècle en série(s) (Atelier de la SERD & Musée d'Orsay, Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Marine Le Bail)

La série télé à l'heure du XIXe siècle".

Atelier SERD / Musée d'Orsay / équipe PLH-ELH

Musée d'Orsay, Paris.

23 mars 2021

 

L’époque contemporaine voit « une part vertigineuse des objets culturels qui nous entourent met[tre] en jeu les mécanismes d’une communication sérielle » caractérisée par la multiplicité et la diversité de de ses supports (Matthieu Letourneux). Le triangle traditionnellement formé par un auteur, son œuvre et son lecteur a laissé place à des mécanismes de réception protéiformes, au gré de la circulation d’une matière fictionnelle qui essaime d’un support et d’un public à l’autre avec une facilité déconcertante. Du roman à la bande-dessinée, en passant par le film, l’animation ou encore les produits dérivés, les univers fictionnels se déclinent à l’envi, faisant fi des frontières génériques, esthétiques ou médiatiques.

Parmi ces nouveaux modes de diffusion du récit, la série télévisée occupe aujourd’hui une place privilégiée, au point d’apparaître comme un « laboratoire incontournable de la fiction » (Claire Cornillon). Déjà forte d’une tradition de plusieurs décennies, initialement en butte à une défiance qui n’est pas sans rappeler les réserves formulées par les contempteurs de la « littérature industrielle » à l’encontre du roman-feuilleton, la série télévisée s’est en effet définitivement imposée comme un espace de création particulièrement fécond. Le succès à la fois commercial et critique de sagas majeures comme Game of thrones est ainsi révélateur de la légitimité progressivement conquise par un médium de masse longtemps relégué du côté d’une « médiaculture » largement entendue comme « sous-culture ».

Or, on ne peut à cet égard qu’être frappé par la fortune du xixe siècle et par la place de choix qu’il occupe dans la série télévisuelle depuis ses débuts, aussi bien en France qu’à l’étranger, et en particulier dans le domaine anglo-saxon. Quant au petit écran français, on voir apparaître dès les années 1960 et 70 des séries inspirées de grands succès du xixe siècle, comme Rocambole (1964) ou Joseph Balsamo (1973). La tendance ne se dément pas dans les décennies suivantes : qu’il s’agisse de l’adaptation d’œuvres majeures de la période (Le Comte de Monte-Cristo de Josée Dayan, The Paradise par la BBC), de docu-fictions en plusieurs épisodes sur la vie de personnalités célèbres, dans la tradition des biopics (Balzac de Josée Dayan, Victor Hugo, ennemi d’État sur France télévisions), ou encore de fictions originales librement situées dans un cadre dix-neuviémiste (la série Mystère à Paris de France 2), le xixe siècle s’affirme comme un formidable réservoir d’intrigues, de motifs, de figures et de décors que la série télévisuelle investit et réactive à l’envi.

Le spectateur contemporain semble ainsi fasciné par une époque perçue, à bien des égards, comme une préfiguration de notre société actuelle, mais qui s’en distingue par le caractère historiquement datable et visuellement daté de ses espaces, de ses silhouettes, ou encore de ses costumes. Calèches tirées par des chevaux, rues pavées, boulevards haussmanniens éclairés au gaz, corsets et crinolines, gants et redingotes, agissent comme autant de marqueurs temporels qui produisent sur le lecteur-spectateur un effet conjugué de familiarité et d’étrangeté. Car la particularité des séries qui investissent le xixe siècle réside dans la production d’un effet de reconnaissance rendu possible par le poids de cette période dans notre imaginaire collectif, que ce soit sous la forme d’images ou de récits ; la série suscite ainsi chez le spectateur la satisfaction de retrouver sous une forme plus ou moins altérée du déjà-lu, du déjà-vu ou du déjà-entendu.

Tirant profit d’une dialectique constante entre ressemblance et dissonance, entre conformité et écart, entre plaisir de la répétition et esthétique de la surprise, la série devient ainsi un moyen privilégié de combler notre « désir d’images » du xixe siècle (Charles Grivel) – images mouvantes, images parlantes –, et nous pousse à interroger nos propres catégories de réception et de représentation de cette période. À quelle « invention du xixe siècle » notre époque procède-t-elle en investissant le médium de la série télévisuelle ? Quels récits de fondation, de filiation ou de rupture les séries prenant le xixe siècle pour cadre nous en livrent-elles une version largement mythifiée ?

Les réflexions des participant.e.s pourront s’inscrire, sans exclusivité, dans l’un des axes suivants :

Du feuilleton à la série : sérialité, séquentialité, périodicité : à l’instar du roman-feuilleton auquel on l’a souvent comparée, la série télévisuelle s’inscrit dans une durée scandée par la diffusion progressive des saisons ou des épisodes, selon une périodicité hebdomadaire, mensuelle, annuelle, etc. Dans la lignée des travaux de Marie-Ève Thérenty, on s’intéressera au rythme « syncopé » propre à la forme-série, à la tension constitutive qu’elle manifeste entre tendance à l’autonomisation de chaque épisode et maintien d’une cohérence d’ensemble, et aux conséquences de ces contraintes sur l’économie du récit. En jetant un pont entre feuilleton textuel et série télévisuelle, on pourra également s’intéresser aux mécanismes de ritualisation sociale qui s’élaborent autour de ces objets culturels qui favorisent une réception à plusieurs détentes (de la lecture collective à haute voix au xixe siècle au visionnage en groupe d’un épisode aujourd’hui).

