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La pathologie dans les lettres et les arts (Sfax, Tunisie)

La pathologie dans les lettres et les arts (Sfax, Tunisie)

Publié le par Marc Escola (Source : Moez Rebai et Yamen Feki )

La pathologie[1] dans les lettres et les arts

Colloque international du département de français

Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax – Tunisie

3-4-5 mars 2022

 

Avec le surgissement de la pandémie de la Covid 19 il y a un peu plus d’un an, le monde entier a été déstabilisé, tourmenté, voire bouleversé, obéissant bon gré mal gré aux caprices de distanciation et d’enfermement imposé par ce terrible mal qui n’a pas manqué de changer le mode de vie de la quasi-totalité de l’humanité en proie à l’angoisse et à l’horreur. L’épidémie battant son plein, la plupart des pays se trouvent dans l’obligation de fermer leurs frontières et d’arrêter les transports de personnes et de marchandises, au risque de conduire le peuple au désespoir, à l’angoisse de la séparation, de la pénurie des vivres et de la mort qui commence à rôder et à faucher aveuglément les hommes comme un monstre. Confinement, quarantaine, asile, enfermement, éloignement, prudence, peur sont les maîtres mots régissant un nouveau mode de vie, où l’autre, si proche soit-il, en vient à représenter un risque de contamination et de décès, un véritable enfer, et où toutes les manifestations de la sociabilité et de la vie collective sont réduites au minimum. Et le coronavirus de concrétiser les scènes livresques des récits horribles des épidémies survenues aux quatre coins du monde à travers l’Histoire, dont certaines sont tragiquement évoquées dans La Peste d’Albert Camus, le roman d’une épidémie des temps modernes qui frappe Oran, la ville algérienne dans les années 1940[2].

Les lettres et les arts ont réservé divers traitements à la question de la pathologie en offrant différents tableaux de la souffrance des hommes victimes de maladies et d’épidémies qui remontent à l’antiquité, ainsi que leurs répercussions parfois irrémédiables dont la mort et l’exclusion. Les épidémies (du grec epidêmos, qui circule dans le pays) peuvent être considérées, à juste titre, comme un thème récurrent des littératures française et mondiale. Elles ont de tout temps suscité l’intérêt des écrivains mais aussi des artistes qui ont su, à travers les siècles, en tirer le meilleur parti.

Les épidémies qui se sont abattues sur l’humanité, apparaissent déjà chez les écrivains antiques les plus illustres tels Homère (L’Iliade), Sophocle (Œdipe roi), Virgile (Les Géorgiques) et Ovide (Les Métamorphoses), qui l’interprètent comme la manifestation de la colère divine[3], conformément à la doxa des anciens[4].

La Peste et la lèpre sont les deux épidémies les plus représentées dans la littérature médiévale[5]. Le fléau de la peste a également inspiré des peintres célèbres comme Raphaël (La Peste de Phrygie, 1506-1532)[6] et Nicolas Poussin (La Peste d’Ashdod, 1630). Dans les œuvres de la Renaissance, cette épidémie est surtout présente à travers les sonnets 93 et 94 des Regrets de Du Bellay et les Essais de Montaigne.

Bien que les épidémies aient marqué un pan considérable de la littérature antique et médiévale jusqu’au classicisme[7], les maladies, celles du corps aussi bien que celles de l’âme, ont toujours été, d’une manière plus générale, un sujet de prédilection pour les hommes de lettres. Dans certains textes de l’Antiquité et de la Renaissance, l’amour est considéré comme une maladie de l’âme, une mania qui se manifeste à travers des symptômes physiques. Dans ses Confessions, Rousseau, analyse sa « maladie de langueur », et beaucoup d’écrivains et de peintres du XIXe siècle, s’attardent sur les troubles mentaux et le « mal du siècle[8] », habituellement associé par les romantiques à la tuberculose. Mélancolie, hystérie et folie trouvent ainsi pleinement leur place dans les œuvres de Baudelaire, de Musset, des Goncourt, de Huysmans, de Mirbeau ou encore de Maupassant.

C’est également au XIXe siècle que naît le concept de l’écrivain-médecin annonçant l’avènement de l’ère de l’écriture de la maladie, fondée sur une description minutieuse de la souffrance des hommes. L’on assiste ainsi à une « médicalisation de la littérature » et à une mise en scène du pathologique. Il faut dire que « dans les divers réalismes et naturalismes, le physiologique est le plus souvent "happé" par le pathologique[9]. » Dans la Comédie humaine, immense œuvre de Balzac, se rencontrent tour à tour schizophrénie, dépression, hépatite, etc., et, en curieux témoin de la grande avancée médicale de l’époque, l’écrivain y décrit l’état corporel de ses malades désarmés contre le mal qui les ronge avec une étonnante précision clinique.

