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Le tabou (La Réunion)

Le tabou (La Réunion)

Publié le par Marc Escola (Source : Françoise SYLVOS)

LE TABOU - Journée de recherches

Vendredi 30 septembre 2016 - 10H30

Université de La Réunion - Faculté des lettres et des Sciences humaines

EA DIRE

 

Mot d'origine polynésienne, le tabou renvoie à des prohibitions, dans un système d'oppositions entre la norme et ce qui s'en écarte, entre ce qui est sacré et ce qui ne l'est pas. Le tabou désigne à la fois l'interdiction et l'objet prohibé. Le tabou, acte prohibé vers lequel l’inconscient est poussé par une tendance très forte, tourmente l’humanité. Braver l'interdit (essentiellement l'interdit de l'inceste et de l'anthropophagie, fondatrice de la horde à l'origine puis objet d'un renoncement radical dans la plupart des sociétés) est susceptible d'attirer sur l'individu déviant un châtiment d'ordre humain ou divin. Ce mot a été étendu par les ethnologues à toutes les interdictions d'ordre magique, religieux ou rituel. Totem et tabou de Freud (1911) montre l'ambivalence du tabou, fondateur (cannibalisme social sur lequel s'appuie la horde "primitive") et, dans d'autres cultures, objet de répulsion absolue et de condamnation.

S’affichant toujours plus librement, la sexualité remet constamment en question notre rapport à l’autre, au monde ainsi qu’à nous-mêmes. Le jeu existant entre les notions de tabou et de transgression dans le domaine de la sexualité sera au coeur de ce nouveau volet des journées d’études ‘intersexualité’. Face à la nécessité de se conformer à la bonne morale, c’est à travers l’acte de transgression que l’on affirme son désir de se libérer des contraintes sociales qui régissent nos vies. Tout est finalement question de désir, de revendication, d’affirmation de soi. On se demandera quelle est la place sociale du tabou, mais aussi quelle est sa fonction dans les arts et la littérature. L'une de nos hypothèses est que le désir de lecture et la pulsion scopique sont conditionnés par un intérêt conscient ou non pour tout ce qui, dans les oeuvres littéraires notamment, mais aussi cinématographiques, relève du tabou. Le tabou est tantôt le motif d'une dénonciation au regard de la barbarie sociale (cf. la légende d'Ugolin), tantôt la motivation de l'acte de lecture en tant qu'il devient objet de fascination trouble, au centre d'une représentation artistique ou littéraire qui permet de lever la censure (cf. le succès mondial récent d'un best-seller aux 50 nuances de gris).

Dans une acception élargie du terme "tabou", nous nous intéresserons à la notion de « passage à l’acte » en rapport aux relations de sexe, et à ses diverses occurrences dans des domaines variés tels que l’histoire, l’art, ou encore la littérature. Le langage de la séduction sera une thématique centrale de cette journée d’étude. Comment convainc-t-on l’autre de céder à ses avances ? Le pouvoir des mots utilisés par le séducteur nous renseigne sur les relations entre les sexes et la culture sexuelle d’une époque. Le lecteur devient alors un voyeur, témoin privilégié des fantasmes de l’auteur ou de ses représentations sur les relations amoureuses.

Qui dit séduction, transgression, dit viol et violence. Le problème du consentement, de la volonté de personnes concernées par l’acte charnel pourra également venir alimenter notre réflexion. Notre volonté étant d’étendre cette journée d’étude à toutes les disciplines pouvant éclairer le problème du passage à l’acte, l’art pictural ou musical pourra venir illustrer l’idée de transgression et de passage à l’acte.

On s'attachera enfin aux réactions de l'institution littéraire et de la société face aux transgressions.

CONTACTS :

stephane.fossard@orange.fr; francoise.sylvos@wanadoo.fr; florence.pellegry@gmail.com

 

Résumés des interventions

Jean-Baptiste AMADIEU, « La morale transgressée dans l’œuvre de Sand, selon la Congrégation de l’Index »

