Courbes optimales. La notion d’"efficience" au XVIIIe s. Sciences, littérature, esthétique (Bâle, en ligne)
Courbes optimales. La notion d’« efficience » au XVIIIe siècle (sciences, littérature, esthétique)
Derrière le « meilleur des mondes possibles » de Leibniz se cache une réflexion théologique, morale et mathématique doublée d’une idée fort neuve au XVIIIe siècle : l’efficience. Dieu aurait en effet créé le monde en sorte que s’y trouve « la plus grande variété, avec le plus grand ordre » (Principes de la grâce). Et puisque le terme d’« efficience » n’apparaît pas dans les dictionnaires français à l’âge classique, c’est en latin que Leibniz définit cet optimum comme la courbe résolvant le problème de trouver « la combinaison unique d’êtres, d’événements et de phénomènes la plus parfaite » (P. Rateau). En un mot, Dieu a créé et administre l’univers en suivant une raison économique que matérialise entre autres l’idée géométrique de courbes optimales.
Cette idée essaime en France et en Europe. Elle alimente les débats théologiques, et contribue à affermir les courants déistes. Mais elle trouve des résonances dans d’autres domaines : la conception de Montesquieu selon laquelle le gouvernement « le plus parfait est celui qui va à son but à moins de frais » (Lettres persanes), ne subordonne-t-elle pas la politique à un calcul des dépenses ? La jurisprudence de Beccaria ne vise-t-elle pas à indexer la « vraie mesure de la peine » sur le « dommage causé à la société » (Des délits et des peines), fondant ainsi un optimum pénal ? L’émergence de l’économie politique est-elle dissociable de la conception d’un ordre naturel conceptualisé pour la première fois par Boisguilbert et perfectionné par Quesnay en un gouvernement économique visant « la plus grande augmentation possible de jouissance, par la plus grande diminution possible de dépense » (Physiocratie) ?
De tous ces savoirs, la littérature n’est pas exclue ; elle résiste cependant à une interprétation trop étroitement économique de l’optimum. Certes : « Personne n’imite notre Seigneur mieux que l’inventeur d’un beau roman » (lettre à Ulrich), écrit Leibniz. Mais de Lesage à Diderot, quels optima met-elle en scène ? Relèvent-ils bien d’une économie des pertes et profits ? N’englobent-ils pas la dépense, le détour, l’inachèvement même comme des possibilités de l’existence ? Dans une perspective esthétique, la courbe optimale ne s’apparente-t-elle pas à la « ligne serpentine » ou « ligne de beauté » d’Hogarth ? Le plaisir ne mélange-t-il pas l’ordre et la surprise, notamment dans la description du « verger de Julie » dans la Nouvelle Héloïse, où « les sinuosités […] sont mélangées avec art » ?
Quels sont alors les types d’optima conçus dans les différents domaines du savoir ? Et surtout, considérés à travers le prisme de la littérature, quelles mises en question, collaborations ou parallèles tirer entre ces types d’efficacité ?
Programme:
Jeudi 11 mars
9.00. Ouverture du colloque (Sarah Brämer, Adrien Paschoud et Slaven Waelti)
Première session : Présidence Véronique Le Ru
9.30. Claire Fauvergue (Collège international de philosophie, Paris) : L’optimum comme paradigme savant dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert
10.00. Muriel Brot (CNRS, Université Paris-Sorbonne) : Optimum économique et efficience philosophique dans l’Histoire des deux Indes de Diderot-Raynal
10.30. Discussion
Deuxième session : Présidence Philippe Audegean
11.30. Carole Dornier (Université de Caen) : Méthode des calculs et optimum de la décision politique dans les projets de l’abbé de Saint-Pierre
12.00. Christophe Martin (Paris Sorbonne Université) : Fontenelle et le principe de moindre action
12.30. Sarah Brämer (Université de Bâle) : La meilleure écriture possible : la notion d’optimum chez Warburton
13.00. Discussion
Troisième session : Présidence Florence Magnot-Ogilvy
14.30. Marilina Gianico (Université de Mulhouse) : Le pathétique et le roman : vers un optimum de la sensibilité
15.00. Cecilia Roumi (Université de Bâle) : Un « curieux problème littéraire » : performance poétique et optimisation du non-scriptible
15.30. Discussion
Conférence
17.00. Laurent Loty (Paris Sorbonne Université) : L’optimum : de la théologie aux sciences et aux fictions
Vendredi 12 mars
Quatrième session : Présidence Slaven Waelti
09.30. Paul Rateau (Université Paris I-Panthéon Sorbonne) : Leibniz et l’esprit du capitalisme : une lecture critique de Jon Elster
10.00. Florence Magnot-Ogilvy (Université de Rennes) : Équilibre et déséquilibre : les courbes narratives des contes de Voltaire et la notion de rééquilibrage
10.30. Discussion
Cinquième session : Présidence Carole Dornier
11.30. Philippe Audegean (Université de Nice) : Massima felicità. Utilité optimale et normes de justice chez Beccaria
12.00. Claire Pignol (Université Paris I-Panthéon Sorbonne) : Usage sage des richesses ou jouissance extravagante : l’optimalité est-elle déraisonnable ?
12.30. Discussion
Sixième session : Présidence Adrien Paschoud
14.30. Mitia Rioux-Beaulne (Université d’Ottawa) : Naturel, rationnel, utile : penser l’optimisation avec quelques utopies des Lumières
15.00. Colas Duflo (Université Paris-Nanterre) : Les Lettres persanes de Montesquieu : l’efficience et le gâchis
15.30. Véronique Le Ru (Université de Reims) : La recherche du bon principe d’économie
16.00. Discussion et conclusion du colloque
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Le colloque aura intégralement lieu sur Zoom.
Le lien pour assister au colloque sera communiqué sur le site du Séminaire de français de l’Université de Bâle ou sur demande aux organisateurs.