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"Flaubert-Baudelaire: l'oeuvre en dialogue" (Sbeïtla-Tozeur )

Publié le par Université de Lausanne (Source : Hassen Bkhairia)

En collaboration avec :

L’Institut Supérieur des Études Appliquées en Humanités de Sbeïtla (Université de Kairouan)

L’Association Tunisienne de l’Enseignement de Français (Gafsa)

L’Institut Supérieur des Études Appliquées en Humanités de Tozeur (Université de Gafsa) organise, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert et de Charles Baudelaire, un colloque international :

« Flaubert-Baudelaire : l’œuvre en dialogue »

3/4/5 mars 2022

 

Dans une lettre adressée à Charles Baudelaire, Gustave Flaubert exprime une admiration et un enthousiasme sans bornes pour Les Fleurs du Mal. Il écrit : « Vous avez trouvé moyen de rajeunir le romantisme. Vous ne ressemblez à personne (ce qui est la première de toutes les qualités). L’originalité du style découle de la conception. La phrase est toute bourrée par l’idée à en craquer[1]. » Ce qu’il apprécie plus que tout, ce n’est pas seulement le travail de la forme, de la langue et du phrasé, c’est surtout le désengagement énonciatif, une nette rupture avec le lyrisme déclamatoire. « Ce qui me plaît avant tout dans votre livre, écrit-il, c’est que l’art y prédomine. Puis vous chantez la chair sans l’aimer, d’une façon triste et détachée qui m’est sympathique. Vous êtes résistant comme le marbre et pénétrant comme un brouillard d’Angleterre[2] ». De son côté, Charles Baudelaire témoigne d’une véritable fascination pour Madame Bovary, le roman où se déploient le « souci remarquable de la beauté » et le « talent » d’un écrivain qui a réussi à « se frayer un chemin » après « le prodigieux météore » qu’est Honoré de Balzac. Ce que Baudelaire admire, c’est le « style nerveux, pittoresque, subtil, exact, sur un canevas banal ». Le tour de force du roman flaubertien consiste à créer une œuvre d’art autour d’une réalité des plus triviales. À une époque de prosaïsme et de banalité, Baudelaire soutient que « le choix d’un sujet très grand est une impertinence pour le lecteur du XIXe siècle ».

 Par ailleurs,  les échanges épistolaires entre les deux écrivains traduisent une incontestable parenté d’esprit et une évidente affinité intellectuelle se manifestant essentiellement dans leur conception de l’art. Au milieu du XIXe siècle et alors que le « champ littéraire » est envahi par ce que Sainte-Beuve appelle « une littérature industrielle » destinée à la grande masse, Flaubert et Baudelaire s’engagent dans la seule quête de la perfection esthétique. Ils prennent ainsi ouvertement leurs distances vis-à-vis du romantisme et du réalisme, et renouvellent la littérature grâce à un travail acharné sur la forme textuelle. Comme le fait remarquer Pierre Bourdieu dans Les Règles de l’art, les deux artistes défendent « l’autonomisation du champ littéraire » et cherchent à promouvoir une activité scripturaire autotélique.

Flaubert et Baudelaire, Jean-Paul Sartre le souligne[3] dans les biographies qu’il leur a consacrées, se désengagent, et dans un contexte socio-politique très agité, préconisent le « silence » et l’indifférence face aux préoccupations de leur époque. Pour eux, l’Art n’est autre que la quête douloureuse d'un Absolu intemporel. Se consacrer à son œuvre et défendre son idéal artistique permet une sorte d’élévation par rapport à la réalité dégoûtante. À une époque capitaliste où dominent les valeurs matérialistes liées au triomphe de la bourgeoisie, l’artiste s’enferme dans sa tour d’ivoire.

Face à l’Histoire, Flaubert et Baudelaire optent pour une attitude pessimiste et expriment l’inquiétude de « L’Homme moderne ». Leurs écrits ne cherchent ni à élucider le contexte historique ni à présenter une lecture rassurante  face aux soubresauts entraînés par la Révolution. Pessimistes, héritiers du « funeste Pascal », ils se montrent très sceptiques à l’égard du progrès de l’humanité et de la civilisation. La démocratie est, pour eux, une espèce de nivellement ; le suffrage universel et l’égalitarisme sont le comble de la dégradation. Flaubert et Baudelaire sont, pour utiliser l’expression d’Antoine Compagnon, des « antimodernes[4] », des écrivains « pris dans le courant moderne et répugnant à ce courant ». Ils défendent ce que Roland Barthes appelle « l’irréductible de la littérature, ce qui, en elle, résiste et survit aux discours typés qui l’entourent[5] ». D’où un excès de signifiant caractéristique d’une poétique qui cherche à se délester de tout dénoté idéologique.

