L’éloquence de la chaire entre écriture et oralité XIIIe - XVIIIe siècles
Colloque international
11 & 12 septembre 2014
L’édition en poche du Carême du Louvre de Bossuet, en 2001, puis sa présence au programme de l’agrégation, en 2003, ont sans doute contribué en France à renouveler l’intérêt des chercheurs pour un ensemble de textes et d’auteurs négligés par la critique, qui figuraient pourtant en bonne place dans le monument littéraire érigé par le XIXe, et encore plus par le XVIIIe siècle : les sermons et les oraisons funèbres de Bossuet, Bourdaloue, Fléchier, Mascaron et Massillon constituaient alors les modèles de genres conçus comme littéraires, au moment même où l’idée de littérature émergeait. Or, la critique et l’histoire littéraires françaises, au XXe siècle, ont réservé à la prédication un sort hasardeux, lui consacrant de très rares travaux : le phénomène s’explique sans doute par le caractère particulier de textes certes très abondants, mais liés à une pratique religieuse, et dont les rapports avec la littérature peinent à être pensés et motivés par une critique peu encline à la théorie littéraire. La littérature prédicative présente ainsi un défi à la discipline littéraire, comme objet de théorie et d’analyse, et elle est susceptible à ce titre d’en renouveler les modèles, à condition qu’on s’attache par un travail de contextualisation et d’historicisation à en saisir les spécificités.
Le présent colloque entend relever ce défi en s’attachant à étudier la littérature prédicative dans la durée, en réunissant des chercheurs médiévistes et pré-modernes, et dans une perspective que les spécialistes du XVIIe siècle ont jusqu’ici peu explorée : celle des rapports entre écriture et oralité. La prédication, faut-il le rappeler, est d’abord un événement liturgique, qui consiste en la performance orale, par un évêque, un prêtre ou un pasteur, d’un discours s’inscrivant dans la mission qui lui a été confiée. En tant que telle, la prédication n’exige pas nécessairement le recours à l’écriture ; certes, elle suppose toujours un rapport avec l’écrit, en l’espèce l’Écriture sainte, mais celle-ci entretient le mystère d’une Parole vive, qui s’accommode mal de la lettre, en vertu du principe paulinien (littera enim occidit, spiritus autem vivificat, II Cor. 3 : 6). Reste que, dans une culture où la diffusion du papier, puis de l’imprimerie, facilite et stimule la production d’écrits, nombreux sont les prédicateurs qui ont recours à l’écriture, à un moment ou à un autre de leur préparation, pour prendre des notes de lecture, développer le plan de leur prédication ou même rédiger partiellement ou entièrement leur sermon ; sans parler de leurs auditeurs, susceptibles à leur tour de noter tout ou partie de leur discours, pendant ou après leur performance en chaire. La prédication, définie en principe par sa relation privilégiée avec l’oralité, a ainsi paradoxalement engendré depuis le XIIIe siècle une multitude d’écrits et de textes, qui ont été parfois conservés, pour certains diffusés sous forme manuscrite ou imprimée et, dans de très rares cas, en France, mais peut-être ailleurs, intégrés au canon littéraire au cours du XVIIIe siècle.
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Programme
Organisation
Gabriel Aubert
professeur à la Faculté de droit
Amy Heneveld
doctorante ès lettres
Cinthia Meli
docteur ès lettres
Hôtel du Parc des Eaux-Vives
Jeudi 11 septembre
9h Accueil des participants
9h30 Ouverture du colloque
Michel Zink (Professeur au Collège de France, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres)
Un ton entendu : de quelle oreille lire les sermons ?
11h La performance du prédicateur
président : Franco Morenzoni (professeur à l’Université de Genève)
Carolyn Muessig (Professor at the University of Bristol)
Medieval reportationes : Hearing and Listening to Sermons through the Ages
Isabelle Brian (Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne)
Les performances oratoires des prédicateurs dans les chaires parisiennes à l’Âge classique
14h Théories de l’oralité
président : George Ferzoco (Research and Teaching Fellow at Bristol University)
Marco Mostert (Professor at Universiteit Utrecht)
Medieval Sermons as Forms of Communication : Between Written Text and Oral Performance
Laurent Susini (Maître de conférences à l’Université Paris IV Sorbonne)
Du chaud et du froid : réguler les rapports de l’elocutio et de l’actio à l’âge classique
16h Écrire pour parler, écrire pour publier
président : Martin Rueff (professeur à l’Université de Genève)
Christine Noille (Professeur à l’Université Stendhal Grenoble 3)
Les possibles d’une forme : quelques exercices d’entraînement pour bien composer son sermon
Julien Goeury (Professeur à l’Université de Picardie Jules Verne)
Des sermons prononcés comme ils ont été écrits, ou écrits comme ils ont été prononcés ? Les pratiques homilétiques réformées sous l’édit de Nantes
Vendredi 12 septembre
9h Publication des sermons
président : Frédéric Tinguely (professeur à l’Université de Genève)
Holly Johnson (Associate Professor at Mississippi State University)
Master Robert Rypon and the Making of a Model Sermon Collection
Olivier Millet (Professeur à l’Université Paris IV Sorbonne)
Les premières traces littéraires de l’activité de Calvin prédicateur (1542-1545) : l’écrit et l’oral
11h Littérarisation des sermons
présidente : Yasmina Foehr (professeur à l’Université de Genève)
Véronique Dominguez (Maître de conférences à l’Université de Nantes)
Dieu, La Sybille et le premier homme, nouvelles voix de la chaire ? Performance et liturgie dans l’Ordo Representationis Ade (XIIe-XIIIe siècles)
Peter McCullough (Professor at Lincoln College, University of Oxford)
Donne’s Sermons : « The Canonization »
14h Indices d’oralité
président : René Wetzel (professeur à l’Université de Genève)
Marie Anne Polo de Beaulieu (Directrice de recherches, EHESS, Paris)
Marques et fictions d’oralité dans les recueils d’exempla homilétiques (XIIIe-XVe siècles)
Viviane Griveau-Genest (Doctorante à l’Université Paris Ouest Nanterre et à l’Université de Genève)
Être pris par le temps… à l’écrit : statut de l’oralité dans les sermons écrits de Jean Gerson
16h Fictions d’oralité
présidente : Teresa Chevrolet (chargée de cours à l’Université de Genève)
Anne Régent-Susini (Maître de conférences à l’Université Paris III Sorbonne Nouvelle)
Le « discours autre » dans les œuvres oratoires de Bossuet : entre écriture et oralité
Ruth Whelan (Professor at the National University of Ireland Maynooth)
Comment faire voir les vérités évangéliques? La rhétorique du « tableau » dans les sermons de Jacques Abbadie
17h30 Synthèse et discussion générale
Gabriel Aubert (Professeur à l’Université de Genève)
Renseignements et inscriptions : katia.metral@unige.ch