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Plaisir(s) du texte et langage(s) du plaisir (XVIe-XVIIe siècles) (Journée d'étude)

Plaisir(s) du texte et langage(s) du plaisir (XVIe-XVIIe siècles) (Journée d'étude)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Astrée Ruciak)

Plaisir(s) du texte et langage(s) du plaisir 
XVIe – XVIIe siècles

Journée d’étude organisée dans le cadre de l’Atelier du XVIe siècle
Samedi 18 juin 2022 – En ligne


Faut-il souscrire aux propos de Roland Barthes lorsqu’il déclare que « sur le plaisir du texte, nulle “thèse” n’est possible1» ? Si les fragments dans son ouvrage témoignent, par leur forme même, des limites que pose la théorisation d’une telle question, ils n’en font pas moins apparaître des exemples de faits stylistiques qui donnent au lecteur la sensation qu’il est « désiré ». De tels textes montrent en tout cas que la littérature – sous tous ses aspects – est le lieu même du plaisir, ou, pour le dire en d’autres mots, l’espace dans lequel se réalise la satisfaction d’une forme de libido du lecteur, mais aussi de l’auteur. Le texte médiatise en effet le plaisir littéraire : c’est ce dernier point que nous souhaiterions explorer à la lumière de textes plus anciens2.

La tradition philosophique et rhétorique nous montre d’emblée la méfiance que la question du plaisir littéraire suscite. On sait que pour « plaire » à son auditoire l’orateur doit le séduire de manière calculée3. Ainsi, chez Platon, les impressions agréables provoquées par le pathos seraient dangereuses et il en découle que, chez saint Augustin notamment, le plaisir littéraire – parce qu’il en appelle à l’imagination – serait irraisonné. Néanmoins ce plaisir peut être positif et d’autant plus agréable qu’il est utile : chez Aristote, il naît d’une volonté de satisfaire le désir de curiosité et, s’il faut le relier au contentement procuré par la mimesis, le plaisir littéraire est aussi engendré par les fictions qui mobilisent, en vertu de la catharsis, les passions du lecteur. Plus récemment, l’étude d’Ullrich Langer a montré comment la pensée du plaisir dans la philosophie classique et hellénistique pouvait s’articuler à celle du plaisir littéraire à la Renaissance4. Cet ouvrage constitue pour notre réflexion un point de départ essentiel. Dans son dernier chapitre, Ullrich Langer propose en effet des réflexions stylistiques autour notamment de la dérivation, figure qu’il envisage comme symptomatique de la perte de soi, une forme du plaisir spécifique à la Renaissance. 

Dans un siècle où l’intégration de la culture antique se veut à la fois émulation et dépassement, le plaisir littéraire s’élabore, se décèle et se transmet par des choix de style dont les lignes de force et les spécificités méritent d’être explorées : si certains corpus revendiquent le plaisir littéraire, d’autres prétendent au contraire s’en dissocier, voire le refusent. Notre projet est donc d’interroger la manière dont les auteurs du XVIe et du début du XVIIe siècles assument le plaisir littéraire pour déterminer selon quelles modalités spécifiques, en ces siècles, la littérature exprime et réfléchit un plaisir littéraire qui ne se pense pas encore dans les termes actuels de la littérarité, et comment ce plaisir se traduit formellement dans les textes. Les formes rhétoriques et stylistiques par lesquelles les corpus littéraires de la Renaissance se sont signalés à la postérité – par la profusion verbale, l’enrichissement lexical, la prolifération copieuse5, l’évolution de la réflexion figurale – font que cette période se prête tout particulièrement à notre enquête, tandis que parallèlement l’affirmation des figures auctoriales, et le renouvellement des pratiques d’écriture et de lecture, stimulent une réflexion sur l’acte de lecture qui se réfléchit dans les textes. Au cœur de la poétique des genres qui se développent alors, les « langages du plaisir » satisfont enfin des formes de curiosité diverses6, et parfois troubles7, qui questionnent dès lors les intentions des auteurs8. L’approche stylistique de ces « langages du plaisir » vise donc à éclairer la façon dont l’acceptation ou le refus de ce plaisir du texte contribue à la légitimation, à la construction et à la structuration de ces corpus, d’un double point de vue générique et diachronique, du XVIe au XVIIe siècle. Aussi proposons-nous d’interroger les textes, en vers ou en prose, selon les axes suivants : 

