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L’événement traumatique à distance.Signifier et transmettre le trauma de l’Autre par la littérature ? (APFUCC 2021, Edmonton, Canada)

L’événement traumatique à distance.Signifier et transmettre le trauma de l’Autre par la littérature ? (APFUCC 2021, Edmonton, Canada)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Eric Chevrette)

Congrès 2021, Université de l’Alberta

Edmonton, Canada, 29 mai au 1er juin 2021

 

ATELIER 8

L’événement traumatique à distance.

Signifier et transmettre le trauma de l’Autre par la littérature ?

Raconter pour ceux et celles qui sont sans voix, ceux qui n’ont pas la capacité ou les moyens de dire et inscrire au monde leur expérience. Est-ce possible et souhaitable ? Devant le mutisme imposé aux disparus ou aux opprimés, faut-il maintenir une réserve pudique, quitte à prolonger le silence, ou au contraire n’y a-t-il pas une injonction éthique à briser ce silence en prenant la parole, au risque de mal dire ? Qu’en est-il du devoir de mémoire, en particulier celui qui doit rendre compte du trauma ? Et qu’en est-il de l’auteur ? Jusqu’à quel point l’identité de la personne qui raconte importe-t-elle ? Le présent atelier veut étudier les dimensions éthiques, esthétiques et politiques d’une littérature qui se saisit de l’événement traumatique, se l’approprie, le dévie, le détourne ou l’approfondit par l’enquête et la recherche préalables autant que par l’écriture elle-même.

En abordant le trauma à distance, comme le précise notre titre, l’objectif est d’étudier comment la transmission de l’expérience de la catastrophe se déploie sur les plans personnel et social, et ce, dans leurs distinctions et leurs rapprochements, entendu que « l’“individuel” et le “collectif” ne peuvent jamais s’extraire l’un de l’autre » (Caruth, 2016 [1996] : 121). Cette relation s’accorde évidemment avec une certaine vision du trauma, selon laquelle le langage « doit traverser sa propre insolubilité » (Felman et Laub, 1992 : 50), situation complexifiée par une prise de parole au second degré par des intercesseurs littéraires qui agissent comme des porte-voix pour faire entendre les murmures des victimes et opprimés.

Si nous restons ouverts aux analyses portant sur des textes de survivants, de telles études devront procéder à des rapprochements et distinctions (éthiques, esthétiques, politiques) entre les prises de paroles et les productions aux premier, second et troisième degrés (de la victime au témoin direct et à l’observateur empathique distant). Une telle lecture comparative des récits du trauma à la première personne par rapport aux récits produits par des tiers permettra d’étudier la relation qu’entretiennent l’individuel et le collectif dans ces moments de crise ainsi que leurs répercussions directes et indirectes, l’écrivain demeurant un acteur social sensible. En outre, la question de l’empathie est ici centrale et pourra être étudiée de façon plus serrée en contexte littéraire, tout comme les questions d’identité et d’altérité qui y sont sous-jacentes.

Aussi l’analyse d’un corpus constitué à partir de la mise en récit de l’événement trauma­tique (individuel et collectif) mène-t-elle à des questions d’ordre éthique et esthétique (comme le souligne le point d’interrogation au sous-titre de l’atelier). Car « le trauma, dans les faits, lance un défi aux capacités du savoir narratif » (Luckhurst, 2008 : 79). Ce défi module au passage la conception même d’une esthétique de la littérature — influençant entre autres la dimension stylistique de l’œuvre — en imprégnant l’œuvre d’une injonction éthique essentielle, mais néanmoins marquée par le paradoxe ou la contradiction. Nous nous proposons dès lors d’analyser les pratiques discursives et narratives que les écrivains mettent en place non pas pour surmonter le trauma, mais en parler avec une nécessaire circonspection envers la fonction référentielle du discours.

Il va sans dire que les participants à notre atelier pourront développer leur réflexion à la lumière des travaux théoriques existants sur le trauma, lesquels ont connu une croissance exponentielle depuis une trentaine d’années[1] (tout comme, parallèlement, les différentes formes du récit de soi en littérature, dont plusieurs traitent du trauma individuel ou collectif). Par la nature du terme, il va de soi que la critique littéraire psychanalytique a occupé ce champ des études du trauma (Aberbach 1989 ; Chiantaretto 2014 ; Chiantaretto et Althounian 1998). Et l’après-coup freudien (Nachträglichkeit), surtout par son réinvestissement conceptuel subséquent à la suite de Lacan, est une notion importante qui pourra faire l’objet d’une attention particulière. Nous demeurons évidemment ouverts aux autres approches — qu’elles soient littéraires, historiques, sociologiques ou féministes, pour ne mentionner que celles-là —, pourvu que les représentations littéraires du trauma à distance soient traitées.

