Actualité
Appels à contributions
Colloque :

Colloque : "La violence en famille" (Poitiers)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Université de Poitiers)

Colloque international : La violence en famille

 

Université de Poitiers, CNRS, MSHS-CPER-FEDER Insect, Union Européenne, Grand Poitiers, Grand Angoulême, Région Nouvelle Aquitaine

10 – 11 – 12 avril 2019

sous la direction de Lydie Bodiou (Herma), Frédéric Chauvaud (Criham) et Marie-José Grihom (Caps)

 

PRÉSENTATION

La famille est tantôt présentée comme le dernier refuge des hommes et des femmes, dans un monde turbulent et imprévisible, tantôt comme une « institution » passéiste et délétère. Le célèbre cri d’André Gide dans Les Nourritures terrestres (1927) : « Familles je vous hais », dénonce le repli sur soi, les bonheurs égoïstes, les « foyers clos » et les « portes refermées ». La présente manifestation a pour visée de s’attacher à la face sombre de la cellule familiale et de s’arrêter tout d’abord sur les transgressions, puis de traiter de la place, du rôle et des interactions entre victimes et auteurs et enfin de s’interroger sur la place des enfants.

Transgressions

 Dans le célèbre ouvrage de Engels sur L’origine de la famille publié à la fin du XIXe siècle le lecteur découvrait que, dans le cadre du mariage conjugal d’aujourd’hui, « la femme se rebelle contre la domination de l’homme ». Pour lui, la famille monogamique devenait le creuset permettant toutes sortes d’écarts et d’éclats, un peu comme si la transgression, le mot n’était pas utilisé, était inhérente à la famille contemporaine.  Par la suite le thème familial est devenu, à plusieurs reprises, très sensible. Le Haut Comité de la Famille institué en 1939 a voulu promulguer un Code de la Famille, repris par le régime de Vichy. En 1941, on pouvait lire que le Code de la Famille entendait « protéger la famille française par les mesures les plus diverse : « aides matérielle aux chefs de famille, prêts aux jeunes ménages, protection de la « race » (lutte contre l’avortement, l’alcoolisme, les outrages aux bonne mœurs, les stupéfiants),… ».

La perception de la famille la place de ses membres est tributaire d’un contexte et d’une époque. La notion de transgression également. Dans les années 1930 des psychiatres pouvaient évoquer « les familles morbides » présentées comme celles où les dysfonctionnements étaient la règle et où les violences se multipliaient. Cette vision permettait de dédouaner toutes les autres familles et de ne pas s’interroger sur les violences latentes ou manifestes. Il est vrai que des dissentiments et violences font partie des « secrets de famille » qui ne sont pas portés sur la place publique et dont les effets s’avèrent pourtant redoutables.

Communément, la transgression consiste à passer outre, à ne pas respecter les usages, les coutumes et les lois. Pendant longtemps, battre sa femme ou ses enfants a été considéré comme une manifestation de l’autorité parentale et maritale. Le Code civil de 1804 avait fixé les choses et les transgressions se rapportaient à un emploi excessif de la correction ou de la force entraînant des blessures graves, un handicap ou même la mort. La transgression consiste à ne pas respecter les règles de vie communes à l’intérieur d’une famille en abusant ou en brutalisant l’un de ses membres.

Selon Georges Canguilhem, il existe des normes vitales qui ne s’appliquent pas qu’à la santé mais aussi au vivre ensemble. L’infanticide, le parricide, le féminicide, le viol, l’inceste et autres agressions violentes, par le geste ou la parole, constituent des transgressions. Certaines brisent des tabous, d’autres déchirent le contrat moral et juridique qui unit des couples et des générations. La transgression ne fait pas l’objet d’une perception et d’une définition unanimes. Pour les hommes et les femmes du XXe siècle les orgies en famille sous l’Antiquité étaient assimilées à une manifestation transgressive.

Aujourd’hui la transgression semble moins claire et, dans la famille, quelles significations peut-on lui donner ? Quels sont les interdits, à la fois dans une dimension spatiale, mais aussi historique, que les hommes et les femmes du passé, comme ceux d’aujourd’hui, ont respecté, ont été obligés de suivre ou bien encore se sont imposés ? On peut se demander si la transgression a été constituée en catégorie morale ? Normes culturelles, psychiques et sociales s’entrelacent et nécessitent, comme l’avait souligné aussi bien Alain Corbin que Michel Foucault, de réfléchir aux limites. La transgression, suggèrent-ils, lève l’interdit mais ne le fait pas disparaître.