L’œuvre de George Sand fut frappée par quatre décrets de mise à l’Index, de 1840 à 1863. Jusqu’à 1998, date de l’ouverture des Archives des Congrégations romaines du Saint-Office et de l’Index, les motifs de condamnation des auteurs étaient ignorés. Les décrets du Saint-Siège ne mentionnaient que le nom de l’auteur suivi de l’œuvre proscrite, avant d’être repris dans l’Index librorum prohibitorum, la liste des livres proscrits aux fidèles catholiques, sous peine de graves sanctions, en raison des dangers qu’ils pouvaient provoquer sur la foi ou les mœurs. Depuis l’ouverture des archives, on peut éclairer les motifs de proscription, grâce aux rapports que dressaient les censeurs sur les titres examinés. Ces rapports de censure fournissent l’essentiel de l’analyse censoriale. Ils servaient de base de travail aux commissions chargées de délibérer sur le titre examiné. L’un des censeurs de Sand, Augustin Theiner, oratorien et théologien de renom, la rangea parmi les « impudici scrittori » de la France, et la désigna comme « impudica ed empia autrice ».

Parmi les motifs de proscription de certaines œuvres de Sand, nous trouvons celui de l’obscénité, décliné sous des terminologies variées, et s’appliquant à des situations diverses. Nous examinerons les deux premiers décrets de condamnation de Sand, en 1840 et 1841, en essayant de voir quelle interprétation les censeurs romains donnent à la notion de morale dans le domaine de la sexualité.

Stéphane FOSSARD, « L’homosexualité dans « La Sarbacane » de Paul Lacroix »

« L’histoire, c’est la vérité nue et entière ; voici dans toute leur hideur les mignons du roi très chrétien Henri III »[1]. Dès les premières lignes de son récit publié en 1829, Paul Lacroix propose un programme de lecture qui nous interpelle. Il nous livre une « vérité nue et entière » sur une des plus graves perversions de l’époque : l’homosexualité, qui se double d’un crime tout aussi condamnable, le viol d’un homme.

Dernier récit de son recueil de nouvelles historiques, « La Sarbacane » est le point final d’une démonstration sur le plaisir que procure l’instruction de l’Histoire lorsqu’on s’intéresse aux actes intimes, cachés ou honteux, des puissants. Le ton de Lacroix est délibérément provocateur et le sujet est abordé franchement (Claude Gueux et Vautrin n’apparaîtront que quelques années plus tard). Lacroix semble ne rien dissimuler au lecteur mais brise-t-il véritablement un tabou ? En effet, l’homosexualité est traitée sur un mode comique et l’ensemble du récit se rapproche davantage du conte que de la relation d’un événement historique. Ajoutons que la nature des rapports entre Henri III et ses mignons est toujours discutée. Dès lors, pourquoi se risquer à mettre en scène des rapports condamnables sur des faits historiquement incertains ? Quelles stratégies Lacroix met-il en œuvre pour s’affranchir du tabou et offrir ainsi une version intime et sexualisée de l’événement historique ? Quelles relations s’instaurent désormais avec le lecteur qui doit, lui aussi, transgresser ses propres tabous par la lecture ?

J’aborderai ces questions sous l’angle de l’élaboration d’un Eros romantique. En effet, Lacroix partage avec ses contemporains un intérêt certain pour les sexualités périphériques. La représentation de pratiques dépassant les normes au risque d’outrer les bonnes mœurs trouve sa place dans l’esthétique romantique des années 1830. Aborder le thème de l’homosexualité est en soi une telle provocation que Lacroix associe un comique critique à cette pratique perverse afin de lever les inhibitions du lecteur. De même, le choix de Henri III, figure historique illustrant le débat sur l’homosexualité, permet à Lacroix de poser un regard objectif –celui de l’historien– sur les faits. Mais est-ce réellement le cas ? Quels sont les enjeux de sa stratégie d’écriture ?

En se confrontant aux tabous qui régissent la société, Lacroix propose une histoire des mœurs, surtout sexuelles, qui interroge le lecteur sur l’identité masculine. Henri III est un monarque efféminé séduisant et violant les hommes selon son bon vouloir. Seul Saint-Luc lui résiste et lui montre la voie d’une gouvernance honorable. Comment alors situer l’identité masculine dans cette quête de plaisirs homosexuels ? Ce questionnement s’élargit également à l’identité auctoriale. En effet, quelle image le lecteur se crée-t-il de l’écrivain qui aborde un tel sujet ?

Finalement, dans « La Sarbacane », le tabou est-il une force créatrice ou une contrainte esthétique ?