Outre les similitudes saillantes entre Les Fleurs du Mal et Madame Bovary -  considérés, selon l’expression d’Yvan Leclerc, comme des « crimes littéraires » - auxquels le Second Empire a intenté un procès pour « offense » et « outrage à la morale et à la religion », ce qui réunit les deux écrivains, c’est leur fascination pour le grotesque, mais aussi ce que Baudelaire appelle l’« homme naturel » ; c’est-à-dire non seulement la nature humaine, mais la nature de la conscience humaine portée au mal, au remords et au déchirement. Dans leur farouche réaction contre l’académisme littéraire, ils choisissent d'accorder la primauté aux sujets les plus choquants, les plus transgressifs. Ainsi, les Goncourt estiment que l’intelligence de Flaubert est hantée par la lecture de Sade ; tandis que Baudelaire affirme qu’il faut toujours revenir à Sade pour comprendre le mal. En cela, l’œuvre de Baudelaire, autant que celle de Flaubert, ouvre à une conscience de la perversion à travers la question du mal et du sadisme en particulier. En contrepartie, dans une veine obsessionnelle, l’un et l’autre représentent la maladie, la mort et la désagrégation des corps, sujets ignobles et rebutants pour le lecteur bourgeois du XIXe siècle et pour les amateurs d’une littérature moralisante. Dans une allusion au sadisme baudelairien, Flaubert écrit, lors de la rédaction de Salammbô : « on commence à marcher sur les tripes et à brûler les moutards. Baudelaire sera content[6] ». À l’image de l’auteur des Fleurs du mal, Flaubert opte pour une poétique du choc et du « scandale » et, d’une manière subversive, il se situe à contre-courant d’une littérature bien-pensante.

 

Ce sont là diverses pistes de réflexion dont la liste n’est certainement pas exhaustive, et l’affinité intellectuelle et esthétique entre Flaubert et Baudelaire pourrait être abordée du point de vue des écrivains des XXe et XXIe siècles. On peut également envisager une approche centrée sur l’œuvre critique des deux écrivains car c’est à partir de la moitié du XIXe siècle, et dans le sillage de Flaubert et de Baudelaire, que se construisent un métalangage, une conceptualisation des outils de la critique littéraire.

 

  • L’idéal d’une « prose poétique »
  • Affinités stylistiques
  • Abolition des frontières entre les genres et les registres
  • L’art, la morale, la religion et la doxa
  • Positions par rapport aux écoles littéraires au milieu du XIXe siècle
  • La représentation de l’histoire, de la société et de la politique
  • Représentations du prosaïque, du trivial et du grotesque
  • Fascination pour le sadisme
  • Le problème du mal et de la perversion
  • L’imagerie de l’Orient
  • Le goût de « l’ailleurs »

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Bibliographie sélective

 

