Essai
Nouvelle parution
C. Fleury, La fin du courage

C. Fleury, La fin du courage

Publié le par Marc Escola

La fin du courage - La reconquête d'une vertu démocratique
Cynthia Fleury


Paru le : 03/03/2010
Editeur : Fayard
ISBN : 978-2-213-65162-0
EAN : 9782213651620
Nb. de pages : 203 pages

Prix éditeur : 14,00€


Chaque époque affronte, à un moment de son histoire, son seuil mélancolique.

De même, chaque individu connaît cette phase d'épuisement et d'érosion de soi. Cette épreuve est celle de la fin du courage. Comment convertir le découragement en reconquête de l'avenir ? Notre époque est celle de l'instrumentalisation et de la disparition du courage.

Mais ni les démocraties ni les individus ne peuvent en rester à ce constat d'impuissance. Nul ne résiste à cet avilissement moral et politique.

Il s'agit de surmonter ce désarroi et de retrouver le ressort du courage, pour soi, pour nos dirigeants si souvent contre-exemplaires, pour nos sociétés livrées à une impitoyable guerre économique. Le plus sûr moyen de s'opposer à l'entropie démocratique reste l'éthique du courage et sa refondation comme vertu démocratique. Dans cet essai enlevé, Cynthia Fleury rappelle qu'il n'y a pas de courage politique sans courage moral et montre avec brio comment la philosophie permet de fonder une théorie du courage qui articule l'individuel et le collectif.

Car si l'homme courageux est toujours solitaire, l'éthique collective du courage est seule durable.

L'auteur:

Cynthia Fleury, philosophe, professeur à l'American University of Paris, travaille sur les outils de la régulation démocratique.
Elle a publié de nombreux ouvrages, dont Les Pathologies de la démocratie (Fayard, 2005).

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Dans Le Monde des livres du 5/5/10, on pouvait lire cet article de R.-P. Droit:

"La Fin du courage", de Cynthia Fleury : réinventer le courage LE MONDE | 04.05.10 |

On parle beaucoup du découragement - des élites, de l'opinion, des gens de gauche et des gens de droite, des Européens... Mais du courage, il est bien rarement question. C'est pourquoi l'essai de la philosophe Cynthia Fleury mérite une vive attention. La première singularité de sa réflexion est de partir du registre individuel pour élargir la perspective au domaine collectif et politique.

 

pub300t.gif35326566343963613461326136336430?&_RM_EMPTY_ Au départ, un moment de déprime personnel comme en traversent tant de nos contemporains : "J'ai perdu le courage comme on perd ses lunettes", confesse Cynthia Fleury. Soudainement, sans en comprendre la raison, elle s'est retrouvée incapable de vouloir quoi que ce soit.

 

De ce passage à vide, la philosophe est parvenue à faire un sujet de méditation. Chercheur à l'Institut des sciences de la communication du CNRS, enseignante à Sciences Po et professeur associé à l'American University of Paris, spécialiste des "pathologies de la démocratie" - auxquelles elle a consacré une étude remarquée (Fayard, 2005), elle commence par se demander : comment donc le courage s'apprend-il ? Comment se reprend-il ? Par quel miracle, ou quel mystère, pourrait-on vouloir ?

De proche en proche, cette antique notion, depuis longtemps plus ou moins désertée, se trouve donc revisitée. Rebelle à une définition univoque, le courage se laisse approcher par plusieurs biais : vivre sa peur, savoir commencer, accepter l'énigme de cette surrection solitaire qui fait qu'on décide d'agir ainsi, sans souci de récompense ni même, au fond, de réussite. Car la gloire du courage n'est pas entamée par l'échec de l'entreprise.

Dans le courage semble s'offrir une sortie du temps, "comme s'il existait un passage secret entre la vie et l'éternité". Telle est la leçon que tire la philosophe de sa lecture de Jankélévitch. Car bon nombre d'auteurs, classiques ou modernes, sont convoqués à mesure, de Montaigne à Michel Foucault, de Victor Hugo à Axel Honneth et sa "société du mépris", sans oublier un hommage final à la pensée d'Amartya Sen et à sa conception de la démocratie.

