
Appel à contributions pour numéro de la revue Miranda (printemps 2027)
Old and new ideas : résonances de Leonard Cohen
Ce numéro aura pour objectif de mieux cerner la place de la création poétique et musicale de Leonard Cohen au sein de la modernité, ainsi que la tension entre littérarité affirmée et popularité qui interroge tout à la fois la fabrique du texte et de la musique et leur réception. Malgré sa dimension d’artiste maudit et sa proximité avec des avant-gardes plutôt confidentielles, Cohen est parvenu assez vite au statut de chanteur populaire à l’échelle de la planète. Cette renommée mondiale n’est selon nous pas réductible à quelques « tubes » inspirés et bien diffusés, mais démontre une capacité à articuler de façon singulière une poétique audacieuse et une musicalité puissante, les multiples dimensions de la chanson ayant toujours été indissociables dans une pratique artistique qui est porteuse de divers héritages, parfois très anciens, et qui s’abreuve à divers langages. Enfin, outre les domaines du verbal et du sonore, on notera la prédilection de Cohen pour le champ pictural dans lequel il s’est également illustré en contrepoint des dimensions plus connues de son œuvre.
Même si l’écriture précède le travail musical dans la carrière de Cohen (il a écrit certains poèmes publiés alors qu’il avait entre quinze et vingt ans, et son premier recueil, Let Us Compare Mythologies, paraît en 1956), son activité poétique possède d’emblée une inflexion musicale. Dans Selected Poems 1956–1968 (1968), le mot « chanson » apparaît dans le titre de cinq pièces cependant que deux sont intitulées « Ballade ». L’importance des caractères lyrique, rythmique ou harmonique de la poésie n’est évidemment pas spécifique à Cohen. En revanche, sa conversion systématique de poèmes en paroles de chanson est plus singulière. De même, sitôt qu’il adopte le statut d’artiste-interprète lors des grandes tournées (de 1966 jusqu’aux années 1970), il se met régulièrement à lire ses poèmes en concert.
Les postures d’artiste maudit adoptées par Leonard Cohen, qu’on pourrait aussi bien traiter comme des mises en fiction dramatiques, ont bien souvent incité la critique à juger sa production à l’aune de sa biographie et à attribuer à une humeur dépressive ces évocations musicales de l’abandon, de l’échec et du dégoût de soi. Cohen semble ainsi voué à exprimer la division et la fragmentation intérieure et à exploiter les sentiments dysphoriques comme matériau d’une esthétique. Mais c’est ignorer la part de transvaluation des affects qui s’opère dans son œuvre, qui fait que tout affect négatif est mis en tension avec son opposé. Dès 1966, une notice d’approbation figurant au début de Beautiful Losers présente l’ouvrage comme « une fusion de la sexualité et de la spiritualité, du mystique et du profane, du poétique et de l’obscène… une invitation à jouer à la roulette russe avec un pistolet phallique ». Au sujet de « Suzanne » et de sa prédilection pour les situations d’échec et les humeurs contraires auxquelles il était souvent associé, Cohen observait qu’il s’agissait en dernière analyse d’un morceau dans lequel la solitude et la souffrance du perdant magnifique est transformée en joie. En 1991, il déclarait encore : « On ne s’engage pas dans l’écriture d’une chanson obscure ou détestable… elles commencent toutes par de bonnes intentions teintées de panique. »
On attend des contributions proposées qu’elles illustrent la situation paradoxale de Leonard Cohen et de son œuvre, habitée de tensions, de contrastes, de mises à distance, et sa façon unique de traverser les frontières linguistiques, génériques et culturelles. On pourra ainsi tenter d’éclairer l’inscription de l’artiste dans son époque ainsi que les multiples influences qui habitent son œuvre. De même pourra-t-on envisager les adaptations et les réinterprétations dont ses chansons ont toujours fait l’objet, dans le monde francophone ou dans d’autres sphères géographiques et linguistiques, ce qui pourra appeler, entre autres, des considérations d’ordre traductologique. À l’examen de l’ensemble de ce qui constitue cette « seconde main » sonore et verbale pourra s’ajouter la prise en compte de l’iconographie massive suscitée par Cohen et son œuvre.
Dans ce numéro pourront ainsi s’exprimer des approches très diverses, et même si l’on attend qu’elles s’inspirent principalement de la poétique et de la musicologie, on pourra considérer les apports de la biographie, de la sociologie de la culture et des cultural studies dès lors que ces champs pourront contribuer à expliquer l’originalité de cet univers, sur lequel les modes ne semblent pas avoir de prise. Les personnes intéressées par ce thème et ses différentes déclinaisons sont invitées à envoyer une proposition de contribution (en français ou en anglais) d’environ 300 mots accompagnée d’une notice biographique.
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Les propositions sont attendues pour le 1er octobre 2025. Elles devront être adressées conjointement aux six responsables du numéro :
Nathalie Vincent-Arnaud : nathalie.vincent-arnaud@univ-tlse2.fr
Philippe Birgy : philippe.birgy@univ-tlse2.fr
Jérôme Cabot : jerome.cabot@univ-jfc.fr
Stéphane Escoubet : stephane.escoubet@univ-tlse2.fr
Pierre Soubias : pierre.soubias@univ-tlse2.fr
Jean-Pierre Zubiate : jean-pierre.zubiate@univ-tlse2.fr
Les notifications d’acceptation ou de refus des propositions seront envoyées mi-novembre 2025.
