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La collection "Lire et comprendre. Ecrivains au présent"

Publié le par Camille Esmein (Source : Karine Gros)

« Lire et comprendre. Écrivains au présent », collection dirigée par Dominique Viart, éditions Armand Colin.

 

Cette présentation a été réalisée par Karine Gros, à laquelle nous adressons tous nos remerciements.

 

Bruno Blanckeman, Lire Patrick Modiano http://www.fabula.org/actualites/article30770.php

Martine Boyer-Weinmann, Lire Milan Kundera http://www.fabula.org/actualites/article30771.php

Michel Lantelme, Lire Jean Rouaud

http://www.fabula.org/actualites/article30774.php

Gianfranco Rubino Lire Didier Daeninckx         

http://www.fabula.org/actualites/article30772.php

C'est désormais au sein des éditions Armand Colin, et non plus aux éditions Bordas, que Dominique Viart dirige la collection « Ecrivains au présent ». Quatre ouvrages consacrés à des auteurs contemporains viennent ainsi d'être publiés : Lire Patrick Modiano (Bruno Blanckeman), Lire Milan Kundera (Martine Boyer-Weinmann), Lire Jean Rouaud (Michel Lantelme) et Lire Didier Daeninckx (Gianfranco Rubino). Chaque ouvrage est structuré en trois parties : « I. Contexte et enjeux. II. Territoires et trajets. III. Dialogues et résonances ». Cette structure, qui a déjà fait ses preuves lorsque la collection était publiée par les éditions Bordas, permet d'étudier clairement l'originalité d'un écrivain et d'aborder les axes majeurs de son oeuvre. Elle répond aux attentes des lecteurs en quête de contextualisation, de compréhension des enjeux, d'évolution des oeuvres et de prise en compte des influences littéraires et culturelles. La collection répond ainsi avec pertinence et précision à une demande (et à un besoin) des enseignants, des étudiants et des chercheurs, mais aussi de tout amateur de littérature contemporaine.

Bruno Blanckeman propose une analyse souvent fine des ouvrages de Modiano. Il souligne la singularité de son oeuvre « décalé[e] d'une modernité radicale » et « détaché[e] d'une modernité expérimentale ». Bruno Blanckeman interroge notamment l'écriture de la fiction et ses évitements. A la suite de Dominique Viart, il aborde la question de la filiation littéraire et de la crise identitaire, mettant l'accent sur l'image de l'adolescence, le poids de l'Histoire, la conscience de soi et le rôle de l'inconscient. Dans cet ouvrage, le style de Bruno Blanckeman s'est en partie épuré du jargon qui a pu (parfois) entraver la compréhension fine de ses analyses littéraires. Certes, il reste encore des « autoconnaissance », « hyperamnésie », mais ces termes n'ôtent rien au plaisir de lire l'ouvrage et notamment les pages consacrées au « dessaisissement » et à l'écriture du détail qui permettent de distinguer l'oeuvre de Modiano au sein de la production contemporaine. La bibliographie élaborée par Bruno Blanckeman est d'autant plus intéressante qu'elle donne les références des textes publiés par Patrick Modiano non inclus dans sa bibliographie officielle et qu'elle mentionne un ouvrage important consacré au roman contemporain : Le Roman français des années 1970 de Marie-Anne Macé.

C'est en spécialiste avertie que Martine Boyer-Weinmann parcourt l'oeuvre de Kundera et répond une fois de plus à nos attentes. Étant donné la culture de Martine Boyer-Weinmann (mais aussi son honnêteté intellectuelle qui l'invite à citer d'autres critiques en leur rendant hommage), cet ouvrage arpente avec précision l'oeuvre de Kundera. Après avoir contextualisé de manière efficace l'oeuvre de Kundera, Martine Boyer-Weinmann parvient en quelques pages à faire émerger l'évolution de ses oeuvres et les influences majeures sur la production du romancier et essayiste franco-tchèque. La partie « territoires et trajets » est particulièrement éclairante. On peut notamment apprécier les analyses judicieuses concernant l'érotisme « fondé sur le malentendu voire la mystification », le tiraillement des personnages entre conscience et sentiment de transgression, le rapport à la république tchèque et aux textes moins connus de Kundera, la question de la vérité romanesque et de la fiction biographique que l'on peut rapprocher de la « critique de la déraison historique ». Le style de Martine Boyer-Weinmann, à la fois limpide et soigné laisse entendre une voix toute personnelle et une pensée profonde.

