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La partie et le tout. Partitions et (re)compositions des corps au XIXe s. (Doctoriales SERD, Paris Diderot) 

La partie et le tout. Partitions et (re)compositions des corps au XIXe s. (Doctoriales SERD, Paris Diderot)

Publié le par Marc Escola (Source : Doctoriales de la SERD)

Journée d'études des Doctoriales de la SERD : 

« La partie et le tout. Partitions et (re)compositions des corps au XIXe siècle »

 

Cette journée d’études, organisée par les Doctoriales de la SERD, se propose d’analyser les imaginaires et les représentations du corps dans la littérature du XIXe siècle, et notamment sa propension à le « fragmenter » et à le représenter de manière éclatée ou partielle. Quelles parties du corps humain – masculin et féminin – fascinent et dans quelle mesure cette fascination est-elle liée aux nouvelles manières de fantasmer, de percevoir, de représenter le corps afin de mieux le maîtriser ou de mieux l’instrumentaliser ? Comment relie-t-on la partie au tout et que trahit cette écriture des enjeux idéologiques, sociaux et politiques qui entourent le corps au XIXe siècle ?

Le cahier ReMix de l’université du Québec a récemment consacré un numéro à « La chair aperçue. Imaginaire du corps par fragments (1800-1900) ». Dirigé par Véronique Cnockaert et Marie-Ange Fougère, ce travail invite à appréhender le corps dans la littérature du XIXe siècle dans une perspective « oblique », détournée, en mettant à l’honneur une « sémiologie du corps par fragment » qui peut conduire à une forme de fétichisme.

Nous souhaitons approfondir cette question en nous intéressant au traitement littéraire du corps et de ses parties à travers l’emploi et la récurrence des métaphores organiques, ainsi qu’en abordant la question des corps solides et des corps liquides. Le rapport au fétichisme pourra être interrogé au regard du dolorisme chrétien et du culte des reliques, qui amorcent une « recharge sacrale » (Philippe Boutry) au XIXe siècle. On oscille alors entre le désir de transgression et de désacralisation (pensons au traitement de Vénus par Rimbaud), et la sacralisation profane du corps et de ses parties (traitement du corps à travers ses parties dans la poésie parnassienne et symboliste) chez les écrivains et les poètes de la modernité.

Enfin, une attention particulière sera accordée à la stigmatisation des corps en vue de leur soumission à une norme dominante : de nouvelles pratiques « scientifiques » comme l’anthropométrie, renforcées par la photographie, promettent ainsi de dévoiler le « tout » par la « partie » à travers une série de stéréotypes sociaux ou raciaux.

Les communications, d’une durée de 20 minutes, pourront suivre l’un des axes suivants :

• « Approche organique et médicale du corps et de ses parties »         

L’anatomie pathologique est la science du XIXe siècle ; elle est popularisée par les leçons des grands maîtres (Bichat, Velpeau, Charcot), qu’une certaine peinture académique prend pour icônes tout au long du XIXe siècle, et plaisamment qualifiée de « nouvel art poétique du pays » par Jules Janin. Dans la lignée de ces expériences sur des cadavres, nombre d’écrivains (de Hugo à Villiers de l’Isle-Adam) et d’artistes (Géricault) s’interrogent sur l’état de conscience de la tête d’un guillotiné, quelques minutes après qu’elle est séparée du corps. Le lien de l’organe à l’organisme met donc aussi en jeu de nouveaux rapports entre le corps et l’âme : la psychiatrie organiciste, qui triomphe dans la seconde moitié du XIXe siècle, nie l’existence de cette dernière et réduit la folie à la lésion d’un organe en particulier. Cette réduction de l’ensemble au détail est le risque inhérent à une optique clinique de plus en plus « fétichiste » (Bertrand Marquer), en phase avec l’émergence de la sensibilité décadente. 
 

• « Fluides, flux, circulation »

Parmi les détails du corps qui seront abordés lors de cette journée d’études, une attention particulière pourra être accordée aux fluides, depuis les sécrétions les plus ordinaires (sang, bile, sueur, …) jusqu’aux exhalaisons et aux flux les plus intangibles (souffle de la respiration, influx nerveux, fluides magnétiques…). Sous l’effet d’une redécouverte du corpus hippocratique au xixe siècle, mais aussi d’une prise de conscience du lien entre miasmes, eaux stagnantes et épidémies, les fluides se retrouvent au cœur des préoccupations : le corps est désormais perçu comme un système de flux dont on s’attache à décomposer les mécanismes. Quel rôle est assigné à ces flux corporels dans le fonctionnement général du corps au xixe siècle ? Quelle place la littérature du xixe siècle fait-elle aux découvertes scientifiques liées à la circulation de ces flux et quel discours adopte-t-elle sur ce que ces flux révéleraient dans leur rapport au corps, voire, à la psychologie humaine ? Les communications pourront se pencher sur cette approche cinétique, que le fluide soit pris comme motif ou qu’il participe à la conception du corps comme régime métaphorique.
 