Répétition, redondance et stéréotype : si l’on en croit Ilona Woronow et Jonathan Fruoco, « la série est à l’origine d’un plaisir unique provoqué par la reconnaissance des formes répétées et par l’examen de leurs altérations successives ». Structurellement adepte des mécanismes de répétition, de duplication, de redondance, la série aurait naturellement partie liée avec la notion de stéréotype, voire de cliché. La série Mystère à Paris (France 2) se déroule ainsi systématiquement dans des lieux présentés comme « emblématiques » du Paris fin-de-siècle : tour Eiffel, Moulin Rouge, Opéra…Quant à la série Maison close (Canal +), elle investit sans complexe les topoï liés à la prostitution de la Belle-Époque et multiplie les prises de vue évocatrices de l’univers pictural d’un Toulouse-Lautrec (femmes déambulant en corset et bas, abus de psychotropes, érotismes déviants, etc.) Il s’agira ainsi de montrer en quoi la forme-série fonctionne en interaction avec un imaginaire visuel et narratif déjà constitué en mettant sous les yeux du spectateur un xixe siècle « pré-fabriqué ».

Adaptations et déclinaisons transmédiatiques : de même que le cinéma, la série télévisuelle pose la question de l’adaptation de l’œuvre littéraire, qui change à la fois de support – passant de l’imprimé à l’écran –, de mode de réception – de la lecture individuelle ou de la représentation théâtrale au visionnage –, et de genre. Des œuvres relevant initialement du récit écrit, comme la nouvelle ou le roman, ou de la mise en scène, dans le cas du théâtre, assument dès lors un statut plurigénérique qui ne va pas sans tensions, écarts ou dissonances. Comment un récit dix-neuviémiste peut-il s’adapter (au sens plein du terme) aux contraintes propres au médium audiovisuel ? Dans quelle mesure ce basculement de dispositif influe-t-il sur sa réception au point d’en reconfigurer le public ? On pourra en particulier s’intéresser aux usages pédagogiques ou vulgarisateurs développés autour de la série, perçue comme un moyen de faire connaître au plus grand nombre des œuvres « classiques » parfois considérées comme d’accès difficile. On pense par exemple à la série Chez Maupassant : contes et nouvelles, diffusée sur France 2.

La série comme fabrique mythique : par son aptitude à bâtir des récits collectifs, par sa capacité d’inscription dans un temps long qui peut couvrir plusieurs années, la série télévisuelle, surtout lorsqu’elle adopte la forme du cycle (Lise Dumasy-Queffélec), apparaît comme un espace de création particulièrement fécond pour élaborer de nouveaux mythèmes offerts comme autant d’opérateurs de lisibilité au spectateur contemporain. Autour de schémas narratifs récurrents (chute / rédemption, transgression / châtiment), la série télévisée nous propose un xixe siècle érigé au rang de mythe fondateur, au miroir duquel le xxie siècle naissant s’efforce d’appréhender sa propre genèse.

Les propositions de communications (un titre accompagné d’un paragraphe de 500 mots maximum) seront à envoyer d’ici le 30 juin 2020 à l’adresse mail suivante : marine.le.bail1830@gmail.com

Organisatrice : Marine Le Bail

Comité scientifique :

José-Luis Diaz, Mathilde Labbé, Marine Le Bail,

Matthieu Letourneux, Émilie Pézard, Marie-Clémence Régnier, Scarlett Reliquet.

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Bibliographie sélective :

De l’écrit à l’écran. Littératures populaires : mutations génériques, mutations médiatiques, Jacques Migozzi dir., Limoges, PULIM, « Littératures en marge », 2000.

L’Invention du xixe siècle. II. Le xixe siècle au miroir du xxe, Alain Corbin, José-Luis Diaz, Stéphane Michaud et al. dir., Paris, Klincksieck, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2002.

Imaginaire sériel. Les mécanismes sériels à l’œuvre dans l’acte créatif, Jonathan Fruoco, Andréa Rando Martin et Arnaud Laimé dir., Grenoble, UGA éditions, 2017.

Aubry, Danielle, Du roman-feuilleton à la série télévisuelle : pour une rhétorique du genre et de la sérialité, Bern, P. Lang, 2006.

Cornillon, Claire, Sérialité et transmédialité. Infinis des fictions contemporaines, Paris, H. Champion, « Bibliothèque de littérature générale et comparée », 2018.

Goudmand, Anaïs, « Etude d’un cliffhanger dans Sherlock (BBC) », forumlecture.ch, n° 1/2018 https://www.leseforum.ch/sysModules/obxLeseforum/Artikel/620/2018-1-goudmand.pdf

Goudmand, Anaïs, « Downtown Abbey : le triomphe du dialogue et du consensus », dans Le Magasin du XIXe siècle, n° 5, 2015, pp. 223-226.

Hamon, Philippe, Imageries. Littérature et image au xixe siècle, Paris, J. Corti, 2001.

Hopkins, Fleur, « Westworld sur HBO : simulacres et mise en spectacle du XIXe siècle », Pages Culture du site de la SERD, juillet 2017, URL : https://serd.hypotheses.org/745

Jeannerod, Aude et Sara Vitacca, « Du roman feuilleton à la série télévisée : The Paradise et Il Paradiso delle signore, adaptations d’Au bonheur des dames de Zola », dans Le Magasin du XIXe siècle, n° 7, 2017, pp. 200-203.

Letourneux, Matthieu, Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, Paris, Seuil, « Poétique », 2017.

Levet, Natacha, « Sherlock Holmes, un héros pour notre temps ? », Le Magasin du XIXe siècle, n° 6, 2016, pp. 202-205

Thérenty, Marie-Ève, La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au xixe siècle, Paris, Seuil, « Poétique », 2007.

Thiesse, Anne-Marie, Le Roman du quotidien. Lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque, Paris, Seuil, « Points histoire », 2000.