Il faut toutefois garder à l’esprit la pierre d’achoppement que représente la difficile articulation entre l’expérience de l’extrême et sa mise en mots, sa mise en récit, et sa potentielle banalisation par le seul exercice du langage, délicate aporie dont rendent bien compte les travaux susmentionnés (et énorme défi intellectuel pour la pensée philosophique — qu’on songe aux travaux de l’École de Francfort sur la pensée de la Shoah). L’enjeu sera dès lors d’étudier les façons dont la littérature se saisit de l’événement traumatique, afin de comprendre comment le langage peut dire sans pour autant avoir la prétention d’épuiser l’expérience traumatique, ce langage ne capitulant pas plus devant l’indicible fondamental du trauma.

Sans établir de restrictions génériques, les œuvres littéraires étudiées dans le cadre de cet atelier et issues du corpus francophone pourront aborder les traumas dans leurs dimensions indivi­duelles ou collectives, qu’il s’agisse de génocides (Monénembo, 2000), de guerres (Mauvignier, 2009), d’attentats (Beigbeder, 2003), de crises (Leblanc, 2006), ou encore de trauma et de crise personnelle vécus à plus ou moins grande distance (Ernaux, 2011), et ce, en tenant compte bien sûr des caractéristiques propres à chacun de ces types d’événements. Les communi­cations retenues pourront aborder un ou plusieurs des axes mentionnés ci-dessus, mais devront garder à l’esprit cette distance qui nous intéresse et qui se trouve au cœur de notre intitulé d’atelier.

Nous acceptons des propositions de communication en français en études françaises, québécoises, canadiennes et francophones.

Les responsables de l’atelier :

Eric Chevrette, Université de Toronto, eric.chevrette@mail.utoronto.ca

Barbara Havercroft, Université de Toronto, barbara.havercroft@utoronto.ca

Les propositions (250-300 mots) sont à envoyer au plus tard le 15 décembre 2020 aux responsables de l’atelier.

Les personnes ayant soumis une proposition de communication recevront un message des responsables de l’atelier avant le 15 janvier 2021 les informant de leur décision. L’adhésion à l’APFUCC est requise pour participer au colloque. Il est également d’usage de régler les frais de participation au Congrès des Sciences humaines ainsi que les frais de conférence de l’APFUCC. Ils doivent être réglés avant le 31 mars 2021 pour bénéficier des tarifs préférentiels. La date limite pour régler les frais de conférence et l’adhésion est le 9 avril 2021 au-delà de quoi le titre de votre communication sera retiré du programme. Vous ne pouvez soumettre qu’une seule proposition de communication pour le colloque de 2021. Toutes les communications doivent être présentées en français (la langue officielle de l’APFUCC).  

*

Ouvrages cités

Aberbach, David (1989). Surviving Trauma. New Haven : Yale University Press.

Beigbeder, Frédéric (2003). Windows on the World. Paris : Grasset.

Caruth, Cathy (dir.) (1995). Trauma: Explorations in Memory. Baltimore : Johns Hopkins University Press.

——— (2016 [1996]). Unclaimed Experience: Trauma, Narrative, History. Baltimore : Johns Hopkins University Press.

Chiantaretto, Jean-François (dir.) (2014). Écritures de soi, écritures des limites. Paris : Hermann.

Chiantaretto, Jean-François, et Janine Althounian (dir.) (1998). Écriture de soi et trauma. Paris : Anthropos.

Coquio, Catherine (2004). Rwanda : le réel et les récits. Littérature et politique. Paris : Belin.

Coquio, Catherine (dir.) (2003) L’histoire trouée : négation et témoignage. Nantes : Atalante.

Ernaux, Annie (2011). L’autre fille. Paris : NiL.

Felman, Shoshana, et Dori Laub (1992). Testimony: Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History. New York : Routledge.

Leblanc, Carl (2006). Le personnage secondaire. Montréal : Boréal.

Luckhurst, Roger (2008). The Trauma Question. Londres : Routledge.

Mauvignier, Laurent (2009). Des hommes. Paris : Minuit.

Monénembo, Tierno (2000). L’aîné des orphelins. Paris : Seuil.

 

[1] Qu’on pense entre autres aux ouvrages fondamentaux de C. Caruth (1995, 2016 [1996]), de S. Felman (Felman et Laub 1992), et de C. Coquio (2003, 2004), ou encore au travail de synthèse et d’approfondissement de R. Luckhurst (2008).