  • Ali Abassi, Flaubert dans le texte. Études sur la poétique romanesque, L’Harmattan, 2017.
  • Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques, Seuil, 1978.
  • Badreddine Ben Henda, Voyage au bout de la nuit flaubertienne. Émotions, tensions et intentions, Éditions Latrech, Tunis, 2018.
  • Georges Blin, Le Sadisme de Baudelaire, José Corti, 1948.
  • Walter Benjamin, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, trad. Jean Lacoste, Payot, 1990.
  • Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992.
  • Peter Burger, La Prose de la modernité, Klincksieck, 1994.
  • Dominique Combe, « Flaubert et Baudelaire. Les hautes facultés d’ironie et de lyrisme », V. Laisney (dir.), Le Miroir et le chemin. L’univers romanesque de Pierre-Louis Rey, Éditions de la Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 111-122.
  • Antoine Compagnon, Les Antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Gallimard, 2016.
  • Antoine Compagnon, Baudelaire l’irréductible, Flammarion, 2014.
  • Jalel El-Gharbi, Le Cours Baudelaire, Maisonneuve & Larose, 2004.
  • Laurent Jenny, La Terreur et les signes. Poétiques de rupture, Gallimard, 1982.
  • Pierre Laforgue, « Baudelaire, Flaubert et Madame Bovary, ou hystérie et réalisme », Ut Pictura poesis. Baudelaire, la peinture et le romantisme, Presses Universitaires de Lyon, 2000, pp. 73-82.
  • Yvan Leclerc, « Madame Bovary et Les Fleurs du mal : lectures croisées », Romantisme, n°62, 1988, pp. 41-49.
  • Yvan Leclerc, Crimes écrits, la littérature en procès au XIXe siècle, Plon, 1991.
  • Jacques Neefs, « Flaubert, Baudelaire : la prose narrative comme art moderne », Crise de prose, Jean-Nicolas Illouz, Jacques Neefs (dir.), Presses Universitaires de Vincennes, 2002.
  • Claude Pichois, Retour à Baudelaire, Slatkine Érudition, 2005.
  • Dominique Rabaté, (dir.), Figures du sujet lyrique, PUF, 1996.
  • Daniel Salvatore Schiffer, L’Ivresse artiste. Double portrait. Gustave Flaubert - Charles Baudelaire, Éditions Samsa, 2021.
  • Gisèle Séginger, Flaubert, une éthique de l’Art pur, Presses SEDES, 2000.
  • Timothy Unwin, Flaubert et Baudelaire. Affinités spirituelles et esthétiques, Nizet, 1982.
  • Alain Vaillant, Baudelaire poète comique, Presses Universitaires de Rennes, 2007.
  • Florence Vatan, « Le vivant, l’informe et le dégoût : Baudelaire, Flaubert et l’art de la (dé)composition », Flaubert. Revue critique et génétique, n°13, 2015. http://journals.openedition.org/flaubert/2436

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Comité scientifique

Badreddine BEN HENDA (Université de Tunis El-Manar)

Hassen BKHAIRIA (Université de Gafsa)

Bruno CLEMENT (Université de Paris 8)

Mokhtar FARHAT (Université de Gafsa)

Jalel EL-GHARBI (Université de La Manouba)

Kamel GAHA (Université de Tunis)

Kamel HAMDI (Université de Tunis El-Manar)

Laurent JENNY (Université de Genève)

Francis LACOSTE (Université de Bordeaux Montaigne)

Yvan LECLERC (Université de Rouen)

Laure LEVEQUE (Université de Toulon)

Alexis LUSSIER (Université du Québec à Montréal)

Samir MARZOUKI (Université de La Manouba)

Gisèle SEGINGER (Université Paris-Est Marne-la-Vallée)

Sihem SIDAOUI (Université de La Manouba)

Vincent VIVES (Université de Valenciennes)

 

Comité organisateur

 

Moufida ALIOU (Université de Gafsa)

Rabiaa BEN ARFA (Ministère de l’éducation. Tunisie)

Hassen BKHAIRIA (Université de Gafsa)

Kamel BOUAZIZI (Université de Gafsa)

Mohamed BOUKCHIM (Université de Gafsa)

Mahmoud Abbès ElAMRI (ISEAH Sbeïtla- Université de Kairouan)

Nadia ELBASLI (ISEAH Sbeïtla- Université de Kairouan)

Mohamed ELFERHI (ISEAH Sbeïtla- Université de Kairouan)

Naziha GOUADRIA (Université de Gafsa)

Souli HARAKETI (Université de Gafsa)

Hadhria MBARKI (Université de Gafsa)

Sihem DHEYAA (Université de Gafsa)

Tarek Sahbi MEDDEB (Université de Gafsa)

Saber RADDAOUI (Université de Tunis)

Majed ZOGHLAMI (Université de Gafsa)

 

Les propositions de communication ainsi qu’une notice bio-bibliographique sont à envoyer avant le 30 octobre 2021 aux adresses suivantes : hasbkhairia@gmail.com moufida.aliou@gmail.com chokri.boukhchim@yahoo.fr

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Calendrier :

30 octobre 2021 : date limite pour la réception des propositions de communication

30 novembre 2022 : notification aux participants

3, 4 et 5 mars 2002 : tenue du colloque

Fin décembre 2022 : publication des actes du colloque

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[1]Gustave Flaubert, Correspondance II (1851-1858), Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. 744.

[2]Ibid., p. 745.

[3] Jean-Paul Sartre, Baudelaire, Gallimard, 1988, L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, (3 tomes), Gallimard, 1988.

[4]Antoine Compagnon, Les Antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Gallimard, 2016.

[5] Roland Barthes, Leçon, Seuil, 1978, p. 25.

[6] Lettre à Ernest Feydeau, 17 août 1861, Correspondance III (1859-1868), Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 171.