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Appels à contributions
Photographie et bande dessinée (Université de Nanterre)

Photographie et bande dessinée (Université de Nanterre)

Publié le par Marie Berjon (Source : Jonathan Tichit)

Photographie et bande dessinée

Colloque international : jeudi 26 et vendredi 27 novembre 2026,
La Contemporaine (Bibliothèque, archives, musée des mondes contemporains, Université de Nanterre)

Publication des articles (après double expertise en aveugle) dans Focales n° 13, 2028

À l’occasion de l’exposition du travail de Didier Lefèvre présentée à partir de novembre 2026 à La Contemporaine, la revue Focales lance un appel à contributions sur le thème « photographie et bande dessinée ». Didier Lefèvre (1957-2007) est en effet connu du grand public comme « le photographe », héros d’une série de bande dessinées conçues avec le dessinateur Emmanuel Guibert et des couleurs de Frédéric Lemercier. Entre 2003 et 2006, le trio publie trois volumes retraçant le périple de Didier Lefèvre avec l’association Médecins Sans Frontières en Afghanistan en 1986. Les planches-contacts sont présentées aux côtés du témoignage de Didier Lefèvre, en partie tiré de ses carnets de bord. Au moment où les supports argentiques (tirages, diapositives, etc.) sont détrônés par la circulation des images en ligne, ces albums tirent parti de la similarité graphique avec les cases de bande dessinée pour mettre à l’honneur la forme bientôt obsolète de la planche-contact. La fortune de cette publication couronnée d’un prix au festival d’Angoulême témoigne du succès éditorial du champ de la non-fiction et du développement de la «bande dessinée du réel ».

L’exposition présentée à La Contemporaine offre l’occasion d’interroger les liens entre bande dessinée et photographie. Ces deux formes artistiques « mineures », nouvelles venues en comparaison de leurs consœurs plus nobles que sont la peinture et la sculpture, par exemple, jouissent d’un grand succès auprès du public et réunissent de multiples cercles d’amateurs passionnés. Cet engouement « populaire » explique l’impulsion institutionnelle en leur faveur déployée par le gouvernement socialiste français des années 1980, qui souhaite par son soutien rompre avec toute forme d’élitisme dans sa politique culturelle. La légitimation et la patrimonialisation de la bande dessinée et de la photographie font alors bon ménage, ouvrant la voie à des croisements et dialogues toujours plus nombreux.

Les contributions pourront notamment s’inscrire dans les axes suivants :

L’histoire des évolutions conjointes de la photographie et de la bande dessinée

Comme le soulignent les historiens de la bande dessinée Thierry Groensteen et Thierry Smolderen, les liens entre ces deux formes sont anciens et peuvent même être retracés jusqu’à leur « invention » conjointe en 1827 : lorsque Nicéphore Niépce saisit le point de vue du Gras, Rodolphe Töpffer initie la « littérature en estampes ». Ce dernier publie en 1841 le premier texte critique au sujet de l’invention du daguerréotype, « De la plaque Daguerre ».

Au milieu du xixe siècle, Nadar s’essaie aux deux genres à travers ses caricatures de figures du monde artistique. Il publie en 1886 dans Le Journal illustré une série de portraits de Michel-Eugène Chevreul, chimiste connu pour son traité sur la couleur, sous forme de grille photographique.

Les chronophotographies inventées par Eadweard Muybridge sont ensuite exploitées par les cartoonists comme A. B. Frost. Les tâtonnements expérimentaux et les modifications techniques permettent progressivement à la photographie et à la bande dessinée de connaître une reproduction et une diffusion de masse, dessinant un compagnonnage médiatique et culturel, en particulier dans l’écosystème de la presse imprimée. La reconnaissance et la patrimonialisation parallèle de ces deux formes, entre complémentarité et éventuelles rivalités, pourra également être abordée.

