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Quaderni proustiani, « Il ne pouvait que me donner son image » : Stylistique de la figuration proustienne

Quaderni proustiani, « Il ne pouvait que me donner son image » : Stylistique de la figuration proustienne

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Ludovico Monaci)

Argumentaire

Picturale ou architecturale, graphique ou sculpturale, reflétée ou médiatisée, l’image proustienne est « une frêle et précieuse réalité » (Benjamin 2005, 41) qui occupe une place centrale dans l’herméneutique de l’oeuvre cathédrale. L’un des premiers épisodes de la Recherche est éclairant à ce sujet. Absorbé dans ses lectures sous le marronnier, le narrateur formule une philosophie de l’image romanesque : « l’ingéniosité du premier romancier consista à comprendre que dans l’appareil de nos émotions, l’image étant le seul élément essentiel, la simplification qui consisterait à supprimer […] les personnages réels serait un perfectionnement décisif » (RTP, I, 84). Ce passage anticipe l’approche des images par la culture visuelle : « Les images […] sont des personnages dotés d’un statut légendaire, des acteurs de la scène historique, d’une histoire qui accompagne et participe des récits » (Mitchell [1986] 2018, 35). Conçues en tant que vecteurs « multisensoriel[s] » (Damasio 1999, 318) catalysant les sentiments par la  « figuration » (Bal 1997, 11), les images de la Recherche méritent d’être traitées comme des « personnages réels ». Compte tenu des études qui ont sondé ce thème dans une perspective relevant de la culture visuelle (Kosofsky Sedgwwick 1990 ; Aubert 2012 ; Bertho 2021 ; Bruhn 2021), notre objectif est de considérer l’univers figural de la Recherche dans tous ses états et dans toutes ses implications. Nous proposons de se pencher non seulement sur la version définitive de l’oeuvre, mais aussi sur les étapes qui scandent l’évolution génétique : les versions avantextuelles pourraient révéler des changements du plan de la composition ou des modifications dans les choix référentiels des images et dans la façon dont ces dernières sont acclimatées au contexte ambiant. À la lumière de la variété formelle des images proustiennes et de l’hétérogénéité des situations auxquelles elles sont associées, nous invitons à prendre en charge les trois axes suivants.


 Axe 1 : Les images
Le terme image désigne « toute ressemblance, figure, motif ou forme apparaissant au travers d’un médium » ; le médium est défini à son tour comme « l’ensemble des pratiques matérielles qui associent une image à un objet de sorte à produire une piction » (Mitchell [2005] 2014, 17). Dotée d’un surplus intellectuel, l’image échappe à la matérialité de la piction (terme introduit pour traduire le mot anglais picture). Si la piction essaie de faire correspondre une image à un objet, l’image y échappe à chaque fois qu’elle est reproduite. À partir de cette donnée épistémologique fondamentale, les images sont des « signes de vie, mais aussi signes en vie » (Mitchell [2005] 2014, 29), ayant (et suscitant) des désirs et des « pouvoirs » (Marin 1993). Les imageries culturelles de l’époque et les nombreux tableaux réels et « suggérés » (Yoshikawa 2010, 354) qui constituent le « musée imaginaire » (Malraux 1947) de la Recherche (Tadié 1999 ; Zuber 1999 ; Karpeles 2009) seront pris en charge dans le but d’interroger l’existence et la prolifération des images. Quels effets ressortissent à leur intégration et à leur multiplication dans le récit ? Quel lien entretiennent les images proprement dites – historiquement et culturellement reconnaissables – avec les images mentales et verbales qui hantent les personnages proustiens ? Comment est-ce que la dialectique image/piction évolue à travers les différentes phases de la composition de la Recherche, en relation avec des passages spécifiques (changements référentiels d’images, d’oeuvres, d’auteurs, etc.) et en fonction du cadre théorique général ?


