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De l’eau et de l’océan : pour une hydrocritique littéraire

De l’eau et de l’océan : pour une hydrocritique littéraire

Publié le par Marc Escola (Source : Yves Clavaron)

De l’eau et de l’océan :  pour une hydrocritique littéraire

Appel à contribution pour un ouvrage collectif

Dans un champ d’étude en plein essor actuellement, appelé « new thalassology » (Horden/Purcell 2006, Vink 2007), « critical ocean studies » (DeLoughrey 2017), « blue ecocriticism » (Dobrin 2021), « hydrohumanities » (De Wolff/Faletti/López-Calvo 2021) ou « blue humanities » (Oppermann 2023), nous voudrions explorer l’approche hydrocritique selon une formule proposée par Laura Winkiel (Hydro-criticism, English Language Notes, vol. 57, n° 1, avril 2019). C’est une approche critique adaptée au monde aquatique et maritime, qui vise à étudier les productions littéraires et artistiques en relation avec la géographie et l’agentivité de l’océan auquel elles sont imbriquées au niveau spatio-temporel. L’hydrocritique concerne également la limnologie, la science des eaux continentales, donc douces (fleuves, rivières, étangs, lacs, zones humides). Il s’agit de sortir de l’hydrophasie de la critique déplorée par Margaret Cohen (2010) et de prolonger l’oceanic turn pris par cette dernière.

L’hydrocritique fait écho à la géocritique en se spécialisant sur les espaces aquatiques et océaniques : on pourra océaniser les trois prémisses de la géocritique définie par Bertrand Westphal (2000, 2007) : la dimension référentielle, la stratigraphique temporelle articulée au lieu et la situation de transgressivité  quasi chronique d’un paysage fluide. L’hydrocritique se veut une approche novatrice de la manière dont l’océan influence l’étude de la littérature, de la culture et de la société. La présence de l’eau et des trajectoires océaniques ne constitue pas un simple dispositif métaphorique, mais contribue à la configuration des imaginaires collectifs. L’hydrocritique invite à « penser avec l’eau » (Chen/MacLeod/Neimanis 2013) hors de tout terracentrisme. L’océan, structure fluide et mobile, construit une agentivité narrative et une histoire hydro-matérielle qui permet de saisir le monde « in watery terms » (Oppermann 2023). L’hydrocritique est aussi une hydropoétique car elle s’intéresse à la matérialité de l’écriture tout en autorisant de multiples relationnalités (Compan/Magdelaine 2024).

L’approche hydrocritique peut être croisée avec différents domaines :

1/ Elle se combine aux problématiques de l’Anthropocène dans une perspective écocritique avec l’évocation des pollutions océaniques : le vortex de déchets du Pacifique nord et le continent de plastique, les marées noires ou l’élimination des déchets toxiques. Les pétrofictions décrivent la pollution de l’océan dans Petroleum de Bessora qui débute avec une explosion sur une plateforme offshore d’Elf-Gabon au large de Port-Gentil. Elles concernent également les eaux douces dans Oil on Water de Helon Habila, qui dénonce un véritable écocide à travers la contamination des étendues d’eau autour de Port Harcourt par le pétrole et les torchères, selon le processus de « violence lente » défini par Rob Nixon (2011). À l’ère du molysmocène (Monsaigeon 2017), la pollution des eaux douces peut également inviter à revisiter les genres de l’élégie, de l’idylle, ainsi que de la pastorale, devenue potentiellement « toxique » (Farrier 2014) et « nécropastorale » (McSweeney, 2015).

