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Inégalités et violences sociales : Dire l’injustice

Inégalités et violences sociales : Dire l’injustice

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Raphaëlle Guidée)

 

Inégalités et violences sociales : Dire l’injustice

1er-2 juin 2012

 

 

Colloque international organisé par le CRHIA et le FORELL B3

Université de Poitiers

 

En partenariat avec l’espace Mendès-France (Poitiers), L’Observatoire des inégalités et la revue Raison publique

 

 

À quoi reconnaît-on l’injustice d’une société ? Depuis le début des années 1980, un pan important de la recherche contemporaine et une part non moins significative des discours relayés ou construits par la littérature, l’art et les médias ont répondu à cette question essentiellement à travers le prisme de la misère et de l’exclusion.

L’approche n’est pas nouvelle et nous pourrions aisément en retracer l’histoire en repartant de la fin du xviiie siècle. À partir du moment où la société – portée par une dynamique plus marquée d’égalisation des conditions – devenait plus riche, il paraissait souhaitable que tous jouissent de ses bienfaits, soit pour des raisons morales, soit par simple souci de stabilité sociale, ou même d’efficacité économique. Cette aspiration s’est très tôt accompagnée d’une réflexion critique sur la représentation des plus pauvres, peuple muet auquel il fallait désormais tenter, dans les discours savants comme dans les oeuvres d’art, de prêter une voix et un visage, sans reproduire dans l’ordre symbolique les mécanismes de la domination sociale. À l’époque contemporaine, cette préoccupation accompagne par exemple, en littérature, l’essor des subaltern studies, en histoire, l’intérêt pour les « vies infâmes », ces vies qui « n’existent plus que par les quelques mots terribles qui étaient destinés à les rendre indignes, pour toujours, de la mémoire des hommes[1] », ou encore, en philosophie, en sociologie et en anthropologie, les approches structurées par les catégories de la reconnaissance et du care. À travers ces perspectives, il s’est souvent agi de montrer les formes multiples de violence et de domination qui s’exercent sur les opprimés, les marginaux, les sans voix, et de dénoncer, en même temps que leur invisibilité sociale, le défaut ou le biais des discours qui les représentent.

Tout en s’inscrivant dans la continuité de cette préoccupation éthique et politique, ce colloque tentera de penser dans un cadre plus vaste l’injustice sociale et ses représentations. Plutôt que la seule catégorie de l’exclusion, c’est la notion d’inégalité qui nous permettra d’interroger le caractère juste ou injuste de l’ordre social pris dans son ensemble. Plutôt que la figuration de l’opprimé en tant qu’exclu du champ social, ce sont les représentations de l’écart, de la cohabitation, des « misères de position » qui se trouveront au centre de la réflexion. L’ambition sera ici de saisir et de questionner, dans l’écriture et la forme elles-mêmes, telle que celles-ci se déploient en philosophie, en littérature, en art et dans le champ des sciences humaines, la diction de l’inégalité et le répertoire des perceptions, émotions, sentiments, représentations et idéaux à travers lequel elle se constitue comme injustice et comme violence.

Car l’inégalité, à travers la multiplicité des registres et des objets par rapport auxquels on (se) la représente et on la pense, est difficile à appréhender. Tout en elle prête à discussions. Toute différence de position doit-elle être pensée comme une inégalité ? Quels sont les idées, les idéaux, les émotions qui peuvent nous conduire à voir dans un écart donné une forme inacceptable d’inégalité ? Quel rôle jouent les valeurs positives de partage et de solidarité, ou bien encore le désir, l’envie, la frustration ou le ressentiment dans la construction de cette représentation ? Dans quel complexe d’idées faut-il la situer pour la penser dans sa spécificité d’époque ? Quelle(s) tradition(s) de la mise en scène de l’injustice vient-elle prolonger ou déplacer ? Ces questions nous conduisent à réinterroger les notions d’exclusion, de marges, de périphérie, de domination, de stigmatisation, d’invisibilité dans un cadre plus large qui doit contribuer à en affiner et à en radicaliser éventuellement la portée politique.

