Irene Albers, (éd.), Transports. Les métaphores de Claude Simon
Frankfurt am Main etc., Peter Lang, 2006
EAN : 9783631542699
41,70 €
Chez peu d'auteurs modernes la métaphore a autant d'importance que dans l'oeuvre de Claude Simon. À l'instar de Proust, il fait de la transposition métaphorique un procédé crucial de son écriture. Or, pour Simon, il existe une affinité profonde entre ce procédé de transposition et le phénomène du transport, laquelle se manifeste déjà dans le sens premier et lui-même métaphorique du concept de métaphore : «Peut-être convient-il de rappeler que le mot metaphora que l'on peut voir, en Grèce, écrit sur les camions signifie transport. Transport dans l'espace, dans le temps transport de sens aussi» (Album d'un amateur). Partant de cette observation révélatrice, les études réunies dans ce livre se proposent d'analyser les métaphores et les comparaisons simoniennes dans trois perspectives.
Épistémologie de la métaphore. La plupart des métaphores simoniennes, surtout quand elles constituent des séries complexes, ne semblent guère réductibles à un terme littéral. De ce fait, elles mettent en question le primat épistémologique du langage propre par rapport au langage figuré. Ainsi se dessinent des rapports multiples entre la pratique métaphorique de Simon et certaines théories contemporaines de la métaphore, qui lui étaient d'ailleurs en partie connues. Parmi ces théories comptent notamment la tropologie proposée par la déconstruction (Derrida, Deguy) et la phénoménologie du langage figuré (Ricoeur), mais aussi une métaphorologie à fondement anthropologique (Blumenberg) ou cognitiviste (Lakoff/Johnson). En utilisant de tels concepts forgés par la théorie du langage, et en établissant de nouveaux rapports entre des recherches littéraires et linguistiques qui depuis l'époque structuraliste ont peut-être trop divergé, les articles de la première section visent à décrire plus précisément les effets particuliers des métaphores complexes de Simon.
Topographie de la métaphore. Comme les métaphores simoniennes proviennent souvent de domaines éloignés du lieu ou du temps de l'action, elles déclenchent en effet des transports imaginaires. Des images exotiques, évoquant des régions situées au-delà de l'Europe centrale, ouvrent le monde fictif sur des cultures étrangères ; des images archaïques, prises surtout dans la sphère des rites et des mythes, l'ouvrent sur des temps pré-modernes. En ceci elles correspondent, sur le plan rhétorique, aux nombreux voyages dont parlent les romans de Simon voyages qui mènent également vers des pays lointains ou encore, par le détour des musées et des sites archéologiques, dans les profondeurs de l'histoire. Comme le montrent les contributions à la deuxième section, des concepts empruntés à la théorie de la culture, en particulier ceux du sacré (Caillois, Girard) et de la transgression (Bataille), mais aussi celui du «travail mythologique» («Arbeit am Mythos», Blumenberg), peuvent aider à analyser de plus près les fonctions sémantiques de tels transports concrets ou métaphoriques.
Médiologie de la métaphore. De même que les «métaphores métonymiques» de Proust (Genette), les métaphores simoniennes indiquent fréquemment la perspective d'un personnage dont elles mettent pour ainsi dire en image la perception et la mémoire. Or, dans la mesure où elles trahissent, voire même dirigent une vision du monde, elles ressemblent aux média techniques (photographie, cinéma, radio) et aux moyens de transport (chemin de fer, tramway, avion) qui apparaissent sans cesse dans les romans de Simon, en particulier au niveau du langage figuré. Les média s'y transforment donc en métaphores, tandis que d'autre part les métaphores y fonctionnent à la manière des média, servant comme ceux-ci d'instruments cognitifs au narrateur. Pour autant, c'est à partir de concepts médiologiques (Leroi-Gourhan, Deleuze, Assmann, Luhmann, Paech) que les travaux de la troisième section essaient d'ouvrir de nouvelles voies dans la lecture de l'écriture simonienne.
Les études réunies dans ce livre sont les actes d'un colloque international qui a réuni à Cologne, du 23 au 26 septembre 2004, des chercheurs francophones, britanniques et allemands.