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Le technicien et l’écrivain : questionner la légitimité des figures de la critique musicale du XXe siècle à nos jours

Le technicien et l’écrivain : questionner la légitimité des figures de la critique musicale du XXe siècle à nos jours

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Timothée Picard)

Journée d’étude

Le technicien et l’écrivain

Questionner la légitimité des figures de la critique musicale du XXe siècle à nos jours.

 

Université Paris-Sorbonne

Salle des actes

22 janvier 2015

 

Coordination :

Martin Guerpin (IReMus-OICRM) et Timothée Picard (CELLAM/IUF)

 

En France, depuis les années 2000, la critique musicale a été constituée en objet d’étude  dans le domaine de la musicologie comme dans celui des études littéraires (Rudent 2000, Savev 2004, Reibel 2005, Picard 2011). S’est ainsi ouvert un vaste champ d’étude, susceptible d’être éclairé par de multiples approches.

Dans le sillage de la réflexion initiée dès les années 1980 sur la légitimité du music criticism (Cone 1981, Kerman 1985) et dans celui de l’ouvrage dirigé par Ivanne Rialland et Dominique Vaugeois[1] dans le domaine de la critique des arts plastiques, cette journée d’étude propose d’étudier les débats qui virent s’opposer deux ou plusieurs figures de la critique musicale. Elle s’articule ainsi avec trois autres journées d’études respectivement consacrées à la critique musicale des écrivains[2], des compositeurs[3] et aux genres du discours critique[4].

La réflexion prendra en compte, d’une part, les compétences revendiquées par les uns et par les autres comme nécessaires à l’élaboration d’un discours légitime sur la musique. D’autre part, elle dégagera à travers ces débats, les divergences de vues sur ce qui doit constituer l’objet du discours sur la musique, et sur les méthodes, les outils, les styles et les formes d’écriture auxquels peuvent recourir les commentateurs.

De telles problématiques portent donc sur la dimension métacritique à l’œuvre dans le discours sur la musique. Elles invitent à distinguer différentes figures du critique selon leur statut professionnel, ou selon le support médiatique à partir duquel ils s’expriment. De l’homme de lettre au musicologue universitaire en passant par le compositeur, l’interprète, le musicographe, le mélomane, le blogueur, le journaliste de radio ou de télévision, les multiples déclinaisons de ces figures pourront être abordées sous plusieurs angles, quel que soit le genre musical dans lequel ils se spécialisent.

Qui peut prendre en charge le discours sur la musique ?

Les propositions pourront porter sur des moments de tension où affleure une mise en question de la légitimité de certaines figures du critique.

Les cas d’étude ne manquent pas. Un exemple. Le début du XXe siècle, s’ouvre sur l’opposition entre une critique lettrée dont le modèle fut établi par Théophile Gautier et Charles Baudelaire, et une critique plus technicienne développée par les premiers musicologues. Ainsi, en 1905, Camille Mauclair, un écrivain et critique d’art héritier d’un modèle de critique musicale littéraire, dénonce l’arrogance des « critiques documentés », incarnée selon lui par le musicologue Louis Laloy[5] et caractérisée par un « snobisme de la technique[6] ». À cette attaque, Laloy ne manquera pas de répondre en moquant l’« incompétence universelle de son confrère[7] » (Yeoland et Hafez-Ergaut 2006). Plus près de nous, la mise en procès de la figure de l’universitaire, voire même celle du journaliste dans le champ médiatique[8], pourraient donner lieu à des études fort instructives.

Cela posé, les débats sur la légitimité des producteurs de discours sur la musique ne se limitent pas aux seules compétences des critiques. Dans certains cas, ils ont également partie liée avec les supports du discours sur la musique. Plus près de nous en effet, un rappeur comme ROCé s’est insurgé contre le point de vue biaisé des animateurs abordant le rap dans des émissions télévisées[9]. C’est bien, en l’espèce, la légitimité d’une figure de la critique musicale qui se voit ici remise en cause.

En quoi la légitimité des différentes figures du critique repose-t-elle sur l’objet du discours sur la musique ?

