Visages de l'anthropomorphisme : savoirs et représentations
Journée d'étude - 27 mars 2026
En collaboration avec le programme transversal « humanités environnementales » du laboratoire CECILLE (Université de Lille), nous organisons une journée d’étude dédiée au concept d’anthropomorphisme le 27 mars 2026.
Nous désirons mettre en lumière les tensions sous-jacentes mises en exergue par les débats critiques autour de cette notion d’anthropomorphisme.
Le terme a longtemps été confiné à une acception péjorative, comme l’indique le début de la définition proposée dans l’Encyclopaedia Universalis : « Au sens usuel et étroit, le terme “anthropomorphisme” définit le procédé erroné et illégitime par lequel une pensée insuffisamment critique attribue à des objets situés hors du domaine humain – objets naturels ou objets divins – des prédicats empruntés à la détermination du domaine humain, à des fins explicatives ou simplement représentatives » (Armengaud). Après avoir été considéré comme un « péché théologique » dans la pensée religieuse, il est ensuite devenu synonyme d’« échec intellectuel » (Libell) après la sécularisation de nos sociétés. On lui reproche toujours d’empêcher l’accès à une véritable connaissance de tout ce qui n’est pas humain.
Pourtant, cette critique de l’anthropomorphisme ne fait pas l’unanimité. Certains contre-discours réhabilitant la notion d’anthropomorphisme permettent, depuis la deuxième moitié du XXe siècle, de la resituer dans des débats d’idées, dont les enjeux traversent les champs des sciences, de la philosophie, de l’éthique ou du droit. Notre journée d’étude vise à explorer ces multiples enjeux tout en les replaçant dans le cadre des humanités environnementales. Elle envisagera spécifiquement l’anthropomorphisme dans son application aux animaux et aux autres entités naturelles.
L’anthropomorphisme dans le contexte des études scientifiques sur les animaux est une question particulièrement complexe. Comme ils sont à la fois non-humains et proches de l’humain, il est tentant pour nous de projeter sur eux nos habitudes cognitives et sociales. Cependant, la doctrine positiviste, puis le courant behaviouriste, ont longtemps rejeté toute attribution aux animaux de traits cognitifs, comportementaux ou moraux similaires aux nôtres. L’éthologie a cependant pris ses distances vis-à-vis de cet interdit depuis plusieurs décennies, et il est désormais communément admis qu’une certaine dose d’anthropomorphisme est non seulement épistémologiquement opérante, mais même utile pour repenser nos relations avec les animaux non-humains. C’est justement en postulant une certaine ressemblance émotionnelle et comportementale avec le reste du règne animal que nous pouvons établir des liens et des formes de communication avec eux.
Le débat sur l’anthropomorphisme animal s’inscrit naturellement dans le champ des humanités environnementales. Outre les pistes précédemment mentionnées, plusieurs angles disciplinaires sont possibles, tels que
- Comment la littérature et la critique littéraire doivent traiter la représentation des subjectivités animales ;
- Comment l’historiographie peut être repensée en réinscrivant le rôle des animaux comme de véritables acteurs et/ou victimes de l’histoire ;
- Comment les modes d’appréhension de l’altérité animale peuvent être envisagés dans les sciences sociales, l’anthropologie ou encore la philosophie morale.
- On peut songer à la question des expérimentations animales, qui sont fondamentalement rendues possibles à la fois par une certaine proximité de fonctionnement anatomique, physiologique, et par leur éloignement ontologique, qui rend légitime le fait de les traiter comme des moyens pour les fins de l’espèce humaine.
- La dialectique ressemblances/éloignement par rapport à l’être humain détermine plus largement le statut attribué aux animaux dans les différentes conceptions juridiques propres à chaque pays ; elle tend à conférer aux animaux considérés comme les plus proches de nous des statuts privilégiés, tandis que les plus éloignés n’obtiennent que peu de considérations.
La question de l’anthropomorphisme peut être élargie à celle de l’animisme vis-à-vis d’autres altérités naturelles, comme l’illustre le développement de tout un courant et scientifique de revalorisation du règne végétal ; la « défense » des plantes, et notamment des arbres, passe bien souvent par la projection de qualités généralement considérées comme propres à l’humanité, ou tout du moins au règne animal – tendance contre laquelle Burgat appelle à une réévaluation de l’originalité des plantes, précisément en tant qu’altérités radicales. Cette question peut faire l’objet de différentes approches disciplinaires (sciences, philosophie, études littéraires…).
Enfin, on pourra évoquer la personnalisation des entités naturelles dans un but de protection de l’environnement. On constate en effet en ce début de vingt et unième siècle plusieurs cas où une personnalité juridique a été attribuée à des fleuves ou rivière, comme celui du fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande en 2017. On peut aussi évoquer les débats autour de l’agentivité non-humaine, soulevés par les travaux de Bruno Latour, de Donna Haraway, de Jane Bennett ou de Karen Barad.
Nous accueillons les propositions de chercheurs, jeunes chercheurs et doctorants, se rattachant aux sciences humaines et à toutes les aires linguistiques et culturelles. Les communications dureront vingt minutes ; elles pourront aussi bien porter sur des réflexions théoriques globales que sur l’analyse d’objets culturels, littéraires ou artistiques spécifiques. Les pistes de réflexions esquissées ci-dessus ne prétendent en rien être exhaustives, et nous serons également ravies de recevoir des propositions explorant d’autres enjeux liés à l’anthropomorphisme ou à l’animisme dans les humanités environnementales.
Les propositions de communications, d’une longueur maximale de 500 mots, devront être rédigées en français et assorties d’une courte bio-bibliographie.
Elles sont à envoyer à amelie.aubertnoel@univ-lille.fr et à marion.clanet@univ-lille.fr avant le 15 janvier 2026.