Isabelle MALMON, « Tupapau et tabou : étude d’un motif pictural sur la toile Manao tupapau (1892) de Paul Gauguin »

Dans Totem et tabou (1913), Freud explique que le terme « tabou » présente deux significations opposées, d'un côté, celle de sacré, consacré; de l'autre, celle d'inquiétant, de dangereux, d'interdit, d'impur. Il ajoute que le tabou se manifeste essentiellement par des interdictions ou des restrictions très anciennes, d’origine inconnue, imposées du dehors par une autorité, et dirigées contre les désirs les plus intenses de l'homme. Or, pour le père de la psychanalyse, s’efforçant d’établir une analogie entre la névrose obsessionnelle et le tabou, ce dernier concerne la prohibition d’un contact sexuel vers lequel le sujet demeure poussé, ce qui fait que la tendance à le transgresser persiste dans l’inconscient. D‘où l’apparition d’une « ambivalence affective »[2], à savoir un conflit entre une tendance spontanée vers des actes sexuels et la prohibition de cette tendance.

Notre contribution va s’appuyer sur l’analyse d’une toile de Paul Gauguin, intitulée Manao tupapau, exécutée à l’occasion de son premier séjour à Tahiti en 1892. Nous allons tenter de démontrer que le motif du tupapau qui s’y manifeste sous l’apparence d’une petite créature de physionomie maorie, étrangement coiffée d’une capuche noire, est « tabou », à savoir tout à la fois émergence d’une pulsion charnelle irrépressible, et inhibition de ce désir, deux propensions entre lesquelles la relation demeure incessamment tensive, conflictuelle, « impure ».

Nous commencerons par définir les tupapau dans la tradition polynésienne. Puis, nous étudierons un écrit par lequel Gauguin s’acharne à fournir une explication maladroite, embrouillée, de cette toile et à justifier l’étrange apparition qui s’y manifeste, ne réussissant qu’à laisser filtrer la teneur sensuelle de sa composition. Nous examinerons par la suite une des composantes aspectuelles du petit personnage pour mettre en évidence ses virtualités érotiques. Puis nous verrons qu’à l’orée de l’un des siècles qui a le plus jugulé la sexualité, de telles potentialités sont combattues par des détails formels qui fonctionnent comme autant de barrières destinées à enrayer l’émergence de pulsions trop coupables.

Guilhem ARMAND, « La question de l’inceste au siècle des Lumières »

Les philosophes des Lumières opèrent une réflexion sur les rapports entre loi naturelle et loi civile (G. Benrekassa, Le Concentrique et l'excentrique, Payot, 1980) qui tend à fonder l'une sur l'autre, dans la mesure du possible. Un point d'achoppement de cette entreprise est constitué par la question de l'inceste : que nous dit la nature ? sur quoi se fonder : les animaux ou les sauvages? Quelle distance la loi civile peut-elle, ou doit-elle prendre avec la loi naturelle ? Ce questionnement se retrouve avec des réponses diverses aussi bien chez Montesquieu que chez Voltaire ou Diderot. Mais il parcourt aussi la littérature de l'époque, de Prévost à Beaumarchais en passant par Sade. En nous intéressant non seulement aux réponses mais aussi aux façons dont se pose le problème, nous tenterons de souligner l'ambiguïté de l'appréhension de ce tabou - qui n'en est pas encore officiellement un, qui est aussi une obsession - et de ses enjeux au siècle des Lumières.

Vincent MUGNIER, « Nerval et le ferouer : figure de l’inceste »

                L’interdit occupe une grande place dans l’œuvre de Gérard de Nerval : celui portant en particulier sur l’accomplissement de son désir amoureux. Si, bien souvent, le fiasco sentimental du personnage nervalien relève d’une forme de fatum rationnellement inexplicable, parfois, l’une des motivations majeures présidant à l’interdit affleure : le danger d’inceste. Nul doute en effet qu’indépendamment de la complexité des intrigues mises en scène par exemple au sein du Voyage en Orient une relation puisse être établie entre désir incestueux coupable et châtiment de mort ou plutôt assassinat d’une violence extrême. On sait grâce à Freud que l’insertion symbolique dans la sphère sociale passe par le renoncement au désir incestueux primitif, lequel, refoulé, devient tabou. Songeons ainsi au meurtre symbolique du père de la horde primitive mis en scène dans Totem et Tabou, acte fondateur qui marque le renoncement à la possession des femmes de la même tribu, « grand événement par lequel la civilisation a débuté » selon les termes du fondateur de la psychanalyse. Or, chez notre auteur, le refoulement d’un tel désir n’est jamais définitif et l’attrait incestueux –à l’égard d’une sœur, d’une sainte, avatars déplacés de la Mère - représente à tout jamais l’aboutissement de la quête existentielle. L’interdit terrestre incapable d’abolir le désir de toute-puissance fixé au stade antérieur du narcissisme primaire n’est donc jamais que déplacé, dévié, ajourné.

