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Les Geeks, héros (pop) des temps modernes (Paris Est Marne-la-Vallée)

Les Geeks, héros (pop) des temps modernes (Paris Est Marne-la-Vallée)

Colloque - Appel à communications :

Les Geeks, héros (pop) des temps modernes

29 et 30 mai 2020

 

En tant qu’archétype, le geek et ses diverses déclinaisons (le fanboy, le nerd, le cyberpunk, le nolife) est emblématique du cinéma américain contemporain du point de vue thématique, historique et systémique. Plus généralement, à l’heure de la mondialisation, de la multiplication des supports, des réseaux de diffusion et des accès à l’information la place de plus en plus prégnante du geek dans le paysage cinématographique et télévisuel américain rend compte d’une sorte d’âge d’or de la pop culture triomphante et d’un moment où est reconsidérée la hiérarchie entre la culture savante (« high culture ») et populaire (« low culture »).

S’ils sont apparus dans les années 1960-1970 et qu’ils ont prospéré dans les années 1980-1990, c’est bien dans les années 2000 et grâce à la comédie que les geeks et les fanboys ont conquis leurs lettres de noblesse. Ils ont alors cessé d’être des faire-valoir ou de brillants mais maladroits adjuvants (des sidekicks) pour porter sur leurs frêles épaules la responsabilité du continuum narratif. Ce glissement et cette évolution de leur nature primaire ont eu lieu grâce, notamment, au producteur et réalisateur Judd Apatow avec la série Freaks and Geeks (Paul Feig, 1999-2000, NBC), et les films 40 ans, toujours puceau (The 40 Year-Old Virgin, Judd Apatow, 2005), Supergrave (Superbad, Greg Mottola, 2007) ou En cloque mode d’emploi (Knocked Up, Judd Apatow, 2007).

L’arrivée massive de ces nouveaux personnages a également correspondu avec l’émergence d’une génération d’acteurs gravitant autour d’Apatow et dont l’image finit par se confondre avec celle du fanboy. Parmi ces nouveaux acteurs figurent Seth Rogen, Jonah Hill, Jay Baruchel, Justin Lang, Christopher Mintz-Plasse ou Michael Cera.

Les geeks apparaissent comme des inadaptés. A l’instar des héros du film Fanboys (Kyle Newman, 2009), ils peinent à s’insérer dans la vie active. Ils sont vendeurs de bandes dessinées, livreurs de pizzas, artistes frustrés reconvertis malgré eux en vendeurs de voitures. Pas de famille à charge, peu de responsabilités, une vie sentimentale problématique. Ils ont, au fil du temps, accumulé sur les mythologies modernes et populaires (Star Wars, Star Trek, Le Seigneur des anneaux, les héros des univers Marvel et DC Comics) un savoir encyclopédique qui ne trouve aucune application, ni valorisation concrète dans le monde qui est le leur, qui est le nôtre. Les geeks ne se cantonnent pas à un genre particulier. Initialement montrés comme des personnages de comédies, ils sont, par exemple, présents et essentiels dans l’œuvre et les thrillers de David Fincher[1]. On peut également remarquer que le Spider-Man du Marvel Cinematic Universe[2] est un geek et que cette caractéristique lui permet de venir à bout de certaines situations : dans Captain America Civil War, sa connaissance de Star Wars lui permet de faire tomber à terre Ant-Man devenu géant ; dans Avengers : Infinity War, c’est Alien qui lui apporte la solution pour éjecter un extra-terrestre d’un vaisseau spatial.

Don Quichotte modernes, les geeks sont surtout devenus l’un des symboles majeurs de la pop culture contemporaine. Structurellement, leur caractérisation et leur trajectoire semblent sous-tendues par une stratégie pop qui oscille entre deux logiques. Premièrement, la stratification référentielle, synonyme d’accumulation, de multiplication et d’hétérogénéité des références, consiste en l’accumulation pêle-mêle et quasi-simultanée des modèles culturels. Cette approche n’implique pas nécessairement de hiérarchisation préalable et confère à la mode et à l’immédiateté une primauté affirmée. Dès lors, le récit filmique ou sériel pourrait être assimilé à un collage. Cette approche met en exergue l’essence de ce qu’est l’art pop tel qu’il a pu être conceptualisé par Lawrence Alloway. Elle confirme également l’existence d’un cinéma pop tel qu’il fut défini par Pierre Berthomieu[3] et Renan Cros.

Deuxièmement, la naturalisation des codes et des motifs culturels consiste en l’adaptation à un contexte narratif singulier d’éléments renvoyant à l’histoire du pop. La référence, la citation littérale ou détournée, la convocation de modèles chargés de sens par la culture populaire contribuent ainsi à l’établissement d’une réflexivité. Le détournement de modèles solidement établis est conforme à la tradition parodique qui parcourt la comédie américaine et à laquelle appartiennent Mel Brooks qui, avec La Folle histoire de l’histoire de l’espace (Space balls,1987), pastiche Star Wars, ou encore Jim Abrams qui, dans Hot Shots 2 (Hot Shots ! Part Deux), en 1993, organise un duel au sabre laser entre le Président des Etats Unis et Saddam Hussein.