La photographie vue par la bande dessinée

Le personnage du « photographe » apparaît comme le protagoniste, voire le héros de différentes bande dessinées, et ses images peuvent jouer le rôle de preuves susceptibles de faire basculer le récit. Le reporter, en particulier, semble être une figure clé de bien des aventures ou des enquêtes, à l’image de Jeannette Pointu (Marc Wasterlain, 1982-2005) ou Fukamachi Makoto (Le Sommet des Dieux de Jirô Taniguchi et Baku Yumemakura, 2000). Quant à Tintin (Hergé, 1929), Fantasio (le comparse de Spirou, créé par Rob-Vel en 1938), Superman (Clark Kent, créé par Jerry Siegel et Joe Shuster en 1938) et Spider-Man (Peter Parker, photographe au Daily Bugle, créé par Stan Lee et Steve Ditko, 1962), ils sont tous journalistes et manient l’appareil photo. Cet objet figure d’ailleurs systématiquement sur les quatrièmes de couvertures des albums de Spirou publiés par Dupuis dans les années 1980-1990. Ces personnages de bande dessinée ne sont pas seulement des héros « en images » mais aussi des héros « faiseurs d’images ».

À rebours de cette veine héroïque, bien des dessinateurs de bande dessinées se moquent de leurs collègues photographes. La série comique des Paparazzi (Raoul Cauvin et Mazel, 1996-2004) tourne en dérision les codes du métier à travers les tribulations du duo formé par Nico et Joy. Dans les célèbres albums d’Agrippine (1988-2009), Claire Bretécher se moque des amateurs qui utilisent leur appareil comme excuse pour se délecter de séances de poses avec des modèles nus. Dans la série Largo Winch initiée en 1990 (Philippe Francq, Jean Van Hamme puis Éric Giacometti), le personnage secondaire de Simon Ovronnaz, ami du héros, s’adonne lui aussi à cet exercice voyeuriste.

Dans une veine documentaire et biographique, les destins de Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Stanley Greene, Vivian Maier, Lee Miller, Eadweard Muybridge ou encore Weegee ont récemment été racontés sous la forme de romans graphiques.

La photographie comme matériau pour la bande dessinée

L’image photographique apparaît également comme un matériau susceptible d’être inséré dans les pages de bande dessinée, sur le modèle du format hybride imaginé pour la série du Photographe. Superpositions, montages et juxtapositions caractérisent le genre en plein essor de la bande dessinée documentaire (Joe Sacco) et sont également présents de longue date dans celui du roman-photo, qui entretient une relation parfois poreuse avec la bande dessinée. Dans L’Enfant penchée (1996) du cycle des Cités obscures (scénario de Benoît Peeters, dessin de François Schuiten) apparaissent ainsi des photographies de Marie-Françoise Plissart pour représenter le monde « réel », jusqu’à ce que la jonction s’opère avec celui de la fiction, lorsque le dessin s’immisce dans la photographie.

Une des modalités souvent ignorées de la création graphique en bande dessinée est la stylistique photoréaliste, la composition d’images à partir de photographies reproduites de manière plus ou moins fidèle. Ce fut une tendance répandue dans nombre de bandes dessinées de presse américaines d’après-guerre – Alex Raymond (Rip Kirby), Milton Caniff (Steve Canyon), Stan Drake (The Heart of Juliet Jones), Leonard Starr (On Stage), Neal Adams (Ben Casey), entre autres. Cette approche se retrouve ensuite de manière ponctuelle au tournant des années 1970 chez quelques auteurs de comic books (Berni Wrightson, Jeff Jones) mais elle prend une ampleur renouvelée avec le travail d’Alex Ross qui, à partir de 1994, combine photoréalisme et gouache dans des œuvres marquantes du registre superhéroïque, comme Marvels (Marvel, 1994) et Kingdom Come (DC, 1996).

De façon plus souterraine, bien des dessinateurs s’appuient sur une documentation photographique pour préparer leurs planches, des cartes postales collectionnées par Hergé aux polaroïds utilisés par Alison Bechdel. Cet usage iconographique s’est intensifié avec l’utilisation des palettes numériques. Certains récits incorporent d’ailleurs des photographies dessinées présentées comme des pseudo-documents, à la manière du reportage de Paris-Flash reproduit dans l’album des Bijoux de la Castafiore. Parfois enfin, la structure narrative repose sur une photographie, en particulier dans chacun des volumes de Maus, d’Art Spiegelman (1980-1991). Celle-ci joue alors le rôle de déclencheur du travail de la mémoire dessinée, comme dans Retour à l’Éden (Paco Roca, 2020) et Innondation (Maria José Suarez, 2023).

Bibliographie indicative

Jan Baetens, The Film Photonovel, A Cultural History of Forgotten Adaptations, Austin, University of Texas Press, 2019.

Luc Boltanski, « La constitution du champ de la bande dessinée », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1/1, 1975, p. 37-59.