Par ailleurs, le XXe siècle connaît une production particulièrement foisonnante d’œuvres rattachées aux « fléaux modernes » que sont l’Alzheimer, le Sida et le cancer. La maladie engage certains écrivains à relater leurs propres expériences pathologiques ou celles de leurs proches[10].

Toutefois, les épidémies n’ont pas perdu leur place dans la littérature moderne qui voit l’apparition posthume du roman de Marcel Pagnol, Les Pestiférés, inspiré de la peste qui a sévi à Marseille en 1720[11]. Mais c’est La Peste de Camus qui reste sans conteste l’œuvre la plus marquante du siècle, puisque, non sans originalité, l’épidémie y est assimilée allégoriquement au nazisme décrié par l’écrivain. À l’orée de notre siècle, Fred Vargas publie un roman policier, Pars vite et reviens tard (2001), qui a pour toile de fond le « fléau de Dieu », la peste qui s’abat sur Paris.

Dans le cadre de ce colloque, nous voudrions nous interroger sur l’écriture des maladies, des épidémies et de l’exclusion qui en découle. Comment ces fléaux deviennent-ils source de réflexion et de création ? Comment leurs victimes sont-elles décrites ? Quelles sont les caractéristiques de leurs relations avec l’autre qui devient différent car il se porte bien ?  Quelles sont les diverses réactions à ces fléaux et à leurs victimes, qui pourraient varier entre la compassion, la solidarité, l’indifférence, la méfiance, l’intolérance, la marginalisation, la stigmatisation, l’opportunisme ? Autant de questions que non seulement les lettres et les arts pourraient soulever, mais qui constituent aussi une matière à réflexion pour la linguistique, la didactique et les sciences humaines, en particulier la philosophie et la sociologie. Nous nous proposons de répondre, dans le cadre d’un colloque pluridisciplinaire, à ces interrogations en examinant la représentation des maladies, des pandémies et de leurs répercussions dans la littérature, les arts et l’imaginaire collectif, ainsi que les questionnements que suscitent ces fléaux dans les champs de la linguistique, de la didactique et des sciences humaines.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons quelques axes de réflexion :

Écriture des maladies et des épidémies : comment celles-ci sont-elles considérées ? Quelle tonalité caractérise leurs récits ? Existe-il une spécificité stylistique et un lexique propices à la caractérisation des personnages atteints de maladies ou de pandémies et de leur souffrance ?

Stigmatisation des pestiférés, des lépreux et des porteurs des différentes épidémies et maladies dangereuses : dans quelle mesure la discrimination entre ces victimes et les gens qui se portent bien peut-elle être justifiée ? Quelle influence cette discrimination peut-elle avoir sur les rapports entre les hommes ?

Rapports entre les sciences et les fléaux sanitaires : malgré les progrès réalisés, la médecine est-elle capable de résoudre tous les problèmes des hommes en temps de pandémie et de maladies dangereuses ? N’a-t-elle pas besoin des réflexions, voire des critiques des écrivains, des philosophes et des sociologues pour une réponse plus efficace et équitable à ces fléaux ?

Étude du lexique des maladies et des pandémies à l’instar de l’apparition de nouveaux signes linguistiques comme le/la Covid et les problèmes liés à leur traduction dans les différentes langues.

Enseignement et didactique en temps de pandémie : quelles sont les nouvelles méthodes d’enseignement et comment sont-elles reçues et par les enseignants et par les apprenants ? Sont-elles efficaces ? Présentent-elles des perspectives prometteuses pour l’enseignement même en dehors des périodes de confinement ?

Calendrier :

Les propositions de communication (350 mots environ), accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 31 octobre 2021 à l’adresse électronique suivante : colloquepathologie@yahoo.com

Réponse du comité scientifique : à partir du 5 novembre 2021.

Comité scientifique :

Ali Abassi

Mohamed Bouattour 

Sylvie Brodziak

Arbi Dhifaoui

Norbert Gualde

François Laplantine

Kamel Skander

Mustapha Trabelsi

Sylvie Vignes

Comité d’organisation :

Dorra Abida

Hafedh Ben Ali

Ola Boukadi

Wafa Elloumi

Yamen Feki

Makki Rebai

Moez Rebai

*

Indications bibliographiques

Bayle (Ariane), (dir.), La contagion : enjeux croisés des discours médicaux et littéraires (XVIe-XIXe siècles), éditions universitaires de Dijon, 2013.

---, « Nommer la vérole. Quelques enjeux linguistiques et littéraires d’une maladie nouvelle au XVIe siècle », L’imaginaire des langues. Représentations de l’altérité linguistique et stylistique (XVIe-XVIIIe siècles), sous la dir. de S. Lardon et M. Rosellini, Les Cahiers de GADGES n°15, p. 115-132. Les cahiers du GADGES, Lyon : Université Jean Moulin Lyon 3, Centre de recherche Jean Prévost, GADGES, 2018.