L'autre face de cette méditation est en effet politique : entre individu et société, la question du courage tisse une multitude de passages.

Nous vivons, note Cynthia Fleury, dans "des sociétés mafieuses et démocratiques où le courage n'est plus enseigné". Comment réinventer le sens du courage politique ? En quoi consiste-t-il au juste ? Questions d'autant plus cruciales qu'il s'agit à la fois d'éviter cette "catastrophe de la vertu" qui se nomme la Terreur et de restituer sa présence au peuple, aujourd'hui porté disparu. "Sans le courage, le peuple reste sans lieu."

Horizon ouvert

Sans morale, pas de courage, et sans courage plus de véritable démocratie : telle est, au plus bref, la réponse suggérée, à partir notamment d'une relecture, inattendue et intéressante, d'un beau texte de Victor Hugo.

La "fin" du courage, titre de ce parcours, n'est donc pas à entendre seulement comme extinction, mais aussi comme but, horizon toujours ouvert. Sans doute, sur certains points, aimerait-on plus de précisions, d'arguments détaillés, de références approfondies. Des développements à venir devraient les fournir. Car cet essai n'est évidemment pas destiné à faire le tour complet de la question du découragement individuel et collectif et des manières d'y remédier. Son grand mérite est de la poser.

LA FIN DU COURAGE de Cynthia Fleury. Fayard, 206 p., 14 euros.
Roger-Pol DroitArticle paru dans l'édition du 05.05.10

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Et dans Libération, cet article de R. Maggiori:

08/07/2010 Courage au désespoir

Critique

Cynthia Fleury tente en philosophe de fonder la politique sur une morale de la décision

Par ROBERT MAGGIORI

Le maître nageur fait preuve de courage en plongeant dans les flots déchaînés pour sauver cet enfant de la noyade. Mais celui qui sait à peine nager et qui, «ressentant dans sa chair la saignée de la peur», plonge lui aussi, en montre bien plus. Non que le premier démérite - comme démériteraient le téméraire inconscient qui brave les dangers parce qu'il ne les perçoit pas comme tels ou le matamore qui les affronte en paradant parce qu'il les sait à sa main et moins terribles qu'ils n'apparaissent. Mais seul le second mérite d'être dit courageux, en ce qu'il coupe d'un seul coup toutes les racines de ses craintes pour se lancer sans calcul dans une action attestant que la vie de l'autre compte davantage que la sienne. Etre courageux, ce n'est pas exploiter impavide les «qualités» qu'on a, mais faire soudain émerger, sans préméditation ni espoir de récompense, celles qu'on ne pensait pas avoir. Peut-être le courage tient-il même à la capacité de «sculpter la matière de nos souffrances», de nos désillusions et de nos échecs, de nos inhibitions et de nos tremblements, à cet acte de la volonté qui, sur le point de se faire paralyser par le venin de la velléité, soudain se réveille et «convoque "son" heure». Vladimir Jankélévitch résumait en ces mots simples la formule de la morale : «C'est à moi de le faire, et tout de suite ou jamais.» Elle est aussi celle du courage - vertu des commencements.