                Si chez Nerval un acte expiatoire sanctionne sur terre le désir coupable, il n’est pas sans intérêt de nous pencher sur une figure symbolique qui interdit au je ou à l’un de ses avatars autofictionnels de profaner l’objet tabou : son double ou plus précisément son sosie. Etrangement, notre auteur dote cette instance d’une appellation empruntée à la langue pehlvi des anciens Perses, élisant le terme « ferouer ». Deux énigmes sont pour nous à relever : pourquoi, d’une part, notre auteur a-t-il choisi comme unique qualification susceptible de désigner son sosie un concept d’érudition appartenant à la religion mazdéenne ? Pourquoi, d’autre part, avoir modifié radicalement la polarisation axiologique d’un tel concept que l’exégèse occidentale moderne (connue par notre auteur) avait eu soin de rapprocher tantôt de l’ange gardien, tantôt de l’idéal platonicien ? 

                Nous voudrions essayer de montrer en quoi le recours à l’interprétation psychanalytique est approprié afin de tenter d’approcher des motivations d’un tel choix et d’un tel traitement.  Il s’agira en effet pour nous, en faisant dialoguer comparatisme religieux et psychanalyse freudienne, d’analyser de quelle manière Nerval, en ayant recours à l’espace symbolique d’un mazdéisme librement interprété, tente de transcrire la complexité de son espace psychique. La notion freudienne fondamentale d’ « inquiétante étrangeté » (das Unheimliche), zone de contact dialectique entre deux stades évolutifs et exclusifs du développement psychique, antagonisme entre fixation régressive au narcissisme primaire et idéal du moi rationnel et socialisé, nous paraît en effet l’une des clefs interprétatives permettant de rendre compte de cette figure originale et intrigante du double nervalien.

Marc ARINO, « A l’origine du déterminisme et de la réécriture : l’inceste dans l’œuvre de M. Tremblay »

Dans sa pièce La Maison suspendue (1990), Michel Tremblay, auteur phare de la littérature québécoise depuis 1968, met en scène à Duhamel, village perdu dans la campagne et double du paradis terrestre, la vie des frère et soeur incestueux Victoire et Josaphat. Corrigeant la version qu’il donne de cette histoire au début de son célèbre cycle romanesque les Chroniques du Plateau Mont-Royal (1978-1997), dans laquelle leur amour était uniquement platonique, l’auteur fait dans cette pièce de ces personnages les parents d’un petit garçon prénommé Gabriel, comme l’archange, tout en lui cachant son origine afin de le protéger, en lui faisant croire que son père est en réalité son oncle. Mais leurs concitoyens, que leur ruse ne parvient pas à duper, ne peuvent accepter leur différence. Ainsi, comme « [...] Adam et Ève au Paradis, les ancêtres vivent heureux jusqu’à ce que l’idée du bien et du mal fasse sombrer leur bien-être modèle dans le manichéisme du choix à faire[3] ». Pour éviter de payer le prix de leur « trop beau péché[4] », Josaphat propose alors à Victoire, à nouveau enceinte de lui de la future Albertine, de partir pour Montréal et d’accepter la proposition émanant d’un autre homme de l’épouser et de reconnaître ses enfants. Mais Victoire ne l’entend pas ainsi, trop attachée à Duhamel et à la vie qu’elle y mène, entachée seulement par l’ostracisme dont font preuve leurs voisins à leur égard. Elle hésite à partir pour la ville, associée dans l’imaginaire de l’époque à un lieu de perdition, un enfer qui conduit à l’échec celui qui s’y réfugie. Lorsque Josaphat vend la « maison suspendue » de Duhamel sans son accord, Victoire renie son frère, en lançant une malédiction sur sa fille à naître et sur les descendants de celle-ci, puis part pour Montréal avec la certitude de ne plus jamais revoir son frère-amant et d’épouser un autre.