La détermination du geek en tant qu’archétype correspond également à l’avènement d’une génération de cinéastes, de scénaristes, de producteurs, de showrunners qui se réclament du cinéma populaire américain des années 1970–1980, soit le début de la démocratisation d’une conception d’une pop culture décomplexée et mondialisée. Cette période voit s’affirmer le blockbuster comme nouveau paradigme économique et cinématographique et de nouveaux canons, ou modèles, assimilables aux œuvres de Steven Spielberg, Robert Zemeckis, John McTtiernan, John Hughes, James Cameron et George Lucas. Quelques noms de cinéastes geeks surgissent alors spontanément. J.J. Abrams se revendique comme un héritier du spectacle hollywoodien tel qu’il s’est épanoui dans les années 1970-1980, revisitant avec déférence et tendresse les rencontres du troisième type spielbergiennes (Super 8, 2011), relançant la franchise Star Trek et supervisant la troisième trilogie Star Wars (2015-2019). Seth MacFarlane, le créateur des séries Family Guy (Fox, 1999), American Dad ! (Fox puis TBS, 2005) s’est fait connaître pour son esprit et son humour aussi vif que mordant. Enfin, Kevin Smith, s’est quant à lui érigé en cinéaste ouvertement geek et s’adressant aux geeks. Les héros de son cinéma sont des inadaptés qui ont grandi entre les rayonnages des boutiques de bandes dessinées et les parkings de grandes surfaces où ils se retrouvent pour boire, s’échanger des VHS et parler de jeux vidéo. Ces vitteloni américains vivent encore dans les garages aménagés de leurs parents et pratiquent en groupe leur sport préféré : l’herméneutique d’œuvres pop, des comics aux films de science-fiction. Adorateurs de Star Wars ou de superhéros, ils se plaisent à décortiquer et à surinterpréter. Ils évaluent, comparent, testent et s’érigent en observateurs avertis de la culture populaire. A leur manière, ils sont des héros des temps modernes.

Enfin, on pourra s’interroger d’un point plus pédagogique ou méthologique sur les questions que posent à la fois le fait de travailler sur des objets issus de la popculture et le fait d’être des enseignants et des chercheurs geeks. Le geek baigne dans un monde de références qui s’étendent du jeu vidéo au cinéma en passant par les séries télévisées ou encore les bandes dessinées, monde dans lequel il est immergé depuis plusieurs années : est-ce que l’analyse et la transmission des connaissances nécessaires à l’appréhension de ces univers immersifs auxquels collègues ou étudiants peuvent être résolument étrangers nécessitent l’invention d’outils particuliers (informatiques, vidéographiques) ou l’utilisation de matériaux nouveaux (les videos ludiques de youtubeurs, les podcasts de fans) ? De manière plus générale, on pourra se demander comment parler à l’université d’objets d’amour, ce que sont souvent les univers pop dans lesquels les geeks se reconnaissent, d’objets avec lesquels on entretient souvent une relation très intime qui peut sembler loin de toute objectivité scientifique ?

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Organisé par le groupe de recherches POPPART (LePOPestPARTout), les 29 et 30 mai 2020 à l’Université Paris Est Marne-la-Vallée, ce colloque sera la conclusion d’une première année consacrée à l’étude de la pop culture et à ses principaux phénomènes. Il a pour objectif de fixer à travers la figure forte et archétypale du geek, une réflexion autour des enjeux que cristallisent la pop culture contemporaine et le cinéma populaire. Les communications de 40 minutes pourront porter sur les sujets suivants :

— des études de cas consacrées à une œuvre (film, série, clip musical), un genre ou un cinéaste.

— des études dédiées à la réception et à l’analyse sociologique des phénomènes pop au cinéma ou dans les séries télévisées.

— des propositions de théorisation et de conceptualisation de la pop culture.

— des propositions concernant les enjeux pédagogiques et méthodologiques propres aux objets pop et aux enseignants geeks.

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Ce colloque ne s’adresse pas qu’aux chercheuses et aux chercheurs en études cinématographiques. Notre réflexion collective se veut interdisciplinaire.

Les propositions de communication d’environ 1500 signes (espace compris), accompagnées d’un titre provisoire et d’une bibliographie de 5-6 lignes, sont à faire parvenir avant le 20 février 2020 aux adresses suivantes :  fabiendelmas24@gmail.com ; atsopotos@hotmail.com ; helene.valmary@unicaen.fr ;

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Comité scientifique :

Fabien Delmas, LISAA-CCAMAN, Université Paris-Est Marne-la-Vallée

Stella Louis, LISAA-CCAMAN, Université Paris-Est Marne-la-Vallée

Justine Nicollin, LISAA-CCAMAN, Université Paris-Est Marne-la-Vallée

David Peyron, IMSIC, Université Aix-Marseille

David Roche, RIRRA21, Université Paul Valéry-Montpellier 3 

Alexandros Tsopotos, docteur en Etudes cinématographiques

Hélène Valmary, LASLAR, Université de Caen Normandie

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Bibliographie indicative

Beaujouan Nicolas, Geek : la revanche, Paris, Robert Laffont, 2013

Berthomieu Pierre, Hollywood. Le temps des mutants, Pertuis, Rouge profond, 2013

       Hollywood moderne. Le temps des voyants, Pertuis, Rouge profond, 2011

Martel Frédéric, Mainstream : enquête sur cette culture qui plait à tout le monde, Paris, Flammarion, 2010

Mémeteau Richard, Pop culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités, Paris, Editions de la découverte, 2014

Peyron David, Culture Geek, Limoges, Fyp Editions, 2013

 

 

[1] On songe ainsi à Robert Graysmith (Jake Gyllenhaal dans Zodiac, 2007), Lisbeth Salander (Rooney Mara dans Millenium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes / The Girl with the Dragon Tattoo, 2011) et bien sûr à Mark Zuckerberg (Jesse Eisenberg dans The Social Network, 2010)

[2] Tom Holland dans Captain America : Civil War (frères Russo, 2016), Spider-Man Homecoming (Jon Watts, 2017), Avengers Infinity War (frères Russo, 2018), Spider-Man Far From Home (Jon Watts, 2019).

[3] Pierre Berthomieu, Hollywood. Le Temps des mutants, Pertuis, Rouge Profond, 2013