«Seuil mélancolique». On pourrait ne pas être attiré par un titre tel que la Fin du courage, en se disant qu'il n'y a jamais de fin de rien et que rien n'est plus arbitraire que déclarer la fin de quelque chose, du civisme, de la religion, de la famille, de la philosophie, des utopies, de la presse écrite ou du cyclisme. En réalité, le propos de Cynthia Fleury n'est pas d'une Cassandre qui prophétiserait que le courage a disparu. Poursuivant sa réflexion sur les «pathologies de la démocratie», elle veut signifier que, de même qu'on n'identifierait pas la satiété ou le repos si on n'avait jamais connu la faim et la fatigue, de même on ne saurait faire l'épreuve du courage si la décision courageuse, d'un individu ou d'un corps politique, ne s'arrachait de son fond de découragement. Or, de l'érosion d'une volonté qui, accablée, déçue, ne sait plus vouloir et se sent prête à «rendre les armes», chacun un jour ou l'autre fait expérience, et cette expérience, douloureuse, est immédiatement reconnaissable (comme avoir mal agi est plus reconnaissable qu'avoir bien agi, ou l'erreur plus visible que la vérité). Du point de vue de l'analyse, c'est donc bien de la fin du courage, de son «seuil mélancolique», qu'il faut partir pour produire, comme le fait Fleury, une «théorie du courage» apte à «résister à la capitulation et à ses légitimations perpétuelles». Comment reformuler une telle théorie, qui ne soit pas édifiante, lénifiante ou purement votive ? En interrogeant «la dialectique sourde» qui «unit, articule et désarticule les matrices individuelle et collective», et qui rappelle «qu'il n'y a pas de courage politique sans courage moral». Aussi la Fin du courage se déploie-t-il en deux temps : une morale du courage (à l'élaboration de laquelle sont invités Hugo et Bachelard, Giorgio Agamben, Axel Honneth, Nietzsche et surtout Jankélévitch) et une politique du courage (qui convoque entre autres Machiavel et Montesquieu, Rousseau, Tocqueville, Michel Foucault ou Amartya Sen).

Quand on perd courage, que perd-on ? Paradoxalement, on ne perd pas… le courage, car le courage n'est pas quelque chose qu'on a, et qui ferait que, l'ayant, on réalise des actions courageuses, comme celui qui aurait la force l'utilise pour soulever des haltères. Quand on perd courage, on se perd soi-même et on égare la capacité d'agir et sur soi et sur le monde. Le découragement rend exsangue toute action, qu'elle vise le souci de soi ou celui des autres, l'exercice de la liberté ou la défense de celle des autres, la poursuite d'un idéal, la visée du bonheur, etc. Il en va de même lorsque le découragement est collectif et touche par exemple les sociétés démocratiques : dans ce cas, la démocratie, en «perdant courage», perd son propre moteur, stagne, renonce à la défense des valeurs qui la fondent, l'animent et la dynamisent. C'est pourquoi, à l'inverse, le courage ne peut «presque pas» être pris lui-même pour une vertu : il est, écrivait Jankélévitch, «la condition de réalisation des autres vertus», car aucune d'entre elles ne s'effectue sans la «décision inaugurale» du courage. Le courage n'est précédé de rien, n'est préparé par rien, il n'incite pas à faire, mais, comme une «chute redressée», une «fuite changée en assaut», un «géotropisme transformé en lévitation aérienne», il advient à l'instant même où l'on fait : ce n'est pas parce que l'on est courageux que l'on plonge pour sauver l'enfant de la noyade, c'est parce que l'on plonge que l'on est courageux. Mais s'il n'a pas d'«arrières», le courage n'a pas davantage d'avenir assuré ni de rente à vie : avoir été courageux ne dispense pas de l'être encore, comme le bien que l'on a fait ne dispense pas de le faire encore. Aussi le courage - c'est à moi de faire, séance tenante ! - est-il, comme l'amour, «la morale elle-même».

Fiers-à-bras. Peut-être voit-on dès lors pourquoi il faut faire de la morale du courage le fondement d'une politique. Il ne s'agit pas seulement d'en appeler au «courage» des gouvernants, ni à faire des voeux pieux pour qu'ils «tiennent un discours vrai» et s'abstiennent de trafiquer, de mettre leurs intérêts privés au-dessus des intérêts publics, de leurrer et de tromper les citoyens. Pour Cynthia Fleury, la démocratie, qui n'est pas «fondée en vérité», ne peut se pérenniser que si elle s'appuie sur le «socle non vicié» du courage, que si le peuple reconquiert le courage de la décision, ou, au moins, «la volonté de ne pas laisser la dégénérescence l'emporter si facilement». Si on loue rarement la lâcheté, on salue parfois le courage du bout des lèvres seulement, n'y voyant qu'héroïsme surhumain, d'un côté, et, de l'autre, vertu de parade, la vertu des fiers-à-bras et des fanfarons. Contre ces falsifications, la Fin du courage propose un autre nom : «foi civique».