Cette approche élargie nous permettra d’envisager la complexité des liens entre l’injustice sociale et les inégalités relevant d’autres critères que l’écart des revenus : inégalités sexuelles, raciales, géographiques, etc. Elle nous semble également nécessaire pour rendre compte d’une forme de violence spécifique à notre époque et à nos sociétés – des sociétés « où même les privilégiés (professions libérales, cadres, enseignants, etc.) s’estiment victimes d’injustices »[2]. Relativement absente du champ théorique, la notion d’injustice ainsi étendue à l’ensemble du champ social structure en effet tout un imaginaire du déclassement, de la discrimination, du conflit social qui se disait autrefois dans les termes de la lutte des classes, mais dont l’horizon révolutionnaire semble désormais le plus souvent absent. En proposant une analyse critique des représentations dominantes, des formes artistiques et des discours savants, on réfléchira ainsi autant aux mécanismes à travers lesquels se construisent des figurations communes de l’injustice qu’à la forme non pleinement figurée de la violence sociale (forme partielle, partiale, opaque, tronquée, perverse, etc.). En d’autres termes, on s’engagera sur la voie d’une évaluation des représentations de l’injustice sociale qui pourrait se déployer dans les directions suivantes :

 

Selon quelles modalités la représentation des inégalités sociales peut-elle contribuer à réparer les injustices ?
  • Quels sont les modes de représentation contemporains des inégalités (témoignage, mise en intrigue, dispositifs non narratifs, constructions de la figure de l’opprimé et, par comparaison, de l’individu pris dans un rapport inégalitaire injuste, etc.) ? Quelle conception de l’injustice engagent-ils (approche comparatiste, relativiste, essentialiste, etc.) ? Dans quelles traditions littéraires et philosophiques s’inscrivent-ils ? Peut-on discerner des lignes de fracture entre les disciplines (littérature, philosophie, sociologie, etc.) ou les genres (fiction/non-fiction ; roman, récit, manifeste, etc.) ?
  • De quelle façon les représentations contemporaines répliquent-elles à l’appel d’une injustice qui s’impose à nous dans son évidence ou, au contraire, donnent-elles à voir une injustice inaperçue ? Quelles sont les formes d’inégalités à côté desquelles nous passons sans les reconnaître ? Comment se construit un imaginaire partagé de l’inégalité et, parallèlement, de la violence sociale ? Quels types d’inégalités en sont exclus ? Quel rôle différencié jouent les discours savants et les représentations artistiques dans la construction de cet imaginaire commun ?
  • Qu’est-ce qui autorise la représentation des inégalités ? Quels sont les modes de légitimation de ces représentations ? Se pose ainsi la question de la légitimité du témoin, de celui qui fait l’expérience d’une situation injuste face à l’autorité de l’expert qui l’analyse, ou du sentiment de culpabilité de l’artiste, du journaliste, du photographe, qui fait commerce de la représentation des injustices. Ces interrogations posent également le problème de l’écart entre inégalités ressenties et inégalités réelles, objectivables. Elles nous invitent à interroger le récit de l’injustice que chacun peut se raconter à soi-même (ou qu’un groupe, une classe, se raconte à lui-même) et les mises en scène de soi comme opprimé ou victime.

 

Dans quelle mesure certaines représentations contribuent-elles à produire de l’injustice sociale ?
  • Quels types de représentations masquent ou rendent invisible la violence des situations sociales qu’elles désignent ? Peut-on mettre en cause certaines formes en tant qu’elles nieraient, minoreraient ou justifieraient une réalité inacceptable ?
  • Quelles constructions permettent, à l’inverse, de surexposer certaines formes d’inégalités ? Quelles luttes sémantiques repère-t-on à l’oeuvre dans la qualification des inégalités ?
  • La critique des formes débouche-t-elle sur l’invention de modes de représentation alternatifs ? L’angle spécifique à partir duquel sont pensées ici les formes de l’injustice peut-il appeler un renouvellement des formes de l’écriture et de l’engagement ?
  • De quels outils disposons-nous – ou devrions-nous disposer – pour comparer les inégalités et les souffrances qui leur sont liées (statistiques, rhétoriques, poétiques, etc.) ?

 

L’Observatoire des inégalités et la revue pluridisciplinaire Raison publique (Presses de l’Université Paris-Sorbonne) seront partenaires de l’événement, dont nous espérons qu’il pourra intéresser un public élargi. Les actes du colloque seront publiés aux Presses Universitaires de Rennes dans la collection « Raison publique ».

 

Les propositions de communications (2 pages maximum) doivent être envoyées à Raphaëlle Guidée et Patrick Savidan d’ici le 1er janvier 2012. Elles seront accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique. Les approches de toutes les disciplines (ou pluridisciplinaires) sont les bienvenues.

 

Contacts :

Raphaëlle Guidée, MCF Littératures comparées, Forell, Formes et Représentations en Linguistique et littérature, équipe B3, « Esthétiques comparées »

rguidee@yahoo.fr

Patrick Savidan, Professeur de Philosophie, CRHIA, Centre de Recherches sur Hegel et l’Idéalisme Allemand

patricksavidan@gmail.com

 

[1] M. Foucault, « La vie des hommes infâmes » (1977), dans Dits et écrits, tome ii, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, p. 243.

[2] F. Dubet & al., Injustices, l’expérience des inégalités au travail, Paris, Seuil, 2006.