
Cadernos de Literatura Comparada, #53 (décembre 2025)
Prendre soin du temps : art et (dés)accélération
L’art contemporain, par différents moyens et procédés, questionne de façon à la fois attentive et critique, la surexposition qui caractérise indéniablement le XXème siècle – et ces premières décennies du XXIème – avec l’omniprésence au quotidien de la photographie, du cinéma, de la télévision et, plus récemment, de l'écran d'ordinateur, du téléphone portable et autres appareils électroniques du même genre. Le développement technologique qui produit des moyens de déplacement toujours plus rapides et jusqu’à de nouveaux instruments ou pratiques de communication et de diffusion de l'information, a irrémédiablement modifié les modes de contact entre les sujets, surtout citadins, et leur compréhension des espaces et du temps. Alors qu’ils se trouvent de plus en plus immergés dans la visualité excessive, soumis à une accélération de la vie, comme s’en alarment Paul Virilio (1993, 1994, 2010), George Didi-Huberman (2000) et Hartmut Rosa (2012), l'Art peut leur procurer des expériences de résistance, comme une espèce de contre-poison[1], susceptibles de favoriser une désaccélération technique, sociale et existentielle. En rapprochant l’observateur d’une création esthétique, en attirant son attention sur le jeu de détails et sur d'autres perceptions, le geste artistique est capable d’interrompre le flux continu de l'aliénation (l’indifférence envers le monde) ou, au minimum, de la problématiser.
Par rapport au contexte temporel dans lequel nous sommes tous insérés, dans un entretien avec Bjørn Schiermer[2], le sociologue Hartmut Rosa, ci-dessus mentionné, expose exactement un point de vue que ce numéro des Cadernos de Literatura Comparada souhaite discuter en faisant le lien entre expériences du temps et existence :
Le problème est que [...] le processus d'accélération et de croissance incessante commence à montrer son revers. Ainsi, au niveau collectif, il semble que nous détruisions le monde que nous voulons mettre à disposition : [...] Au niveau individuel, le danger est que le monde devienne muet, sourd et silencieux vis-à-vis de nous, les sujets. Quand on regarde l'histoire culturelle, la grande crainte de la modernité a toujours été que le monde dans lequel nous vivons s’eteigne d'une façon ou d’une autre pour nous ; qu'il commence à sembler désenchanté, froid, indifférent, voire hostile comme Albert Camus le perçoit ; que nous en soyons profondément aliénés.
Si à l'heure actuelle les rapports entre les sujets et les façons d'habiter l'espace deviennent de plus en problématiques, compte tenu des intérêts économiques, des conditions politiques et de la massification virtuelle, s'impose la nécessité de renforcer et d'élargir la réflexion autour de l'idée-base capable de transformer ces relations. Cette idée peut se résumer dans l'expression “prendre soin du monde”, que l'on entend dans divers espaces de discussion et de création, intimement liée à une pensée écocrítique et à une démarche réflexive empruntée aux peuples originels, comme l'affirment par exemple les penseurs et militants écologistes brésiliens Ailton Krenak (2019, 2020) et Davi Kopenawa Yanomami (2010, 2023). Pour cette raison, ce numéro des Cadernos de Literatura Comparada met en avant l'idée du soin, en gardant à l'esprit des perceptions de la réalité de la modernité tardive et des modes d'existence dans le monde actuel. Ainsi, afin d’aller plus loin sur le thème “Prendre soin du temps : art et (dés)accélération”, les organisateurs invitent les auteurs de diverses disciplines et du monde de la création, à discuter dans une perspective comparatiste des questions telles que :
● Art et figurations / refigurations du temps ;
● La lutte contre l’accélération de la vie quotidienne et les façons dont la littérature et d'autres arts explicitent cette problématique et mettent en œuvre des modes de résistance ;
● Prendre soin du temps à partir du rapport transformé de l’homme à la nature et à l’art ;
● L’exigence de lenteur dans le processus de création et de réception de l’objet artistique ;
● Formes innovantes et pratiques originales de mise en place, dans le champ esthétique et dans différents langages, de manières de désaccélérer la vie en tant qu’occupation d’un espace / temps ;
● La société actuelle de la fatigue et du discours dystopique ou de l‘effondrement si présent, par exemple, dans la prose et la poésie contemporaines ;
● Modes de rejet et d’incompréhension découlant du vécu spatial radicalement transformé par la préciptation quotidienne et par le caractère jetable de tout ;
● Temporalité, écocritique et (dés)accélération.
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Tous les articles devront être envoyés par courriel à cadernosreviewdecember@gmail.com avant le 15 septembre 2025.
Les articles soumis respecteront les normes de publication des Cadernos de Literatura Comparada, disponibles sur :
https://ilc-cadernos.com/index.php/cadernos/about/submissions.
Les articles ne respectant pas ces normes de publication seront refusés. On acceptera les textes inédits écrits en portugais, en anglais et en français.
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Ce numéro 53 des Cadernos de Literatura Comparada est organisé par :
Ida Alves (Universidade Federal Fluminense) et Luís Quintais (Universidade de Coimbra).
[1] Comme le disait déjà l´'écrivain Carlos de Oliveira dans son ouvrage intitulé «O Aprendiz de Feiticeiro» (1a.ed. 1971)
[2] Traduit par Alberto Luís Cordeiro de Farias. Accesible dans chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://blogdolabemus.com/wp-content/uploads/2019/06/Acelera%C3%A7%C3%A3o-e-resson%C3%A2ncia_Entrevista-com-Hartmut-Rosa_PDF.pdf