Mais au-delà des contingences de la vie musicale, les débats concernant la légitimité d’une figure de critique constituent un observatoire privilégié des différents régimes du discours sur la musique, et plus précisément de la définition de son objet.

Que s’agit-il de commenter ? La musique elle-même, et la manière dont elle est écrite, ou bien les émotions ressenties face à la musique, qu’il s’agirait de traduire en mots afin de les communiquer au lecteur ou à l’auditeur ? C’est autour de ce point qu’au début des années 1920, Boris de Schloezer posa les termes d’un débat autour du rôle du critique musical. Après l’avoir définie, il renvoya dos-à-dos à une critique « impressionniste » ou subjective et un modèle excessivement objectif, qui donnerait d’une œuvre une vision purement technique. Une troisième voie, qu’il promut et pratiqua lui-même, consistait alors à  décrire de manière rigoureuse la manière dont est faite une œuvre, avant, le cas échéant, d’en formuler une appréciation (Picard 2011).

Les débats sur les objets de la critique musicale peuvent toutefois se fonder sur d’autres critères. Dans le domaine du jazz, pour ne prendre qu’un exemple, un monde et bien des convictions séparent l’approche interne d’un André Hodeir dans Hommes et problèmes du jazz[10] de la lecture politique (et politisée) de ce genre musical qui culminera avec la publication, en 1971 avec la publication de Free Jazz, Black Power[11].

La légitimité des régimes d’écriture de la critique musicale

Le choix de l’objet de la critique va de pair avec celui de l’adoption d’une méthode et d’un style. D’une figure à l’autre de la critique, les débats et les prises de positions peuvent ainsi porter sur des considérations relevant de l’analyse littéraire.

Quelles formes sont mises en œuvre ? Quel genre de discours, quels procédés rhétoriques sont privilégiés ? Quelle tonalité et quel registre de langage adopte le critique ?

Afin d’aborder ces questions, on pourra s’appuyer sur La critique musicale au temps de Berlioz d’Emmanuel Reibel, qui constitue un exemple de ce type d’approche appliqué à la critique musicale du XIXe siècle.

Les trois axes qui viennent d’être déclinés incitent à aborder des cas d’étude assez précis. Il n’en reste pas moins vrai que des réflexions à plus grande échelle peuvent apporter un précieux complément à la réflexion sur les rapports de force entre figures de la critique.

Un genre de musique, une figure légitime de la critique ?

Une dernière question se pose en effet : celle de la légitimité plus ou moins grande d’une certaine figure du critique, selon le genre musical dans lequel il se spécialise.

Dans sa thèse sur le rock, Thomas Mansier avance par exemple que la dimension à la fois musicale et sociale de cette musique explique la prévalence des approches culturalistes et du registre parfois polémique et familier dans le discours critique qui lui est associé (Mansier 2004). La place et la perception de ce genre de discours dans d’autres genres musicaux mériteraient d’être discutées.

Peut-on cependant aller jusqu’à naturaliser le lien entre un genre musical et une figure de la critique ? La question traverse de manière implicite un numéro spécial de la revue Volume ! intitulé « La Presse musicale alternative[12] ». Il en ressort que des dynamiques historiques sont susceptibles de modifier les rapports de force entre différentes figures de la critique au sein d’un même genre musical.

Dans cette perspective élargie, une approche comparatiste embrassant différents genres musicaux pourrait aussi apporter de précieuses contributions. On pourrait ainsi interroger la manière dont est perçue, dans le domaine des musiques populaires actuelles, la figure de l’universitaire qui jouit d’une légitimité forte dans le monde de la musique classique ?

En toile de fond de ces pistes, multiples mais non exhaustives, se dégage une ambition double. Celle de contribuer à l’élaboration d’une typologie des discours critiques en fonction du profil de leurs auteurs. Celle enfin d’ébaucher une réflexion générale sur la dimension métacritique du discours sur la musique, du XXe siècle à nos jours.