De son côté, Freud et plusieurs de ses continuateurs ont évoqué la question d’un sur-moi défaillant. La transmission s’est avérée défaillante, rendant possible la maltraitance, la manipulation, l’asservissement, la brutalité. La transgression en famille ne concerne pas que l’intime, elle pose, des origines à nos jours, la question des possibles, des pratiques, de l’inacceptable, de la tolérance du groupe ou de la société et de la répression.

De la violence en famille aux violences : auteurs et victimes

Depuis 2013 plusieurs colloques et diverses actions ont été consacrés par notre équipe pluridisciplinaire afin de rendre compte de la violence faite spécifiquement aux femmes (Le corps en lambeaux), nos travaux les plus récents ont porté sur le meurtre de la femme ou féminicide (un ouvrage à paraître « On tue une femme » fin 2018). Mais les violences familiales sont plus larges que les violences conjugales et pourtant elles n’ont pas fait l’objet d’un traitement particulier. C’est en vain que l’on chercherait une histoire des violences familiales.

En 1903, Les Archives d’Anthropologie criminelle avait pourtant évoqué la notion de « répression familiale ». Le colloque d’avril 2019 vise à penser ce phénomène à la lumière : des logiques familiales (la famille est une institution, le premier groupe social, elle est à cet égard le creuset du rapport au monde pour les êtres qui la fondent et qui y naissent), des logiques du couple mais aussi de la fratrie, car cette dernière n’est pas exempte de violences sexuelles où la question du consentement est au premier plan, notamment à l’adolescence.

Si l’on a longtemps parlé d’atavisme, de facteurs de dégénérescence au XIXe siècle avec le développement de la médecine, si l’on met au premier plan le poids des toxiques dans la commission des méfaits (alcool et autres drogues), il s’agit également de resituer cette violence familiale, quelle qu’en soit la forme, dans une perspective mythologique, anthropologique, philosophique, historique, sociologique et sous l’angle des travaux modernes de psychanalyse familiale notamment.

L’ensemble de la mythologie grecque met en forme – dans une dimension constituante du lien social – du mythe d’Abel et Caïn, à l’infanticide de Médée en passant par les trangressions de l’Œdipe de Sophocle la mise en branle d’une violence fondamentale décrite magistralement dans l’œuvre de Shakespeare. Quelques travaux ont abordé par la suite la question de la médiatisation des violences intrafamiliales, ainsi l’ouvrage de A. Damet, La septième porte. Les conflits familiaux dans l’Athènes classique (2012) ou le parricide considéré comme l’exacerbation des violences familiales, du moins pour le XIXe siècle (S. Lapalus). Que sait-on des auteurs (hommes et femmes, adultes ou adolescents) dans leurs relations aux victimes ?

Un lien les unit – d’alliance ou de consanguinité – des liens affectifs d’amour, de haine, de possession et de jalousie s’y heurtent, des répétitions intergénérationnelles s’y déroulent, des pathologies y agissent qui conduisent à tuer pour tuer (S. de Mijolla) ou à jouir de la souffrance de l’autre. La victime existe-t-elle en tant que telle en ces cas ou n’est-elle que la pâle figure de l’objet de haine de l’auteur ? L’attention sera focalisée sur les contextes et les lectures plurielles des liens familiaux, conjugaux et fraternels pris dans le cycle de la violence avec leurs interactions destructrices.

La violence envers les enfants

« Le danger que risque de courir l'enfant ou qu'il court dans sa famille est le fondement de l'intervention en protection de l'enfance ; les mauvais traitements sont inclus dans la notion de danger » (ONED). Le premier texte de loi sur la protection des enfants du « premier âge » date, en France, de 1873, mais la grande loi de 1898 punit pour la première fois les ascendants, auteurs de violences, voies de fait et actes de cruauté commis contre leurs enfants (voir la Revue d’Histoire de l’enfance « irrégulière). Depuis de nombreuses législations se sont succédées jusqu’à la loi la plus récente de 2016.

« Dès son article 1er, la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant apporte une nouvelle définition du sens donné à la protection de l'enfant en plaçant ce dernier au centre de l'intervention. Les nouvelles dispositions légales renforcent la prise en compte de l'enfant et de ses besoins dans un parcours de protection (sécuriser le parcours de l'enfant, assurer une stabilité de vie...) et souhaitent aller dans le sens d'une meilleure cohérence en ce qui concerne les dispositifs, les pratiques et l'articulation institutionnelle. 