• « Sacraliser/désacraliser les parties du corps »

L’étude de la représentation des parties du corps et de leur rapport au tout ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la fascination qu’exercent les membres et organes sur les individus du xixe siècle, fascination qu’il convient d’articuler aux révolutions qui sous-tendent la conception du corps. Le regard posé sur le membre isolé traduit une ambivalence fondamentale de l’observateur, entre attirance et répulsion, dont les énergies sont réversibles. Si « l’invention de la clinique » invite à porter un regard attentif à la partie comme « totalité », on pourra se demander ce qu’il en est de ce regard morcelant et fasciné en dehors du champ médical. Sur le plan religieux, le XIXe siècle se caractérise en effet par un regain d’intérêt pour les reliques et par la forte expansion du culte du Sacré-Cœur. Cet intérêt marqué pour des restes corporels à une époque de malaise croissant face aux cadavres des proches montre bien l’ambivalence des relations à la partie, fondées sur la tension chrétienne entre vénération et dégoût pour le corps meurtri ou malade. Dans le cas de la relique, la partie invite à dépasser son appréhension singulière et à penser par synecdoque et par métaphore. Le membre considéré renvoie toujours à une totalité qui l’englobe et le transcende, qu’il s’agisse de Dieu ou d’un de ses représentants. Il en va de même dans la description poétique, qui s’est fait une spécialité de l’art des blasons et contre-blasons. On pourra interroger les révolutions poétiques du xixe siècle à l’aune de ces révolutions du corps en étudiant le traitement réservé à ses différentes parties dans les textes poétiques, et plus généralement, dans les portraits littéraires, picturaux et photographiques. Il conviendra à chaque fois de se demander comment la représentation des parties du corps traduit cette fascination ambiguë et quel rapport à la totalité elle engage. Cette relation implique une dialectique entre la présence et l’absence, entre ce qui est exhibé et ce qui est caché, qu’il faudra interroger dans les textes et les représentations. Cette réflexion pourra conduire également à s’intéresser aux différences de figuration distinguant pornographie et érotisme, qui impliquent un rapport différent à la partie et au tout.
 

• « Rapports de race et histoire coloniale »

L’histoire coloniale transforme l’attention portée au corps en l’inscrivant dans un rapport de force subordonnant les corps indigènes au regard métropolitain. Les outils de l’anthropométrie développés par l’anthropologie physique et les sciences anatomiques accompagnent ainsi une lecture du détail comme signe révélateur de la race et donc, catégorie différentielle. Le corps est ainsi fragmenté, mesuré, étudié, à l’aune de ce projet hiérarchique dont le discours s’intègre à une ingénierie sociale et politique, et émaille les textes littéraires de ses discours. Nous souhaitons ainsi nous interroger sur la construction littéraire d’une représentation de la race par le détail des corps. Comment les textes construisent-il les corps non-blancs à travers la description de leurs traits ? Quels sont ces détails, et comment ceux-ci peuvent-ils alimenter et contredire les représentations stéréotypiques ? Enfin, comment peuvent-ils entretenir, en retour, la construction d’un discours spécifique des corps blancs, au sein du contexte colonial qui traverse les textes ?
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Ayant vocation à favoriser un dialogue interdisciplinaire, cet appel est ouvert à tous les jeunes chercheurs en littérature, en histoire de l’art et en arts visuels.           

Les propositions de communication (une demi-page) devront être adressées au plus tard le 15 décembre 2019, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, à l’adresse suivante :

contact.doctoriales.serd@gmail.com
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Bibliographie indicative

Cnockaert, Véronique et Fougère, Marie-Ange (dir.), La Chair aperçue. Imaginaire du corps par fragments (1800-1918). Cahier ReMix, n° 08 (09/2018), Université du Québec à Montréal. En ligne sur <http://oic.uqam.ca/fr/remix/la-chair-apercue-imaginaire-du-corps-par-fragments-1800-1918>.

Corbin, Alain, Courtine, Jean-Jacques et Vigarello, Georges, Histoire du corps, Paris, Éditions du Seuil, 3 volumes (« De la Renaissance aux Lumières », « De la Révolution à la Grande guerre », « Les mutations du regard : le XXe siècle »), 2011.

Dupeyron-Lafay, Françoise (textes réunis par), Les représentations du corps dans les œuvres fantastiques et de science-fiction : figures et fantasmes, Paris, M. Houdiard, 2006.

Jarrasse, Bénédicte, Les deux corps de la danse : imaginaires et représentations à l'âge romantique, Pantin, Centre national de la danse, 2017.

Kerlouégan, François, Ce fatal excès du désir : poétique du corps romantique, Paris, Honoré Champion, 2006.