Pierre-Alban Delannoy (dir.), La bande dessinée à l’épreuve du réel, Paris, L’Harmattan, 2007.

Isabelle Delorme, La BD du réel. Une nouvelle forme de journalisme ?, catalogue d’exposition, Université de Strasbourg, 2023.

Frédérique Deschamp et Marie-Charlotte Calafat (dir.), Roman Photo, catalogue d’exposition, Paris, Textuel, 2017.

Laurent Gerbier, « La bande dessinée du réel et la poésie de la non-fiction », Neuvième Art, avril 2020, [en ligne]

Thierry Groensteen, Entrée « Photographie », Dictionnaire esthétique et thématique de la bande dessinée, revue en ligne de la Cité Internationale de la bande dessinée et de l’image, 2014, [en ligne]

Thierry Groensteen, L’excellence de chaque art, Tours, PUFR, 2018.

Marianne Hirsch, Family Frames: Photography, Narrative and Postmemory, Cambridge, Harvard University Press, 1997.

Philippe Kaenel, « Rodolphe Töpffer et la copie : le paradigme photographique », Nos monuments d’art et d’histoire, n° 1, 1986, p. 36-42.

Sylvain Lesage, L’effet livre. Métamorphoses de la bande dessinée, Tours, PUFR, 2019.

Sylvain Lesage, Ninth Art. Bande Dessinée, Books and the Gentrification of Mass Culture, 1964-1975, Palgrave, Macmillan, 2023.

Nancy Pedri (dir.), The Narrative Functions of Photography in Comics. Numéro spécial de Image & Narrative, vol. 16, no. 2, Spring 2015, [en ligne]

Nancy Pedri, « When Photographs Aren’t Quite Enough: Reflections on Photography and Cartooning in Le Photographe », ImageText vol. 16, Iss. 1, [en ligne]

Thierry Smolderen, « A. B. Frost et la révolution photographique », in Naissances de la bande dessinée, Brxuelles, Les Impressions Nouvelles, 2009.

Geraldo Vilches, « Photography in Non-Fiction Comics : The Encounter of Two Languages », European Comic Art vol. 17, Issue 2, [en ligne]

Modalités de soumission et calendrier
Les propositions de contributions (3000 signes maximum) seront accompagnées d’une bibliographie, d’une brève notice bio-bibliographique (1000 signes maximum) et de l’adresse électronique de l’auteur. Elles devront parvenir au plus tard le 15 janvier 2026 à Clara Bouveresse (clara.bouveresse@univ-evry.fr). L’acceptation des propositions sera notifiée mi-avril 2026.

Les auteurs suivront les consignes de rédaction consultables sur le site de la revue Focales.

Comité d’organisation

Clara Bouveresse, maîtresse de conférences en études anglophones, Université d’Évry Paris Saclay

Anne-Céline Callens, maîtresse de conférences en sciences de l’art, Université Jean Monnet Saint-Étienne

Danièle Méaux, professeure émérite d’esthétique et sciences de l’art, Université Jean Monnet Saint-Étienne

Julie Noirot, maîtresse de conférences en études photographiques, Université Lumière Lyon 2

Jonathan Tichit, doctorant en esthétique et sciences de l’art à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, ATER à l’Université d’Aix Marseille

Comité scientifique

Jan Baetens, poète, essayiste, commissaire d’exposition, éditeur et critique, professeur d’études culturelles à l’Université de Leuven

Vincent Eches, directeur de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, Angoulême

Jean-Paul Gabilliet, professeur de civilisation nord-américaine et d’histoire de la bande dessinée, Université Bordeaux-Montaigne

Laurent Gerbier, maître de conférences HDR en philosophie, Université de Tours

Philippe Kaenel, Professeur associé, Faculté des Lettres, Histoire de l’art, Université de Lausanne

Nicolas Labarre, professeur de civilisation américaine, Université Bordeaux-Montaigne

Mathieu Letourneux, professeur de littérature, Université Paris Nanterre

Nancy Pedri, professor of English at Memorial University of Newfoundland and Labrador

Benoît Peeters, écrivain, théoricien, critique et essayiste, spécialiste de bande dessinée, scénariste du cycle des Cités obscures

Barbara Postema, Lecturer, English Language and Culture, University of Groningen

Ivanne Rialland, maîtresse de conferences HDR en littérature, Université de Versailles Saint-Quentin