 Axe 2 : Les médias
Lorsqu’elle veut offrir à son petit-fils les photographies d’un paysage ou d’un monument, la grand-mère se renseigne « auprès de Swann si quelque peintre ne les avait pas représentés » (RTP, I, 40). Le choix d’introduire des « épaisseurs » artistiques ajoute automatiquement un « supplé-ment herméneutique » (Cometa 2012, 39). Dans la Recherche, les objets qui médiatisent la réalité sont légion : la lanterne magique, le stéréoscope (Guindani 2004), le kinétoscope et le cinématographe (Carrier-Lafleur & Sirois-Trahan 2016 ; ffrench 2018), mais aussi les loupes et les monocles (Moricheau-Airaud 2019). La liste peut être élargie par des médias qui restituent une image graphique (comme la lettre et le télégraphe) ou auditive (comme le téléphone). Pourtant, comme le médium prend en charge le système, l’environnement, les habitudes individuelles et les pratiques sociales, une attention particulière pourra être réservée aux images d’objets comme l’aquarium et le kaléidoscope (Henry 1979), qui déclenchent le double processus de « construction sociale du visuel » et de « construction visuelle du social » (Mitchell [2005] 2014, 356). Ensuite, la colonne Morris, dont    « les images inséparables des mots » (RTP, I, 72) annoncent les spectacles, témoigne de la convergence des nouveautés figuratives et matérielles introduites par l’Art Nouveau dans l’imagerie de la Recherche (Eells 1995 ; Leriche 2002 ; Basch 2013 ; Gibhardt & Ramos 2013 ; Scarry 2015 ; Barde 2024). Enfin, on pourra se focaliser sur tous les paysages réels ou fictionnels, naturels ou urbains (Malcolm 1999), qui lexicalisent les stylèmes de certains courants artistiques (Fraisse 1997 ; Henrot Sostero 2015, 2017).


 Axe 3 : Le style
L’initiation esthétique du narrateur de la Recherche s’appuie sur la tentative de « se dégager de l’espace du tableau afin d’incorporer les choses qui y sont figées dans le temps de la narration » (Valazza 2013, 293). Relevant le défi d’une tradition selon laquelle « la littérature serait un art du temps et la peinture un art de l’espace » (Mitchell [1986] 2018, 141), le héros identifie l’église de Combray comme lieu dépositaire d’une alliance chronotopique (RTP, I, 60). Ces évidences encouragent une analyse de la description proustienne (Chaudier 2018, 2019), notamment des ekphrasis « mimétiques », qui dématérialisent une oeuvre originale pour la transférer dans une forme verbale, et des ekphrasis « notionnelles », qui authentifient une oeuvre ayant été perdue ou ayant été inventée de toute pièce par l’écrivain (Cometa 2012, 53). À ce propos, il serait intéressant d’approfondir d’une part les dispositifs rhétoriques dont Proust use pour transposer les images, et de l’autre, la modalité dont des concepts du visuel et de l’art figural deviennent opérationnels dans l’écriture romanesque.


Les trois axes signalés ne sont pas exclusifs et notre argumentaire n’a pas la prétention d’être exhaustif. Comme les différentes rédactions transposent dans l’acte d’écriture la « temporalité » de l’image et le dynamisme qui lie cette dernière à la piction, l’orientation génétique sera la piste d’enquête privilégiée. Par ailleurs, toute autre proposition portant sur la notion d’image telle qu’elle vient d’être retracée sera la bienvenue.

Calendrier
Colloque : Université de Padoue, les 26 et 27 février 2026.
Le programme du colloque comprend les interventions d’une conférencière et d’un conférencier invités : Mieke Bal et Michele Cometa.
Délai de soumission des résumés : Les propositions de communication (700 mots maximum) doivent être accompagnées d’une note biobibliographique et elles doivent être envoyées avant le 30 octobre 2025 aux adresses suivantes : genevieve.henrot@unipd.it, alessandro.metlica@unipd.it et ludovico.monaci@unipd.it. Les participant(e)s recevront une réponse au plus tard le 30 novembre 2025.
Publication : Les actes seront publiés dans la revue Quaderni proustiani (Padova University Press, vol. 20, 2026). Mis aux normes de la revue, les articles (40 000 signes espaces comprises) devront être envoyés avant le 31 juillet 2026 et seront soumis à une relecture en double aveugle.

Pour les références bibliographiques voir la pièce jointe.