 

Pourtant les Chroniques montrent leurs retrouvailles à Montréal à la fin de leur vie et le destin tragique de leur famille, que vient déterminer au cours de l’écriture de ce cycle l’invention de l’inceste dans la pièce La Maison suspendue. On voit ainsi comment Michel Tremblay se sert de façon contradictoire du tabou de l’inceste – à la fois fondateur et porteur des germes d’une future déchéance – pour rendre cohérente la propension au malheur de l’ensemble des personnages de cette famille, tout en célébrant ce type d’amour – condamné sans être condamnable – comme un idéal caractéristique d’un âge d’or perdu. Ce tabou de l’inceste représente un tel motif obsédant dans son oeuvre que l’auteur le replace au coeur de son dernier cycle romanesque, La Diaspora des Desrosiers (2007-2015) – dont le quatrième tome, Le Passage obligé (2010), redouble La Maison suspendue pour revenir de façon plus détaillée sur la genèse de l’histoire de Josaphat et de Victoire –, en procédant de la même façon contradictoire tout au long de ce nouveau cycle à la célébration de la pureté de leur amour incestueux et au récit parfois complaisant des conséquences de leur départ de Duhamel sur le destin de leur famille.

Nous analyserons d’abord dans notre communication le sens du recours au motif obsédant que compose le tabou de l’inceste, en ce qu’il est introduit pour conférer une origine quasi mythique au premier couple du Monde de Michel Tremblay. Puis nous étudierons les modalités et les significations de l’oscillation contradictoire que l’auteur opère entre, d’une part, la représentation méliorative de cette origine et sa reprise d’une oeuvre à l’autre et, d’autre part, le long récit de la traversée du malheur qu’effectuent les membres de cette famille maudite.

Florence PELLEGRY, « Le tabou de l’agression sexuelle: Londres, 1875-1901. 

Entre 1861 et 1885, toute une série de lois s’attaquent aux crimes contre la personne et notamment aux crimes sexuels.[5] Les poursuites et les condamnations deviennent plus courantes. L’âge de la majorité sexuelle passe de douze à seize ans et les pénalités encourues pour les attaques contre un(e) mineur(e) sont clairement redéfinies.[6] Mais les nouvelles lois ne concernent pas tous les types de violence sexuelle.[7] On s’intéresse en effet davantage aux crimes sexuels commis contre les mineures et à l’exploitation sexuelle dans le cadre de la prostitution. Cependant, en règle générale, la protection théorique garantie par la loi n’est pas toujours appliquée et maints préjugés persistent concernant les victimes d’agressions sexuelles. Comme aujourd’hui, la parole d’une femme violée reste souvent entachée d’un  manque de crédibilité, peu de femmes attaquent leur agresseur en justice.[8]

Dans le cadre de la J.E. intitulée « Tabous et transgressions », je propose un travail de recherche axé sur l’étude de courriers intimes d’inconnus retrouvés dans les archives de l’hôpital des enfants trouvés de Londres. A travers ces documents, il nous est possible d’enquêter sur les conditions dans lesquelles, à la fin du dix-neuvième siècle, nombre de jeunes femmes célibataires finissent par transgresser les règles de bonne conduite en ayant des rapports sexuels avant le mariage. Face à des sources primaires qui nous donnent à voir de nombreux cas de relations sexuelles forcées, subies, on s’interrogera sur la question du consentement sexuel à la fin de l’ère victorienne, et sur le tabou qui entoure la relation sexuelle illicite et le viol.

 

 

[1] Paul Lacroix, Soirées de Walter Scott à Paris, Paris, Paulin, 1846 (1e éd. en 1829), p. 255.

[2] FREUD Sigmund, Totem et tabou,  p. 54

[3] Lorraine Camerlain, « Entre ciel et terre » in DAVID Gilbert, LAVOIE Pierre (dir.), Le Monde de Michel Tremblay, Montréal, Cahiers de Théâtre Jeu / Éditions Lansman, 1993, p. 218.

[4] Michel Tremblay, La Maison suspendue, Montréal, Leméac, « Théâtre », 1990, 119, p. 113.

[5] Notamment la loi de 1861, Offences Against the Person Act et celle de 1885, Criminal Law Amendment Act.

[6] Ces nouvelles mesures sont pourtant contestées car elles risquent de pénaliser les jeunes prostituées.

[7] Cette loi fait suite au scandale lié à l’adoption d’une série de lois : Contagious Diseases Act (1864, 66, 69).

[8] Après 1861, l’absence de preuves de résistance physique contribue aussi à décrédibiliser leurs témoignages. La loi de 1861 (Offences Agaisnt the Person Act) stipule en effet que tout viol implique résistance physique.