Métamorphoses de la littérature à l'ère de l'image : expériences ibériques et latino-américaines (revue CECIL)
Métamorphoses de la littérature à l'ère de l'image : expériences ibériques et latino-américaines
Numéro thématique de la revue CECIL (Cahiers d’études des cultures ibériques et latino-américaines) de l’Université de Montpellier Paul-Valéry (France).
Coordinateurs
Dr Eduardo Sterzi (Université d'État de Campinas) et Dr Palmireno Moreira Neto (Université d'État de Campinas)
Argumentaire
L'exploration des relations entre l’écriture et les images constitue une caractéristique essentielle des littératures de la péninsule ibérique et de l’Amérique latine depuis, au moins, les avant-gardes des premières décennies du XXe siècle. Ce processus ne se résume pas au renforcement de procédés et de figures déjà rencontrés dans les tendances littéraires antérieures, comme la métaphore ou l'allégorie, mais englobe la thématisation et l'incorporation d'images proprement dites dans les textes, surtout – mais pas exclusivement – celles rendues possibles par les nouvelles techniques de production et de reproduction apparues au XIXe siècle, comme la photographie et le cinéma. Pensons, au Portugal, à l'examen de la dimension imagée de l'écriture mené dans la revue Portugal Futurista, ou encore à l'appropriation de la forme du roman-collage surréaliste par Alexandre O'Neill dans son premier livre, A ampola miraculosa.
Dans le contexte brésilien, on peut rappeler le rôle décisif que la sculpture Cabeça de Cristo joua, selon Mário de Andrade, comme catalyseur de composition des poèmes de son livre Pauliceia desvairada, de 1922 ; ou le fait que le mouvement de l'Antropofagia, essentiel à la continuité et à la redéfinition de l'élan moderniste, a été formulé par Oswald de Andrade et Raul Bopp en réponse au tableau le plus connu de Tarsila do Amaral, l'Abaporu, en 1928. Pensons également, par exemple, à l'impact ― souligné par des critiques tels que Roger Bastide ou Haroldo de Campos ― des processus cinématographiques dans les romans d'Oswald ; ou à l'importance de la photographie, en tant que modèle, pour la reconfiguration de la forme de l'essai dans l'œuvre mature de Murilo Mendes, en particulier dans Retratos-relâmpago. Ou, plus concrètement, dans la manipulation d'images provenant d'archives personnelles et publiques ― issues du journalisme et de l'industrie culturelle ― dans les œuvres de Valêncio Xavier et Décio Pignatari. Rappelons également le caractère non seulement illustratif, mais aussi d'expansion des significations du texte, apporté par des artistes tels que Poty Lazzarotto.
De la même manière, les images ont imprégné le travail d'écrivains liés aux mouvements d'avant-garde en Espagne et en Amérique hispanique. Cette articulation peut être observée, par exemple, dans les « poèmes peints » de Vicente Huidobro, exposés à Paris en 1922 ; dans la dimension visuelle de certains des poèmes inclus par Guillermo de Torre dans son livre Hélices, de 1923; et dans les greguerías illustrées de Ramón Gómez de la Serna, publiées dans la revue Blanco y Negro dans la première moitié des années 1930. Ou même dans l'importance que l'expérience cinématographique a joué chez les ultraístas espagnols et la Generación del 27. D'un autre point de vue, on peut entrevoir, dans un commentaire attribué à Jorge Luis Borges, l'imbrication de la littérature et de la production imagée : « ¡ Esto es Buenos Aires ! », aurait déclaré l'écrivain argentin devant une photographie de Horacio Coppola, publiée dans la revue Sur, en 1931. Dans la réaction de Borges, dont le récit « El Aleph » peut également être lu comme une réflexion littéraire sur la prolifération des images dans un contexte géopolitiquement périphérique, la métamorphose est inversée. À travers la photographie, l'écrivain « retrouve » la ville qu'il avait cherché à rendre sous sa plume, après son retour en Argentine au début des années 1920, un processus dont Fervor de Buenos Aires, de 1923, est emblématique. Sur la couverture même du livre, une gravure ― à travers laquelle nous pouvons découvrir le regard de Norah Borges sur cette ville ― invite à réfléchir sur la relation entre littérature et image.