Modalités

Les propositions de communication (une page maximum), complétées d’une brève notice bio-bibliographique (5 à 10 lignes rédigées), devront être renvoyées avant le 15 avril 2014, simultanément à Martin Guerpin (martin.guerpin@gmail.com) et à Timothée Picard (timothee.picard@gmail.com).

Cette journée d’étude, organisée par l’Institut de Recherches en Musicologie et par l’Institut Universitaire de France, s’inscrit dans le cadre du programme « La critique musicale au XXe siècle » porté par Timothée Picard (IUF-CELLAM).

Les communications feront l’objet d’une publication prévue en fin de programme.

 

Bibliographie indicative

COLLECTIF, Volume ! La revue des musiques populaires, vol. 5, n°1, « La presse musicale alternative », 2006.

CONE, Edward T., « The Authority of Music Criticism », Journal of hte American Musicological Society, vol. 34, n°1, 1981, p. 1-18.

Goubault, Christian, La Critique musicale dans la presse française de 1870 à 1914, Genève, Slatkine, 1984.

KERMAN, Joseph, Contemplating Music. Challenges to Musicology, Harvard University Press, 1985.

MACHABEY, Armand, Traité de critique musicale, Richard-Masse, Paris, 1947.

MANSIER, Thomas, Identité du rock et critique spécialisée, thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication soutenue à l’Université Lumière Lyon II, 2004.

PICARD, Timothée, Boris de Schlœzer, Comprendre la Musique, contributions à la Nouvelle Revue Française et à la Revue musicale (1921-1956), Rennes : Presses universitaires de Rennes, coll. « Aesthetica », 2011.

RIALLAND, Ivanne et VAUGEOIS, Dominique (dir.), L'Écrivain et le spécialiste. Écrire sur les arts plastiques au XIXe et au XXe siècle, Paris, Garnier, coll. Rencontres, 2010.

RUDENT, Catherine, Le discours sur la musique dans la presse française. L’exemple des périodiques spécialisés en 1993, thèse en Musicologie soutenue à l’Université Paris-Sorbonne, 2000.

SAVEV, Marc, « Deux exemples de presse musicale jeune en France, de 1966 à 1969 : Salut les copains et Rock and Folk », Volumes ! Le revue des musiques populaires, vol. 3, n°1, 2004, p. 5-28.

YEOLAND, R. et HAFEZ-ERGAUT, A., « Camille Mauclair : critique et compétences », International Review of Aesthetics and Sociology of Music, 37/2, 2006, p. 213-224.

 


[1] RIALLAND, Ivanne et VAUGEOIS, Dominique (dir.), L'Écrivain et le spécialiste. Écrire sur les arts plastiques au XIXe et au XXe siècle, Paris, Garnier, coll. Rencontres, 2010.

[2] « Les contributions d’écrivains à la presse musicale (XXe-XXIe siècle) », Université Paris-Sorbonne, 21 novembre 2013.

[3] « Les musiciens critiques », mars 2015 (date et titre provisoires).

[4] « Genres et formes de la critique musicale au XXe siècle », Université de Besançon, 7 novembre 2014.

[5] MAUCLAIR, Camille, « Le snobisme musical », Le Courrier Musical, 15 juin 1905, p. 366-368.

[6] Ibid., p. 367.

[7] LALOY, Louis, « Un dernier mot sur Alfred Bruneau », Le Mercure Musical, 15 août 1905, p. 288-292.

[8] LAYSTARY, Émilie, « La presse musicale en mal de boussole éditoriale et de modèle économique », http://www.acrimed.org/article4269.html. Consulté le 15 février 2014.

[9] « Y’a pas l’temps, ça cavale, raconte tellement d’salade/Toutes les questions m’attaquent, mes réponses sont façade ». Chante-t-il dans « La vitesse m’empêche d’avancer » (Gunz N’ROCé, 2013).

[10] HODEIR, André Hommes et problèmes du jazz, Flammarion, Paris, 1954.

[11] CARLE, Philippe, COMOLLI, Jean-Louis, Paris, Champs Libres, 1971.

[12] Volumes ! La revue des musiques populaires, vol. 5, n°1, « La presse musicale alternative », 2006.