Cependant certaines limites sont à noter comme la difficulté de considérer la situation d'inceste, celle d'identifier et d'accompagner les mineurs privés temporairement de leur famille ou encore celle de la réforme de l'adoption. » Pour autant les chiffres sur la maltraitance restent alarmants ainsi que ceux sur l’infanticide. « 57 homicides sur mineur de moins de 15 ans ont été enregistrés en France métropolitaine par les services de police et de gendarmerie en 2016. Ce nombre a fluctué de manière irrégulière au cours des vingt dernières années, oscillant entre 39 et 106 faits. Sur le passé récent, il a connu un pic en 2015 avec 75 victimes comptabilisées (…), sur la période 1997–2006, ce nombre s’élevait en moyenne à 79 cas par an, tandis qu’entre 2007 et 2016, le volume moyen était de l’ordre de 57 homicides enregistrés chaque année » (Oned).

Comment concevoir sous un angle pluridisciplinaire qu’en dépit des dispositifs de protection précocement mis en œuvre (PMI) la place de l’enfant dans sa famille ne soit pas garantie et que la parentalité puisse engendrer des troubles et des handicaps parfois durables (bébé secoué, défaut de soin, etc.) et d’autres transgressions comme la prostitution des mineurs par exemple.

Si le viol-meurtre d’un enfant, révélé par l’affaire Soleilland en 1907, est devenu en quelques décennies le crime le plus épouvantable et le plus honni du public, l’infanticide est, lui, devenu le crime familial le plus abominé par l’opinion publique. Certaines affaires récentes, comme celles des bébés congelés, ont remis au premier plan l’impensable dont il est l’objet, pourtant par le passé les conditions faites aux enfants obligés de travailler à la ferme ou à la mine, dénutris et négligés, abandonnés loin de tout secours ont marqué notre histoire européenne.

Pour Jules Vallès, la violence paternelle conduit à la mort la petite Louisette. Pour certains auteurs, une recentration sur la psychologie de la mère permet aujourd’hui de comprendre partiellement ce crime que certains peuples continuent de pratiquer avec les nouveaux-nés filles. D’autres crimes n’ont pas l’évidence de l’assassinat, il en est qui plus sournois, couverts par l’ensemble du groupe familial comme dans le cas de « l’enfant au placard » ou, dans une certaine mesure, dans la triste affaire de « La séquestrée de Poitiers » (André Gide).

Il est aussi, dans le silence de la maltraitance psychologique, des « meurtres d’âme » que de grands auteurs ont su traduire que l’on songe à Poil de carotte de Jules Renard ou encore à Vipère au poing d’Hervé Bazin. L’inceste, l’autre transgression centrale au sein de la famille, appelée « les liaisons dangereuses » au XIXe siècle (Fabienne Giulani), peine à être pleinement reconnu, comme l’illustre l’affaire Violette Nozière, tant les enjeux familiaux construisent des digues face aux regards extérieurs et du déni en son sein. Dénoncer, c’est toujours risquer de perdre sa place au sein du groupe.

Cette troisième approche sera dédiée à l’étude interdisciplinaire de la violence exercée spécifiquement sur les enfants (maltraitances psychologiques et physiques, inceste, autres formes telles le syndrome de Stockolm). Située au plan historique et sociologique cette violence aux divers visages donnera lieu à l’analyse des mécanismes qui y sont impliqués : enjeux de pouvoir, d’argent, généalogiques, de filiation, narcissiques, etc. tant à travers la clinique des cas que de la littérature. Une perspective critique sur l’évolution du regard contemporain sur la violence faite à l’enfant sera le fil rouge à cette journée. 

 

PROPOSITIONS

Le présent colloque se veut véritablement pluridisciplinaire et les propositions historiques, psychologiques, littéraires, juridiques, sociologiques… sont éligibles. Il est demandé de présenter un bref résumé ou intention de 1000 signes et une courte notice bio/biblio de 500 signes.

Les propositions sont à adresser à Lydie Bodiou (lydie.bodiou@univ-poitiers.fr), Frédéric Chauvaud (frederic.chauvaud@univ-poitiers.fr) et à Marie-José Grihom (marie-josé.grihom@univ-poitiers.fr) avant le 15 novembre 2018. Les organisateurs assureront une réponse pour le 14 décembre.