La réflexion pourra aussi s’inspirer des fictions climatiques, à travers la double orientation que représentent les romans de James Graham Ballard, The Drought (1965) et The Drowned World (1962) : la sécheresse apocalyptique liée aux activités humaines, d’une part, les récits de submersion et d’inondation réactivant le mythe de Noé, d’autre part. Dans Mara and Dann, Doris Lessing représente le cauchemar d’un monde sans eau dans une Ifrik dévastée, forçant les survivants à refluer vers le nord, là où se trouvent les dernières ressources en eau. Aqua TM de Jean-Marc Ligny évoque la pénurie d’eau liée à des catastrophes écologiques ainsi que les enjeux géopolitiques autour de la possession d’une nappe phréatique au Burkina Faso dans une Afrique totalement aride. À l’inverse, le réchauffement climatique peut entraîner une montée des eaux consécutive à la fonte des glaces des pôles et des villes sont partiellement submergées comme la New York de Kim Stanley Robinson dans New York 2140. Mais les humains tirent profit de ce nouvel écosystème pour réinventer une (sous)-culture comme les New Yorkais de Robinson, dans la zone intertidale, l’écotone entre terre et océan. L’adaptation à un milieu maritime ou amphibie peut donner lieu à une véritable écotopie comme Mermere d’Hugo Verlomme : la dystopie n’est pas inévitable dans un « futur aquatopique » (DeLoughrey/ Flores 2020).

2/ L’hydrocritique peut aussi être mise en relation avec l’histoire, histoire longue mais aussi coloniale telle qu’elle s’inscrit dans la littérature des Caraïbes, de l’Océan Indien ou du Pacifique : « The sea is History » proclame Derek Walcott (The Star Apple Kingdom, 1979) ; « The sea is slavery », affirme Fred d’Aguiar (Feeding the Ghosts, 1997). Il s’agit de déployer les archives maritimes dans les océans de mémoire que sont l’Atlantique, le Pacifique, l’Océan Indien, tout en ne se limitant pas au modèle de l’Atlantique devenu de facto normatif selon Hofmeyr (2007). L’hydrocritique peut s’intéresser à l’hydrocolonialisme (Hofmeyr, 2019, 2021 ; Moraña 2023), qu’il s’agisse d’impérialisme maritime (un hydro-pouvoir), de colonisation de l’eau et de géopoliticisation de l’océan ou d’établissement de colonie dans ou sur l’eau.  Les grands fleuves transfrontaliers comme le Gange, l’Euphrate, le Mékong ou le Nil sont fréquemment au cœur de conflits politiques entre États. L’hydro-pouvoir peut aussi s’exprimer à travers le détournement des eaux des fleuves comme dans The Water Knife de Paolo Bacigalupi où les grandes villes de l’Ouest américain se disputent les eaux du Colorado au point que le Mexique ne reçoit plus aucune eau de ce fleuve, détourné et asséché. Surface et profondeur, la représentation de l’océan pose aussi des questions d’échelle – géographique et temporelle – et de cartographie. On peut alors s’interroger sur fonction réparatrice ou remédiatrice de la littérature en lien avec l’eau et l’océan vis-à-vis de l’histoire et du monde (Gefen 2017).

3/ L’océan global a partie liée avec la mondialisation. Il fait partie des espaces communs, « Global Commons » – ou « hydrocommons » (Oppermann 2023), espace fluide qui remet en cause la notion traditionnelle de frontière et s’organise de façon non hiérarchique à travers un ensemble de réseaux maillant les immensités océaniques selon un principe de circulation, d’interconnexion et de capillarité, mais se heurtant aux tentatives d’appropriation et de militarisation par les États. Dans la fluidité océanique se définissent des ontologies marines (DeLoughrey, 2017) ou des « ontologies humides » voire « plus qu’humides » (Steinberg/Peters 2015, 2019) qui obéissent parfois au principe de la tidalectics (Brathwaite 1991) ou à ce qu’Arjun Appadurai (1996) aurait pu appeler des « sea-scapes ». En développant le concept d’épistémologie du paysage marin, Karin Amimoto Ingersoll (2016) propose un autre type de paysage, qui permet d’articuler le local, un savoir hawaïen issu d’un apprentissage sensoriel, intellectuel et incarné de l’océan, et le global. 

Les propositions d’études hydrocritiques pourront concerner toutes les littératures, européennes et extra-européennes ; les perspectives comparatistes seront également appréciées.

Échéances : résumé avec titre + CV court pour le 1er octobre 2025 ;  articles rédigés pour le 1er mai 2026.

Les propositions sont à adresser simultanément à :

yves.clavaron@univ-st-etienne.fr et yvan.daniel@uca.fr

 NB : Créatrice de l'image : Wicha, Eva-Katharina (News | Arts & Culture | 02.05.2024)