Boissier-Ricossé (Marie-Thérèse), Étude sur la peste dans un certain nombre de romans français avec quelques remarques sur d’autres maladies épidémiques, thèse inédite, Aix-Marseille 1, 2005.

Cabanès (Jean-Louis), Le corps et la maladie dans les récits réalistes (1856-1893), Klincksieck, 1991.

Coste (Joël) : Représentations et comportements en temps d’épidémie dans la littérature imprimée de peste, 1490-1725 : contribution à l’histoire culturelle de la peste en France à l’époque moderne, Paris, Champion, 2017.

Delumeau (Jean), La peur en Occident, Paris, Fayard, 2008.

Felman (Shoshana), La folie et la chose littéraire, Paris, Seuil, 1978.

Foucault (Michel), Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972.

Gualde (Norbert), Les épidémies racontées par la littérature, Paris, L’Harmattan, 2016.

Hobart (Brenton), La Peste à la Renaissance. L’imaginaire d’un fléau dans la littérature au XVIe siècle, Garnier, 2020.

Johnson (Michael), « Écrire la maladie. Une lecture de LImmoraliste », Bulletin des Amis dAndré Gide, n°131-132, juillet-octobre 2001.

Laplantine (François), Anthropologie de la maladie. Étude ethnologique des systèmes de représentations étiologiques et thérapeutiques dans la société occidentale contemporaine, Payot, 1992.

Lavocat (Françoise), (dir.), Pestes, incendies, naufrages : écritures du désastre au dix-septième siècle, éd. Brepols, coll. Les styles du savoir, Tunrhout, 2011.

Milner (Max), (dir.), Littérature et pathologie, Presses universitaires de Vincennes, 1989.

Palud (Aurélie), La contagion des imaginaires : lectures camusiennes du récit d’épidémie contemporain, Presses universitaires de Rennes, coll. Interférences, 2020.

Papieau (Isabelle), Les héritages des guerres à la Covid-19. Des innovations nées de cataclysmes…, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques sociales, 2021.

Ponnau (Gwenhaël), La Folie dans la littérature fantastique, éditions du C.N.R.S., 1987.

Sontag (Susan), La maladie comme métaphore, Christian Bourgois Editeur, 2009, traduction de Marie-France de Paloméra, Brice Matthieussent.

 

[1] Nous retiendrons ici la deuxième définition que donne le Robert du mot « pathologie », à savoir « trouble, maladie ». Ces deux termes sont à prendre dans leurs acceptions les plus larges.

[2] Voir A. Camus, La Peste, Gallimard, 1985, p. 42.

[3] Chez Homère, c’est le dieu Apollon qui est à l’origine de la peste.

[4] Thucydide et Procope décrivent respectivement les pestes d’Athènes et de Constantinople. Leurs textes sont les premiers témoignages historiques sur l’épidémie.

[5] Citons, à titre d’exemple, la chanson d’Ami et Amile et les Congés de Jean Bodel et Baude Fastoul.

[6] Cette peinture a été reprise par le graveur Raimondi au début du XVIe siècle.

[7] La Fontaine, l’un des moralistes illustres du Grand Siècle, choisit de stigmatiser le système politique en place en comparant les courtisans hypocrites à des « Animaux malades de la peste ». Quelques décennies plus tard, au début du XVIIIe siècle, Daniel Defoe fait œuvre originale en publiant anonymement en 1722 son Journal de l’année de la peste, précieux témoignage historique sur les réactions humaines face à l’épidémie londonienne de 1665.

[8] Dans son tableau L’enfant malade (1885), Edvard Munch pleure sa sœur morte de la tuberculose à l’âge de 15 ans.

[9] J. – L. Cabanès, Le corps et la maladie dans les récits réalistes (1856-1893), Klincksieck, 1991, p. 14.

[10] Hervé Guibert, pour ne citer que son exemple, publie une trilogie autobiographique consacrée au récit de sa vie après sa contamination par le virus du Sida. Simone de Beauvoir écrit Une mort très douce (1964), texte qui rapporte les derniers jours de sa mère atteinte d’un cancer, et va même jusqu’à décrier le corps médical. Cette maladie est représentée par Monet qui déplore la disparition tragique de sa bien-aimée dans Camille sur son lit de mort (1879), et bien plus tard par Corinne Gégot dans L’homme malade, tableau qui date de 2012. Annie Ernaux, quant à elle, dédie Je ne suis pas sortie de ma nuit (1997), à sa mère exténuée par l’Alzheimer.

[11] Deux tableaux de Michel Serre permettent de conserver le souvenir du désastre, à savoir Vue du Cours pendant la peste de 1720, 1721 et La Vue de l’hôtel de Ville pendant la peste de 1720, 1721.