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Les femmes et la philosophie des Lumières : modes et formes de collaboration et de participation (Nanterre)

Les femmes et la philosophie des Lumières : modes et formes de collaboration et de participation (Nanterre)

Publié le par Marc Escola (Source : Laurence VANOFLEN)

Les femmes et  la philosophie des Lumières : modes et formes de collaboration et de participation,

Université de Paris-Ouest-Nanterre, 15-16 mars 2017

 

Dans la relation des femmes à la philosophie des Lumières, l’extériorité semble la règle, l’enquête de F. Lotterie autour de la figure de la « femme philosophe » l’atteste.  Dans Le Genre des Lumières. Femme et philosophe au XVIIIe siècle (Paris, Garnier, 2013), elle montre notamment la mise en place du modèle fontenellien de la marquise, qui domine l’imaginaire du siècle concernant les relations entre sexes. Sa question en forme de paradoxe : « Les Lumières ont-elles un genre ? » - reçoit une réponse affirmative sans appel, après l’examen des différentes places possibles de « femmes philosophes » (disciple, autodidacte,…), et ce malgré les négociations des « philosophes » reconnus, Voltaire, Rousseau, et Diderot, avec la réalité ou l’idée d’une collaboration entre les sexes.  Fugacement envisagée par Rousseau  dans la Julie, par exemple, elle est ainsi vite démentie par une répartition traditionnelle des rôles dans son  roman.

 Cette extériorité, à laquelle les modes d’accès au savoir et le fonctionnement des institutions littéraires et scientifiques de l’âge classique semblent vouer les femmes, nous voudrions la vérifier, la nuancer ou la compléter, à la lumière de corpus longtemps inédits remis en lumière, au gré de travaux d’édition et d’études diverses. Après Emilie du Chatelet ;  Louise d’Epinay, dont la contribution à la Correspondance Littéraire a été réévaluée dans l’entreprise dirigée par Ulla Kölving, depuis 2006 ; vient le tour de Geneviève Thiroux d’Arconville,  Octavie Belot, ou Charlotte de Benouville, rééditées tout récemment, voire de Mme Dupin, dont Rousseau fut le secrétaire, devenue objet d’une thèse.

Pour cette enquête, nous choisirons donc une autre entrée que celle de l’imaginaire des Lumières : celle de la vie des idées incarnée dans des correspondances, des écrits (parfois inédits), sans oublier le volant infra-littéraire des traductions ou du journalisme. Outre le rôle joué par les femmes dans les transferts culturels, par leur œuvre de traductrice, elles ont pu se frayer une place dans des domaines réputés masculins, et participer aux débats publics du temps[1].

Ceci engage bien sûr notre façon de concevoir les Lumières et le contenu de l’étiquette de « philosophe ». Si la philosophie des Lumières implique aussi une manière d’être, une aspiration conditionnant les comportements et les formes de pensée, elle ne se traduit pas seulement par des essais et des corps de doctrine, mais par le partage d’idées, de  valeurs, et par la participation active à des échanges intellectuels. Il serait alors nécessaire de prendre en compte ces participations, longtemps invisibles, pour avoir une vision plus complète des Lumières.

On évitera évidemment de prendre de façon trop extensive la notion de dialogue, ou de collaboration. On veillera aussi à distinguer (éventuellement) des degrés de participation, des simples « disciples », membres de l’élite cultivée ayant accès aux connaissances et aux débats du jour ;  à l’engagement concret dans la production et la bataille des idées. On privilégiera enfin ces deux dernières (production et bataille des idées) sur la simple diffusion, solution de compromis légitimant une publication féminine [2] ; sauf à ce que les pédagogues, telles Leprince de Beaumont, Epinay, Genlis, ne se limitent pas à une simple transmission des connaissances ou des idées[3].   

 L’objectif n’est en effet pas de constituer une liste commémorative de « femmes des Lumières » ; mais de saisir sur le vif des exemples précis du travail de la pensée, encore peu ou mal connus, et ce, dans des chantiers suffisamment représentatifs des Lumières.