1. Marqueurs du plaisir

On pourra tout d’abord s’interroger sur les mécanismes stylistiques de déploiement du plaisir dans les textes à travers, par exemple, l’étude des figures qui prennent en charge sa revendication ou son effacement, des embrayeurs, des clausules qui contribuent à le circonscrire dans l’espace textuel, des effets de relance ou encore des marques énonciatives. 

2. Inscription du plaisir 

Par-delà l’inscription lexicale du plaisir de la lecture dans les textes, ainsi que de témoignages d’un plaisir intertextuel et/ou métalittéraire qui est déjà, en lui-même, une motivation de l’acte d’écriture, on s’efforcera d’envisager la restitution du plaisir littéraire dans sa dimension la plus concrète, notamment en lien avec le lexique et les représentations de la sensorialité : le plaisir textuel passe-t-il avant tout par une reconstruction rhétorique de la sensation ?

3. Intensité du plaisir

On pourra également s’intéresser aux différents marqueurs de l’intensité du plaisir dans les textes, en liaison avec la problématique des genres, l’attention prêtée au pathos, etc. Le plaisir littéraire est-il mesurable ? On s’intéressera aussi aux stratégies que les auteurs ou les genres mobilisent pour démultiplier celui-ci, voire pour le systématiser.

4. Fonctions et enjeux du plaisir

Dès lors que le placere se lit bien souvent comme un adjuvant de la démonstration9, on pourra également explorer la diversité de ses fonctions et déterminer les enjeux génériques qu’il soulève, en se demandant notamment dans quelle mesure et selon quelles modalités rhétoriques le plaisir textuel est pensé, et formulé, en tant qu’il existe aussi pour lui-même.

 Les propositions de contribution devront être adressées avant le 18 avril 2022 à Astrée Ruciak : astree.ruciak@live.fr

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1 Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, p. 48.
2 Notre enquête ne portera pas sur la représentation des différentes formes de plaisirs, qu’il ne s’agira pas d’envisager ici de façon thématique. Sur ce point, voir les études qui concernent l’histoire de l’affectivité, notamment Robert Muchembled, L’orgasme et l’Occident : une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2005.
3 Georges Molinié, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Le Livre de Poche, 1997.
4 Ullrich Langer, Penser les formes du plaisir littéraire à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2009.
5 Terence Cave, The Cornucopian Text : Problems of Writing in the French Renaissance, Oxford UP, 1979 ; Cornucopia. Figures de l’abondance au XVIe siècle : Érasme, Rabelais, Ronsard, Montaigne, trad. fr. G. Morel, Paris, Macula, 1997.
6 Nicole Jacques-Chaquin et Sophie Houdard (éd.), Curiosité et Libido sciendi de La Renaissance aux Lumières, Fontenay-Saint-Cloud, éd. de l’E.N.S, vol. I, 1998, p. 13-31.
7 Jean Céard, La Nature et les Prodiges. L’insolite au XVIe siècle, Genève, Droz, 1977.
8 Voir par exemple Marianne Closson, L’Imaginaire démoniaque en France (1550-1650). Genèse de la littérature fantastique, Genève, Droz, 2000, « La question du plaisir », p. 312-316.
9 Voir par exemple Nora Viet, « Une morale pour plaire ? Docere et delectare dans les recueils de récits brefs de la première Renaissance (1485-1521) » in Véronique Montagne, Isabelle Garnier, Vân Dung Le Flanchec, Anne Réach-Ngô, Marie-Claire Thomine, Trung Tran et Nora Viet (dir.), Paroles dégelées. Propos de l’Atelier XVIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 713-732.