Jusqu'à présent, la plupart des essais abordant l'oeuvre de Jean Rouaud se sont souvent restreints à une thématique. Tel n'est pas le cas de l'ouvrage de Michel Lantelme. L'oeuvre de Jean Rouaud, dans son ensemble, gagne à être connue et Michel Lantelme s'applique à répondre à cet impératif en la situant d'abord au sein de la production actuelle, d'André Malraux à Pierre Michon en passant par Nathalie Sarraute, Yves Charnet et François Bon. Michel Lantelme s'attache à la question du « père » et de la (sainte) famille, aux formes et enjeux des structures romanesques, aux stratégies narratives, au métadiscours, au rapport à l'Histoire, à la préhistoire, à la religion pour mieux souligner l'effondrement des grands récits. Il montre ainsi dans quelle mesure Jean Rouaud propose une réflexion sur le monde, l'histoire littéraire et la « littérature-monde », pour reprendre le concept de l'auteur. Dans le chapitre trois, Michel Lantelme souligne les liens que l'écriture de Rouaud entretient avec la photographie, le cinéma, la musique avant de proposer une synthèse éclairante des ouvrages critiques qui lui ont été consacrés. Pour qui aurait lu seulement Les Champs d'honneur (prix Goncourt 1990), il peut être difficile d'apprécier un essai sur Jean Rouaud qui n'expliciterait pas les thèmes et les trames narratives de ses oeuvres. Aussi Michel Lantelme prend-il soin de narrer certains ouvrages tels Le Monde à peu près, L'Invention de l'auteur ou La Femme promise. On peut regretter que le critique n'ait pas résumé les arguments de chacune des oeuvres abordées.

L'ouvrage de Gianfranco Rubino consacré à l'oeuvre diverse et abondante de Didier Daeninckx est peut-être le plus réussi des quatre essais. Gianfranco Rubino se détourne de tout jargon et de structures grammaticales alambiquées et privilégie un style clair, soigné et rythmé à la fois. Il s'attache à la prolificité de l'auteur et à la singularité de son écriture et de sa pensée. Il analyse les techniques narratives, l'esthétique du collage, le rapport de Daeninckx à l'Histoire, l'inscription de la mémoire, la reconstruction historique et leur transposition fictionnelle. Il étudie avec finesse la question du poids de la fatalité, de la duplicité des êtres et plus précisément du « noir » à l'oeuvre (grotesque, tragique, humour). Il aborde également les liens entre littérature et images, n'omettant pas de souligner l'importance de l'oeuvre de Willy Ronis. Lorsqu'il avance une analyse, Gianfranco Rubino ne se contente pas de citer le titre de l'ouvrage. Il contextualise avec précision son étude en proposant des résumés succincts et efficaces des oeuvres, en citant des exemples brefs, originaux et porteurs de sens. L'ouvrage de Gianfranco Rubino se clôt sur un texte fort intéressant de Didier Daeninckx évoquant son entreprise littéraire. L'étude élaborée par Gianfranco Rubino est en somme de très grande qualité, de la première à la dernière page : un bel exemple d'analyse littéraire brillamment réussie.

Esthétiquement, les ouvrages de la collection « Lire et comprendre. Ecrivains au présent » sont beaux, la typographie et les pages claires, le toucher agréable, le format adéquat et attirant. En revanche, l'on peut regretter le manque de visibilité de la collection. Même le site Internet des éditions Armand Colin ne favorise pas la connaissance de la collection qui n'est point aisée à trouver. Elle n'est pas mentionnée dans les « Nouveautés ». Elle apparaît sous l'onglet « Livres/collection » (http://www.armand-colin.com/livres/collections.php), où sa visibilité est faible. La collection « Lire et comprendre » est noyée au milieu de 34 autres collections, entre une collection d'études philosophiques et une collection d'études sociologiques des médias. En outre, la première de couverture associée au titre de la collection n'est pas celle d'un des quatre essais littéraires mais d'un essai philosophique consacré à Marx, car la collection « Lire et comprendre » réunit des essais littéraires (« Lire ») et philosophiques (« Comprendre »). On pourrait finalement se demander si cette collection n'était pas plus visible lorsqu'elle était publiée par les éditions Bordas (Dominique Viart, François Bon, Étude de l'oeuvre ; Dominique Rabaté, Pascal Quignard, Étude de l'oeuvre ; Sjef Houppermans, Jean Echenoz, Étude de l'oeuvre ; Francine Dugast-Portes, Annie Ernaux, Étude de l'oeuvre, Paris, Éditions Bordas, coll. « Écrivains au présent », 2008).

On souhaiterait donc une meilleure visibilité de la collection, à la hauteur de la qualité de ces quatre ouvrages et du projet remarquable et ambitieux mené par Dominique Viart.