La critique d’art face aux pratiques éco-socialement engagées : nouvelles écritures, nouveaux enjeux ? (Rennes)
Colloque international
« La critique d’art face aux pratiques éco-socialement engagées : nouvelles écritures, nouveaux enjeux ? »,
Rennes, du 13 au 15 octobre 2026
À l’occasion du 58e Congrès de l’Association internationale des critiques d’art (AICA) qui se déroulera du 12 au 16 octobre 2026 à Rennes, l’Université Rennes 2, l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et l’AICA, les trois membres fondateurs du GIS Archives de la critique d’art, organisent un colloque international consacré à la critique d'art et ses renouvellements face aux enjeux défendus par les pratiques artistiques éco-socialement engagées.
Face au redéploiement, depuis les années 2000, des relations entre art, société et politique, sous l’effet de nouvelles formes d’engagement artistique, de contestation institutionnelle et de pratiques collaboratives, ce colloque propose d’interroger les fonctions sociales, culturelles et politiques de la critique d’art contemporaine.
La critique d’art s’entend ici comme un ensemble de discours contribuant à une évaluation de l’art contemporain, une instance de légitimation soucieuse des contextes esthétiques et socio-politiques desquels surgissent les œuvres, sensible à leur inscription plus large dans des pratiques historiques et à leur historicité. Ce faisant, elle donne forme à des pratiques littéraires qui, en retour, sont prescriptrices dans le champ des pratiques visuelles.
La réflexion prend appui sur plusieurs jalons de l’histoire critique récente.
D’une part, les travaux de Claire Bishop et son débat avec Grant H. Kester (2006) ont initié un renouvellement du regard critique sur les pratiques artistiques participatives ou collaboratives. En insistant sur la nécessité d’évaluer ces œuvres non seulement selon les effets et réactions qu’elles suscitent dans la société (du point de vue de la réception des publics comme de l’évaluation des politiques culturelles), mais aussi en tenant compte de leurs formes esthétiques, Bishop affirme que « le tournant social dans l'art contemporain a entraîné un tournant éthique dans la critique d'art ». Cette reconfiguration interroge directement la manière dont la critique d’art elle-même peut accompagner des pratiques où les interactions sociales deviennent matériaux de l’œuvre. Elle a en outre favorisé l’émergence de nouveaux discours sur les relations entre art, politique et critique dans un contexte de renforcement des antagonismes (Marchart 2019). Au passage du millénaire, les contradictions inhérentes aux relations entre institutions muséales et/ou curatoriales et pratiques militantes dans un contexte de transformations des cadres de production et d’exposition en sont l’une des manifestations directes, dont témoignent notamment le New Institutionalism ou l’idée de « spectateur émancipé » formulée par Jacques Rancière. Ces tensions ont notamment contribué à accentuer la confusion dans la distribution des rôles entre critiques d’art et curatrices et curateurs.
D’autre part, dans une Europe incitée au décentrement, voire « provincialisée » (Chakrabarty 2000), un événement comme la Documenta 15 (2022), placée sous le commissariat du collectif indonésien Ruangrupa, a illustré une tendance de l’art contemporain à s’ancrer profondément dans le monde social, ses formes d’organisation et ses luttes, bousculant les attendus du monde de l’art international face à ce type de manifestation. En mettant en avant des pratiques communautaires, collaboratives et déhiérarchisées, souvent contestataires des pouvoirs en place et prenant le contre-pied d’une hégémonie occidentale sur l’art contemporain, cette édition a rendu visible une crise généralisée des modèles curatoriaux dominants, mais aussi des formes traditionnelles de la critique d’art, de ses modes d’énonciation, de ses présupposés théoriques et de sa fonction de légitimation. Dans une perception rendue homogène d’un monde de l’art encore soumis aux impératifs d’un marché globalisé, la Documenta 15 atteste une hétérogénéité des manières de penser et de faire de l’art qui réclame un renouvellement des écritures critiques. Elle visibilise également la prise en compte de l’impératif écologique par des démarches artistiques qui, par une réflexion sur les outils de production ou les matériaux, appellent à un ecosocially engaged art dans la pratique.
Axes de réflexion
Dans cette perspective, le colloque vise à explorer un ensemble de questions au croisement de la théorie critique, de l’histoire de l’art et des sciences sociales :
- Comment la communauté critique accueille-t-elle les nouveaux modèles de production artistique et curatoriale, souvent collectifs, communautaires ou militants ?
- La prise en compte de nouvelles formes d’expression marginales, locales ou militantes (ZAD, luttes écologiques, collectifs indépendants, pratiques autonomistes…) engage-t-elle à de nouveaux récits ?
- Remodelant, de manière implicite ou explicite, les institutions de l’art, les logiques de validation symbolique, voire les dynamiques du marché, quels effets ces pratiques ont-elles sur la critique d’art : quelles formes d’écriture critique émergent-elles de ces expériences alternatives ?
- Face à ces objets artistiques pluriels, parfois processuels ou éphémères, quel est le nouveau « temps » de la critique ? Quels délais, quelles positions, quels outils ou médiums ces formes en prise avec l’événement suscitent-t-elles ?
- Quels modèles historiques sont remobilisés ou identifiés comme précurseurs par les artistes et critiques d’art engagés dans ces pratiques contemporaines ?
- Enfin, au-delà des polémiques – notamment celles suscitées par les accusations d’antisémitisme lors de la Documenta 15 –, comment ces tensions obligent-elles à repenser le rôle politique de la critique d’art aujourd’hui ?
Modalités
Le colloque se déroulera à Rennes, du 13 au 15 octobre 2026, en français et en anglais, dans le cadre du 58e congrès de l’AICA. Il s’adresse aux chercheuses et chercheurs en arts, en histoire de l’art, en philosophie, en sciences humaines et sociales, ainsi qu’aux artistes, critiques, curatrices et curateurs, actrices et acteurs du monde de l’art contemporain, qui s’impliquent dans une réflexion sur les formes d’engagement et les responsabilités sociales de la critique depuis trois décennies.
Les propositions de communication, rédigées en français ou en anglais, sont attendues au format PDF (environ 2 500 signes espaces compris). Elles devront exposer de manière explicite une question de recherche, un cadre théorique et méthodologique, ainsi que les principaux axes d’analyse envisagés. Chaque proposition sera accompagnée d’une courte présentation biobibliographique.
Les propositions sont à adresser à aca-direction@univ-rennes2.fr au plus tard le 16 février 2026. Elles seront étudiées en double aveugle par le comité scientifique (en cours de constitution).
Elles pourront s’inscrire dans les axes thématiques présentés ci-dessus. Le colloque sera également ouvert à des formes de communication non académiques, telles que des lectures, interventions performées ou conférences-actions, afin d’encourager le dialogue entre pratiques critiques, artistiques et théoriques.
Organisatrices et organisateurs :
Baptiste Brun (HCA – université Rennes 2), Émeline Jaret (PTAC – université Rennes 2), Marie Tchernia-Blanchard (HCA – université Rennes 2), Damien Delille (INHA), Sonia Recasens (AICA International) et Fabien Simode (AICA France).
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Bibliographie
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