Dans cette perspective, on peut se proposer  plusieurs pistes :

— explorer des réseaux (les femmes proches des milieux économistes :  O. Belot,  Graffigny, la duchesse d’Enville… ;  encyclopédistes, Epinay ; etc ). Voire, éventuellement, outre-Manche, considérer le milieu des blue stockings puis des jacobins (E. Inchbald, M. Wollstonecraft et W. Godwin).

— étudier des échanges occasionnels ou plus durables, concrétisés ou pas dans des collaborations, pour mesurer les contributions de ces femmes.  On peut citer les cas d’E. du Châtelet et de Voltaire ; et par exemple, à la fin du siècle, de G. de Staël et B. Constant ; plus fugacement, B. Constant et I. de Charrière, notamment dans  les Lettres trouvées dans des porte-feuilles d’émigrés, dont une lettre a longtemps été rattachée à la correspondance de Benjamin Constant, puis au-delà, dans le dialogue à distance sous-jacent à Trois Femmes.

— repérer des thèmes porteurs, des questionnements sur lesquels ont lieu ces échanges, ou, participation ; éventuellement, des moments, et des circonstances les facilitant ou les permettant, ce qui amènerait à compléter la cartographie des Lumières.

— étudier les postures énonciatives adoptées par les femmes ;  et ce qu’elles révèlent de leur  positionnement (avec les pièges à affronter) ; les stratégies de légitimation et d’édition.

— éventuellement, poursuivre l’analyse des mécanismes et des raisons de cette extériorité ; et de ce qui a rendu ces participations « in-visibles », des modes d’accès au savoir (déjà connus) aux conditions de production littéraire, à la transmission des textes et à la constitution de l’historiographie qui, de Mme du Châtelet, d’Epinay, ou de Sophie de Condorcet offre des exemples instructifs. Les flottements dans l’histoire des attributions de textes féminins valent en soi comme une preuve de leur participation réelle au travail intellectuel, dans la mesure où ils se fondent souvent sur des arguments de critique interne et de similitude avec les œuvres contemporaines des Philosophes considérés, ainsi pour les dialogues philosophiques de 1761, longtemps attribués par G. Roth à Diderot

 

Les projets de communication seront à adresser  avant le 25 avril 2016, sous la forme d’un document word (.doc ou .docx) ou de pdf, de 500 mots environ, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique comportant l’établissement de rattachement à Laurence Vanoflen (l.vanoflen@u-paris10.fr).

Ils seront soumis à l’approbation d’un comité scientifique réunissant Marc-André Bernier, Colas Duflo, Florence Lotterie, et Catriona Seth.

 

 

[1] Voir par exemple à propos du rôle de la traduction, la bibliographie contenue dans Margaret Carlysle, « Entre le Traité d’ostéologie et les Leçons de chimie: Madame d’Arconville, traductrice des Lumières », in Entre la plume et la cornue. Madame d’Arconville, moraliste et chimiste au siècle des Lumières, Édition critique de textes de Geneviève Thiroux d’Arconville et études rassemblées par Marc André Bernier et Marie-Laure Girou Swiderski, Oxford University Studies in the Enlightenment (sous presse), p. 138-158 ; il faut ajouter Hayes, Julie Candler, Translation, subjectivity,  and culture in France and England,  1600-1800, 2009, Stanford University Press.

[2] I. Brouard-Arends, « De l’auteur à l’auteure. Comment être femme de lettres au siècle des Lumières ? », Intellectuelles, du genre en histoire des intellectuels, sous la dir. de Nicole Racine et Michel Trebitsch, éd. Complexe, 2004,  p. 73-83.

[3] Ce que suggère déjà (pour ne signaler qu’elle) I. Brouard-Arends dans « Trajectoires de femmes, éthique et projet auctorial, Mme de Lambert, Mme d’Epinay, Mme de Genlis », DHS, n° 36, 2004, p. 189-196.