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Se faire un prénom

Se faire un prénom

Publié le par Marc Escola

François Cusset l'avait mis sous les feux des projecteurs en 2003 dans un essai consacré à cette French Theory dont il a été l'infatigable promoteur et peut-être même l'inventeur outre-Atlantique comme un peu plus tard des Cultural Studies ; on ne connaissait guère de lui sur le Vieux Continent que trois articles accueillis par la revue Poétique tout au long des années 1970. Mais les Presses du Réel ont (re)donné la parole en 2022 la parole à Sylvère Lotringer, disparu en novembre 2021, dans deux volumes d'entretiens déjà salués par Fabula : le premier édité par François Aubart et François Piron sous le titre Ce que Sylvère Lotringer n'écrivait pas, où l'intéressé raconte l'aventure éditoriale de la revue Semiotext(e) devenue une maison d'édition, encore vivante aujourd'hui, et les manières de faire qu'il a développées pour maintenir pendant 40 ans une ligne politique fidèle en amitiés et attentive aux pulsations du monde contemporain ; et J'étais plus américain que les Américains, des dialogues avec Donatien Grau qui nous donnent accès à la vie de Sylvère Lotringer, ses amitiés, ses choix, son admiration pour certains des plus grands penseurs de notre temps.

François Cusset fait aujourd'hui le roman de ce personnage, en lui laissant son seul prénom Sylvère (Sens & Tonka, 2025) ; la vie agitée d'un presque inconnu pour servir de tombeau à tout le vingtième siècle : "parce qu’il a été enfant caché, habité par la guerre et une judéité refoulée, parce qu’il a pressenti l’éternel retour du fascisme, parce qu’il a importé en Amérique la French Theory et exporté en Europe l’avant-garde US, parce qu’on lui doit une revue culte et des fêtes mémorables, parce qu’il a été l’ami de John Cage et de Félix Guattari, des féministes punks et des artistes en vogue, parce qu’il a été noceur à New York et cinéaste insolite, prof de philo mythique et personnage de série, et qu’il n’a cessé, tout du long, de faire exister plus grand que lui pour se taire et mieux disparaître". 

(Photo: Sylvère Lotringer, par Alejo Duque)