Les personnes dont les propositions auront été acceptées devront ensuite faire parvenir leur article complet aux six responsables du numéro pour le 30 avril 2026.
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Bibliographie indicative
Karolina Adamskich. « Postmodern and Postcolonial Elements in Leonard Cohen`s Œuvre ». Scripta Neophilologica Posnaniensia. XXII (2022).
Matthew R. Anderson. Prophets of Love: The Unlikely Kinship of Leonard Cohen and the Apostle Paul. Advancing Studies in Religion. McGill-Queen's University Press, 2023.
Babette Babich. The Hallelujah Effect: Philosophical Reflections on Music, Performance Practice, and Technology. Farnham: Ashgate, 2013.
David Boucher and Lucy Boucher. Bob Dylan and Leonard Cohen: Deaths and Entrances. New York: Bloomsbury, 2021.
Sandra Djwa. « Leonard Cohen Black Romantic ». Canadian Literature, no 34, 1967.
Jim Devlin. Leonard Cohen: In His Own Words. London: Omnibus, 1998.
Jim Devlin. In Every Style of Passion: The Works of Leonard Cohen. London: Omnibus, 1996. Print.
Dorman, Loranne S., and Clive L. Rawlins. Leonard Cohen: Prophet of the Heart. Londres : Omnibus, 1990.
E.F. Dyck ed. Canadian Poetry: The Proceedings Of The Leonard Cohen Conference. London ON : University of Western Ontario, 1993.
Michael Fournier and Ken Norris eds. Take this Waltz: a Celebration of Leonard Cohen. Québec, Muses' Co., 1994.
Aubrey Glazer. Tangle of Matter & Ghost: Leonard Cohen’s Post-Secular Songbook of Mysticism(s) Jewish & Beyond. Boston ; Academic Studies Press, 2017.
Michael Gnarowski, ed. Leonard Cohen: The Artist and His Critics. Toronto, New York, Ontario, McGraw-Hill Ryerson, 1976.
Jonathan Hart. « Leonard Cohen’s Memorable Poetry: His Posthumous The Flame: Poems and Selections from Notebooks ». American Review of Canadian Studies (2020).
Jason Holt. Leonard Cohen and Philosophy: Various Positions, Popular Culture and Philosophy. Vol 84. Chicago : Open Court Publishing, 2014.
Linda Hutcheon. Leonard Cohen and his works. Toronto, ECW Press, Canadian Author Studies series,1992.
Christophe Lebold. Leonard Cohen. L’homme qui voyait tomber les anges. Rosières-en-Haye, Camion Blanc, 2013.
Christophe Lebold. « From Existential Troubadour to Crooner of Light: Uses and refractions of the Love Song in Leonard Cohen’s Work ». Rock Music Studies, Vol.5(1) (2018).
Liel Leibovitz. A Broken Hallelujah: Rock and Roll, Redemption, and the Life of Leonard Cohen. New York : W. W. Norton, 2014.
Alan Light. The Holy or the Broken: Leonard Cohen, Jeff Buckley, and the unlikely ascent of "Hallelujah". New York : Simon & Schuster, 2012.
Susan Lumsden. « Leonard Cohen Wants the Unconditional Leadership of the World ». Weekend Magazine, 17 Dec. 1969 : 22-24.
Ira B. Nadel. Various Positions. A Life Of Leonard Cohen. Toronto: Random House of Canada, 1996.
Ira B. Nadel. Leonard Cohen: A Life in Art. London: Robson, 1995.
Paul Nonnekes. Three Moments of Love in Leonard Cohen and Bruce Cockburn. Montreal : Black Rose Books, 2000.
Jiří Měsíc. Leonard Cohen: The Modern Troubadour, Olomouc : Palacký University Press, 2020.
Jiří Měsíc. « Liel Leibovitz, A Broken Hallelujah: Rock and Roll, Redemption, and the Life of Leonard Cohen », Transatlantica, no 1 (2015), http://journals.openedition.org/transatlantica/7425
Mark Migotti. « Nietzsche as Educator: Leonard Cohen’s Beautiful Losers and the Achievement of Innocence ». Studies in Canadian Literature. Volume 34, N°1 (2009).
Patricia A Morley. The immoral moralists: Hugh MacLennan and Leonard Cohen. Vancouver : Clarke, Irwin & Co, 1972.
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Michael Ondaatje. Leonard Cohen. Toronto : McClelland and Stewart Limited,1970.
Alexandra Pleshoyano. « La poésie lyrique de Leonard Cohen, lieu d’un déploiement de la mystique juive », Théologiques : revue interdisciplinaire d’études religieuses. Volume 18, Number 2 (2010).
Maurice Ratcliffe. Leonard Cohen: The Music and the Mystique. London: Omnibus, 2012.
Anthony Reynolds. Leonard Cohen : une vie remarquable. Trans. Muriel Levet. Enghien-les-bains : Éditions des Étoiles, 2010.
Winfried Siemerling. Discoveries of the Other: Alterity in the Work of Leonard Cohen, Hubert Aquin, Michael Ondaatje and Nicole Brossard. Toronto: University of Toronto Press, 1994.
Sylvie Simmons. I’m Your Man: The Life of Leonard Cohen. London: Jonathan Cape, 2012.
Bruce Whiteman. Leonard Cohen: An Annotated Bibliography. Canada : ECW Press, 1980.