Il convient également de noter que plusieurs de ces procédés sont repris par des auteurs contemporains, lesquels intègrent des images dans leurs livres, non pas comme de simples illustrations, mais comme des éléments catalyseurs ou perturbateurs du discours. C'est ce que l'on peut observer, par exemple, chez Julio Cortázar, Mario Bellatin et María Negroni, ou chez Veronica Stigger, Marília Garcia et Angélica Freitas. Il convient de ne pas oublier toute la production latino-américaine de bandes dessinées, qui trouve certaines de ses formulations les plus significatives dans les œuvres de Héctor Germán Oesterheld (avec Francisco Solano López) et de Laerte Coutinho.
Ce que nous cherchons à discerner ici, c'est aussi la singularité, dans des espaces géopolitiquement périphériques, de cette tendance moderne et contemporaine du lien entre texte et image. Pour cela, il faut tenir compte du fait que le Portugal et l'Espagne sont arrivés au XXe siècle après avoir perdu leurs colonies américaines, tandis que les pays et les peuples d'Amérique latine traversent le même siècle ― et avancent vers le nôtre ― encore plongés dans un processus douloureux de construction de leur autonomie culturelle et politique. Au cours de ce processus, le positionnement textuel face à l'iconique s'avère décisif, car il implique la confrontation et la réélaboration critique d'images issues de traditions non périphériques. Roberto Bolaño ― qui n'était pas seulement l'écrivain latino-américain le plus important au niveau mondial au cours des dernières décennies, mais aussi un écrivain qui, au-delà des liens nationaux instables d'un Chilien élevé au Mexique et ayant vécu ses dernières années en Espagne, revendiquait l'Amérique latine comme sa terre ― a synthétisé de manière à la fois poétique, ironique et émouvante cette situation en déclarant : « L'Amérique latine est comme l'asile de l'Europe. Peut-être à l'origine, considérait-on l'Amérique latine comme l'hôpital de l'Europe, ou comme le grenier de l'Europe. Mais aujourd'hui, c'est un asile. Un asile sauvage, appauvri, violent, où, malgré le chaos et la corruption : si on ouvre bien les yeux, on peut voir l'ombre du Louvre ».
À partir de ces réflexions, les chercheurs sont invités à soumettre les articles qui explorent les relations multiples entre littérature et image dans la péninsule Ibérique et en Amérique latine. Parmi les thèmes susceptibles d'être abordés, citons notamment :
- La thématisation et l'incorporation d'images dans la production textuelle
- La problématisation de la dimension imagée de l'écriture et des procédures de construction de l'image littéraire
- L'impact de l'iconique, en tant que modèle ou élément déclencheur de la composition textuelle, dans le travail des écrivains
- La relation entre littérature, image et archive
- Le rôle des images, dans la construction textuelle, en tant qu'« expanseurs » de sens et en tant qu'éléments catalyseurs et déstabilisateurs du discours
- La réflexion relative, par le biais de la littérature, à la prolifération des images dans le monde moderne et contemporain
- La spécificité, dans des contextes géopolitiquement périphériques, de la dimension moderne-contemporaine de la relation entre texte et image
- La confrontation et la réélaboration critique, par le biais de la production textuelle, d'images issues de traditions non périphériques
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Calendrier
Date limite de remise des articles : 1er novembre 2026
Publication : juin 2027
Les articles devront être envoyés par courrier électronique aux coordinateurs du numéro à l’adresse suivante : palmireno.neto@gmail.com
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Normes éditoriales
Les propositions d'articles envoyés seront conformes aux normes éditoriales de la revue (cf. feuille de style fournie par les coordinateurs, disponible aussi sur le lien suivant : https://journals.openedition.org/cecil/596#tocto1n5).
La longueur maximale des articles est de 50 000 signes (espaces, notes et bibliographie compris). Les contributions peuvent être rédigées en français, espagnol ou portugais.
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Informations sur la revue CECIL
A la réception d'un article, les coordinateurs et l'Équipe de direction, composée du directeur et de la rédactrice en chef de la revue, procèdent à une première évaluation afin de vérifier si le manuscrit est conforme à la thématique ainsi qu’aux critères formels et scientifiques de CECIL. Si le travail répond à ces exigences, le processus de double évaluation en double aveugle est engagé.
Les articles sont des contributions originales ; ils sont soumis à un détecteur de plagiat, conformément aux normes en vigueur. En cas de double évaluation requérant des modifications substantielles de l'article, celui-ci pourra être soumis à une troisième évaluation une fois l'article repris. Au terme des évaluations, les articles sont soumis à l'arbitrage du Conseil de Rédaction pour décision de publication.
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